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| L'histoire du commerce |
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| Le
commerce des Temps modernes.
La révolution économique qui se produit à la fin du XVe siècle, et qui marque pour l'histoire du commerce le commencement des Temps modernes, est due aux découvertes géographiques de la route maritime des Indes par le sud de l'Afrique et du nouveau continent confondu d'abord avec les Indes. Ces explorations, dirigées vers les Indes orientales ou occidentales ont pour cause, mais aussi pour conséquence, d'immenses progrès de l'art nautique ainsi que de la navigation. Elles inaugurent dans l'histoire des transports une époque tout à fait nouvelle avec celle du grand commerce maritime. Jusqu'ici le commerce de terre, par caravanes, avait été le plus fréquent, le cabotage le long des côtes était la forme presque unique de la navigation maritime; avec la découverte de l'Amérique commencent les traversées océaniques, les voyages au long cours. La cargaison d'un seul navire venant de l'Inde à Lisbonne dépasse tout ce que pouvait déplacer la plus grande caravane asiatique. Le prix des transports est énormément diminué; l'usage des produits des régions tropicales se généralise avec l'abaissement des prix. Seuls les plus précieux sous un petit volume, épices, pierres précieuses, étoffes rares, matières tinctoriales, supportent les frais d'un long transport et de transbordements nombreux. On peut apporter des articles bien plus
encombrants, des denrées alimentaires nouvelles, le riz, le sucre qui
remplace le miel dans la consommation européenne; la capacité des navires
s'augmente sans cesse, la prix du fret baisse. Une foule de bois, de substances
tinctoriales et médicinales nouvelles sont introduites; de grandes cultures
sont créées au Nouveau monde qui produit et exporte les plantes de l'Asie,
sucre, café, coton, à côté des siennes, tabac, cacao, vanille. Tous
ces articles, tirés surtout des colonies, prennent le nom de denrées
coloniales. Leur consommation ne se développe tout à fait qu'au courant
du XVIIe siècle et au XVIIIe;
en Angleterre, celle du sucre passe de 22 a 181 millions entre 1700 et
1785; celle du coton et du thé En même temps la spécialisation progresse : on distingue les diverses opérations commerciales, importation, exportation, commission, banques, armements maritimes, assurances, trafic de marchandises, du numéraire; les opérations financières et les spéculations commerciales se développent et se différencient de plus en plus. Le commerce est réglé par des lois et des usages plus précis, qui accroissent sa sécurité, permettent l'emploi général d'auxiliaires et d'employés à distance, le commerçant n'est plus obligé d'accompagner ses marchandises et la division du travail devient le principe constant. Un autre effet non moins grave est de déplacer le centre de gravité de l'Ancien monde; jusqu'alors la Méditerranée avait été le théâtre principal de l'activité commerciale des peuples dispersés autour de ses bords, mais l'Asie antérieure est ruinée, de même l'Afrique du Nord, les nouvelles routes commerciales partent des ports de l'océan Atlantique; le centre de la civilisation et de la richesse n'est plus aux confins des trois continents du Vieux monde, il est sur l'océan Atlantique qui réunit l'Ancien et le Nouveau continent; aux Egyptiens, aux Syriens, aux Grecs, aux Italiens vont succéder les Portugais, les Hollandais, les Français, les Anglais. Un autre trait marque les Temps modernes, c'est l'adoption par les nations centralisées d'une politique commerciale définie où les visées centralisatrices prévalent. Au Moyen âge, période de fractionnement politique et d'individualisme, le commerce est essentiellement cosmopolite; abstraction faite des impôts et péages prélevés sur lui, on le laisse choisir sa voie et ses procédés en toute liberté, sauf à Venise où l'Etat est le premier commerçant. Les gouvernements du XVIe siècle ont une conception toute différente; les nations centralisées de l'Europe occidentale se découvrent un intérêt collectif, un intérêt national qui unit leurs différentes classes sociales contre l'étranger; le commerce devient une affaire politique où le gouvernement intervient par des lois et des institutions puissantes. Les rivalités entre peuples sont portées sur le terrain économique où le développement du sentiment national a de profondes conséquences. Chaque Etat cherche à protéger ses sujets, à paralyser le commerce du voisin par des monopoles, des droits de douane; on ne tolère plus l'exploitation du commerce international par des intermédiaires italiens ou hanséates, chaque peuple en veut sa part, chaque gouvernement tient à être maître chez lui. Ce qui prévaut d'abord ce fut le système des monopoles. « Le gouvernement s'attribue le droit de régler tout le mouvement commercial et industriel du pays par des monopoles, qu'il vend ou afferme à des compagnies pour des sommes considérables, en s'y réservant assez souvent à lui-même une part de profit. L'administration des finances est tout entière organisée sur cette base, l'industrie est plus que jamais resserrée dans les liens des corporations, et le commerce extérieur ne peut plus être exploité qu'à la faveur d'un privilège. Chaque objet de consommation, chaque pays de provenance est livré au monopole exclusif d'une compagnie marchande; un pays suit l'exemple d'un autre; l'esprit de l'époque les subjugue tous, et ce n'est que vers le milieu du XVIIIe siècle que l'idée de la libre concurrence commence à se produire en France jusqu'à ce que la grande révolution de 1789 proclame le droit de tous les citoyens au libre exercice de l'industrie et du commerce. » (H. Scherer, Histoire du commerce, 1857).II faut avouer que les concessions de privilèges considérables aux grandes compagnies pour le commerce transocéanique se justifient à une époque où ce commerce exige des efforts et des dépenses qui excédent les ressources de simples particuliers. Il faut entretenir dans les pays lointains un personnel nombreux, souvent une force armée; les capitaux engagés dans l'entreprise ne rapportent pas de bénéfice immédiat; seules des compagnies peuvent s'engager dans ces entreprises, et seulement avec des privilèges qui soient une garantie de succès, à moins que le gouvernement ne s'y engage lui-même, comme au Portugal. Les compagnies servent donc les progrès du commerce; mais ensuite, elles détendent leurs monopoles contre la concurrence des particuliers et profitent de leurs privilèges pour élever arbitrairement les prix, sans souci de restreindre la consommation. Mal gérées, la plupart périront avant la fin du XVIIIe siècle. Le système douanier se transforme au service de la politique; au lieu d'être un instrument fiscal, il sert à protéger l'industrie nationale; les droits d'entrée, primes de sortie, droits différentiels se développent. Transportés dans le domaine de la politique,
les problèmes économiques donnent lieu à des systèmes que les gouvernements
appliquent plus ou moins. On dresse par la statistique le bilan de la richesse
des nations. Les philosophes s'adonnent à l'étude de ces questions, et
une science nouvelle naît au XVIIe siècle,
l'économie politique, qui réagit sur la pratique au XIXe.
Mais jusqu'alors la théorie de la balance du commerce prévaut et a de
funestes effets, d'autant qu'on évalue la richesse nationale d'après
la quantité de numéraire et qu'on cherche à attirer ou à retenir le
métal précieux par des mesures arbitraires. Par une singulière contradiction,
tandis qu'on favorise le commerce extérieur dans l'idée de l'enrichir
par la vente, ébloui par l'exemple de la Hollande, on néglige le commerce
intérieur paralysé par les barrières, péages, douanes intérieures,
monopoles : le système mercantile, conçu pour faire prévaloir les exportations
sur les importations, en frappant celles-ci de droits de douane, a du moins
l'avantage de rendre au commerce intérieur quelque profit; le développement
des routes fait aussi beaucoup. Bien que dans les relations internationales
le commerce maritime ait tout à fait prévalu, le commerce par terre ne
disparaît pas; les routes des Alpes sont encore très fréquentées, et,
parmi les foires, plusieurs de celles qui étaient internationales ne dépérissent
pas d'abord : telles les foires de Beaucaire,
Sinigaglia, Francfort, Leipzig,
Nijni-Novgorod.
Dans l'intérieur de l'Asie et de l'Afrique les caravanes continuent.
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L'élaboration du droit commercial et du droit international se fait lentement. Le grand commerce développe avec lui les assurances, garantissant le négociant contre les accidents maritimes et autres; le crédit est organisé avec une puissance dont les temps antérieurs n'auraient pas même eu l'idée; les banques de dépôt, d'escompte, de prêt se développent partout. Les placements internationaux, inaugurés en grand par les Hollandais qui en font pour deux milliards, ont sur le développement des nations jeunes une influence décisive; aux autres même ils évitent souvent de terribles catastrophes, tout en procurant de forts bénéfices aux pays surchargés de numéraire. Les spéculations financières, centralisées dans les bourses, en sont la conséquence, et malgré d'énormes inconvénients elles servent aussi la cause du progrès économique par la facile circulation des capitaux. La division du travail entre le commissionnaire, l'expéditeur, l'armateur, l'affréteur, le courtier, s'élabore dans les bourses où l'on cherche perpétuellement à perfectionner les combinaisons commerciales. On sait l'extrême importance des métaux précieux dans le commerce de l'Antiquité; elle est bien dépassée au XVIe et au XVIIe siècle, et il faut des siècles pour faire comprendre que le numéraire est non pas la richesse, mais le signe représentatif de la richesse et une marchandise comparable aux autres. Le fait dominant de l'histoire commerciale des Etats européens dans les Temps modernes, c'est leur politique coloniale, la fondation de vastes colonies destinées à servir de débouchés aux produits de la métropole et à l'approvisionner de denrées tropicales; l'Etat se procure ainsi des possessions vis-à -vis desquelles il se comporte comme un propriétaire vis-à -vis d'une ferme. Nous rappellerons encore que la grande navigation eut pour conséquence la grande pêche maritime, objet d'un trafic très considérable, et que le système colonial fondé sur le travail des prétendues races inférieures a provoqué l'organisation d'un nouvel esclavage, la traite des Noirs qui fut un des objets principaux du commerce depuis le XVIe jusqu'au XVIIIe siècle et développa beaucoup les échanges avec l'Afrique. Le dernier fait général à signaler, c'est la prépondérance économique de l'Europe et l'énorme développement de sa richesse industrielle. Toutefois, ce dernier progrès, dû à la science et aux machines, ne s'est réalisé qu'au XIXe siècle. L'activité se porte sur les travaux agricoles
et manufacturiers; l'esprit d'invention régénère l'industrie, la production
augmente immensément ainsi que la consommation; le commerce, dès lors,
prend des proportions sans précédent. Ce qui contribue puissamment Ã
son essor, c'est le perfectionnement des voies de communication et des
moyens de transport. Il ne s'agit pas seulement de routes ordinaires et
de canaux multipliés et soigneusement entretenus. Fulton applique à la
navigation, qui jusque-là ne s'était servie que de la voile, la puissance
de la vapeur; des bateaux à vapeur paraissent sur les rivières, sur les
fleuves et sur les lacs; ils franchissent les détroits; ils longent les
côtes maritimes; ils finissent par effectuer sur la mer les trajets les
plus étendus. A la navigation à vapeur transatlantique se joint, pour
la sécurité et pour la rapidité du commerce maritime, une connaissance
approfondie des courants dont la mer est sillonnée. Une autre invention
transforme le commerce de terre et lui assure une importance qu'il n'avait
jamais connue, c'est l'invention des chemins de fer, sur lesquels des locomotives
mues par la vapeur mettent en mouvement des trains de wagons innombrables,
et dont les immenses réseaux couvrent le sol de tous les États. La télégraphie
électrique, enfin, supprime littéralement les distances sur la terre
comme sur la mer. ( De même qu'au commencement des Temps modernes
les métaux précieux du nouveau monde vinrent en aide à un mouvement
d'affaires beaucoup plus considérable, l'or de la Californie
et de l'Australie subvient aux nécessités
d'opérations qui se multiplient chaque jour. En même temps, du reste,
les institutions de crédit dont les papiers suppléent à la monnaie,
se développent sur une grande échelle.
Les principaux acteurs du commerce mondial entre 1792 et 1900.
Le commerce depuis
1900.
La Première Guerre mondiale casse ce cadre. Les marines de guerre imposent des blocus et contrôlent les routes maritimes : la Grande-Bretagne établit un blocus naval qui prive l'Allemagne de matières premières et de denrées alimentaires à grande échelle, et la guerre transforme les cargos marchands en transports militaires, réduisant dramatiquement le commerce civil. Les pénuries, les détournements et l'usage de l'économie de guerre font basculer les économies vers des logiques d'autarcie relative et de priorité militaire. Après 1918, la réouverture des échanges est lente et inégale. Beaucoup d'États tentent de restaurer l'étalon-or pour retrouver la stabilité, mais la reprise monétaire se heurte à des dettes publiques considérables, à des réparations et à des politiques nationales divergentes. Les années 1920 voient une reprise partielle des échanges, portée par la reconstruction et par l'expansion industrielle américaine, mais sous la surface s'accumulent fragilités : concentrations bancaires, marchés de change instables et cycles de protectionnisme local qui réapparaissent quand les industries nationales réclament des protections. La crise de 1929 révèle brutalement ces fragilités et provoque un effondrement du commerce international. Les prix mondiaux chutent, le crédit se retire, et les gouvernements répondent souvent en dressant des barrières pour protéger les producteurs nationaux; le protectionnisme se renforce et aggrave la chute des échanges. Entre 1929 et 1932, les flux commerciaux s'effondrent à des taux massifs, contribuant à l'aggravation et à la prolongation de la Grande Dépression. La décision américaine d'adopter en 1930 le Smoot-Hawley Tariff Act illustre cette dérive : des droits de douane très élevés sont appliqués à des milliers de catégories de produits, et plusieurs partenaires ripostent par des hausses tarifaires ou des restrictions, ce qui amplifie la contraction du commerce mondial et rationalise, pour de nombreux pays, l'idée que la fermeture partielle des frontières est un instrument de sauvegarde nationale. Les historiens et les économistes débattent encore de l'ampleur exacte de l'impact, mais l'acte marque un tournant symbolique vers la démondialisation commerciale des années 1930. Les années 1930 voient en parallèle l'essor des politiques de dévaluation compétitive et des blocs commerciaux régionaux; les gouvernements manipulent les taux de change, imposent des quotas et favorisent l'industrie nationale. Ces politiques servent parfois d'outils de relance intérieure, mais elles fragilisent les chaînes d'approvisionnement et rendent les contrats internationaux plus risqués. Les marchés coloniaux et impériaux deviennent, pour certains États européens, des refuges d'exportation, tandis que d'autres États orientent leurs économies vers des stratégies de substitution aux importations. La montée des régimes autoritaires en Europe et en Asie s'accompagne d'une militarisation économique croissante : l'effort de réarmement remet la production industrielle au centre, oriente les investissements et transforme la structure des échanges - matières premières stratégiques, acier, pétrole, caoutchouc deviennent des enjeux géopolitiques. Les contrôles d'exportation et les restrictions sur les technologies sensibles se multiplient, réduisant encore la fluidité commerciale. La Seconde Guerre mondiale rompt définitivement le commerce civil dans de vastes zones. Les convois, les sous-marins et les bombardements détruisent ports et navires; les puissances en guerre organisent des économies dirigées où l'allocation des ressources passe avant tout par des plans nationaux et militaires. Cependant, un instrument majeur atténue partiellement la rupture pour les Alliés : le programme de prêt-bail (Lend-Lease) américain, lancé en 1941, fournit aux nations alliées des quantités massives de matériels, de vivres et de matériels de transport, modifiant profondément les équilibres matériels et logistiques du conflit et assurant des flux d'échanges unilatéraux indispensables à l'effort de guerre allié. Le Lend-Lease constitue une forme de commerce politico-militaire massifiée et centralisée. À la fin du conflit, alors que les destructions matérielles et les désordres monétaires exigent une reconstruction coordonnée, la communauté alliée se réunit pour imaginer un nouvel ordre économique international. En juillet 1944, à Bretton Woods, des délégués de plusieurs dizaines de nations conçoivent des institutions et des règles destinées à stabiliser les changes, faciliter la reconstruction et prévenir les erreurs perçues des années 1930 : l'idée est de lier les monnaies au dollar américain convertible en or et de créer des institutions de coopération - le Fonds monétaire international et une banque pour la reconstruction - capables de soutenir les balances des paiements et de financer la reprise. Ces accords posent les bases d'un système monétaire multilatéral pensé pour soutenir la reprise du commerce et limiter les politiques de désordre monétaire. Après 1945, les nations se lancent dans une reconstruction qui transforme immédiatement les flux commerciaux : l'aide américaine du Plan Marshall injecte capitaux, matières premières et équipements industriels en Europe de l'Ouest, rétablit les capacités productives et relance les importations nécessaires à la reprise, ce qui crée un puissant effet multiplicateur sur le commerce transatlantique et stabilise des marchés qui, quelques années plus tôt, étaient détruits par la guerre. Le cadre monétaire et institutionnel issu de la guerre structure les échanges; le système de Bretton Woods ancre les monnaies à un dollar convertible en or et crée des institutions — le Fonds monétaire international et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement — qui visent à stabiliser les paiements internationaux et à faciliter le financement des déficits temporaires, donnant aux échanges une certitude monétaire inédite pour l'époque. Les gouvernements reconstruisent aussi des règles commerciales multilatérales : la création du GATT en 1947 lance des rounds successifs de négociations tarifaires qui, sur plusieurs décennies, réduisent les barrières tarifaires et normalisent des comportements commerciaux entre pays industrialisés. Les années 1950 et 1960 voient l'ouverture progressive du commerce mondial sous l'effet conjugué de ces institutions et d'une croissance forte : l'Europe se réorganise autour de la Communauté économique européenne née du traité de Rome, qui instaure un marché commun interne et une politique commerciale extérieure plus coordonnée, tandis que le Japon et l'Allemagne fédérale mènent des stratégies d'industrialisation et d'exportation intenses, tirant profit de gains de productivité, d'une spécialisation sectorielle et d'entreprises qui cherchent des débouchés internationaux. Ces trajectoires nationales modifient les balances commerciales et les cartes d'exportation : machines-outils, automobiles et biens d'équipement circulent massivement entre blocs économiques et vers les pays en développement. La décolonisation transforme les relations commerciales : de nouveaux États émergent sur les marchés des matières premières, et les anciennes métropoles perdent progressivement certains privilèges coloniaux tandis que se développent des régimes préférentiels, aides et accords bilatéraux destinés à garantir approvisionnements et débouchés. Les exportations de produits primaires continuent d'alimenter les recettes de nombreux pays du Sud, mais les termes de l'échange leur restent souvent défavorables face aux prix des produits manufacturés, ce qui nourrit des préoccupations Nord–Sud et des demandes de réforme du système commercial. La stabilité relative des deux décennies d'après-guerre se heurte toutefois à des chocs structurels : la fin effective de la parité-or et la pression sur le dollar aboutissent, au début des années 1970, à la décision des États-Unis de suspendre la convertibilité du dollar en or (le Nixon shock) qui ouvre la voie à des régimes de changes flottants et complexifie la gestion des risques commerciaux et financiers entre monnaies. Les entreprises et les gouvernements doivent désormais gérer des variations de change plus importantes, ce qui influence prix, compétitivité et stratégies d'exportation. La crise pétrolière de 1973 marque un tournant : l'usage du pétrole comme instrument de pression et la quadruple hausse des prix provoquent une inflation importée, des coûts de production élevés et une récession dans les pays importateurs d'énergie. Les importateurs réévaluent leurs politiques énergétiques et leurs chaînes d'approvisionnement, tandis que les pays producteurs engrangent d'importantes recettes qui redistribuent du pouvoir économique et financier. Les chocs pétroliers fragilisent la croissance, encouragent le protectionnisme conjoncturel et accélèrent des réajustements industriels et technologiques, notamment dans les secteurs à forte intensité énergétique. Les années 1970 voient aussi la montée de la stagflation dans les économies avancées et la multiplication des mesures commerciales non tarifaires, quotas et contrôles de change, qui compliquent l'expansion des échanges. Les multinationales se développent comme acteurs majeurs : elles extraient avantages de coûts différenciés, investissent en IDE et fragmentent les processus productifs entre pays, amorçant la logique des chaînes de valeur mondiales qui prend davantage d'ampleur dans les années 1980. Sur le plan institutionnel, les rounds du GATT poursuivent leur travail : après le Tokyo Round des années 1970, les discussions aboutissent à un nouvel élan en 1986 quand les ministres se réunissent à Punta del Este et lancent l'Uruguay Round, une négociation ambitieuse visant à étendre les règles du commerce à l'agriculture, aux textiles, aux services et à la propriété intellectuelle — démarches qui témoignent d'un déplacement des enjeux commerciaux vers des secteurs plus complexes et plus étroitement liés aux politiques nationales. La décennie 1980 combine libéralisation et tensions : les politiques économiques néolibérales menées par certains gouvernements accélèrent la dérégulation, la privatisation et l'ouverture financière, ce qui facilite l'expansion des flux commerciaux et d'investissements directs; en même temps, des crises comme la crise de la dette latino-américaine au début des années 1980 ralentissent les échanges avec l'Amérique latine et obligent les institutions financières internationales à intervenir pour restructurer dettes et soutenir la reprise. Les accords régionaux se multiplient et la spécialisation technologique progresse, donnant au commerce une dimension toujours plus intégrée au cycle financier et aux innovations productives. Le monde du commerce international bascule après 1990 sous l'effet d'une intégration institutionnelle et technologique qui accélère la fragmentation productive et l'interdépendance : la création de l'Organisation mondiale du commerce en 1995 formalise des règles multilatérales plus larges que le GATT et donne un cadre aux négociations commerciales et aux différends, ce qui encourage les entreprises à penser en termes de marchés mondiaux et de chaînes d'approvisionnement transfrontalières. Les années 1990 voient une vague de libéralisation et d'accords régionaux qui façonnent les flux : l'Union européenne approfondit son marché intérieur et se prépare à l'euro, l'ALENA structure l'échange nord-américain, et les pays d'Asie de l'Est s'engagent dans des stratégies exportatrices orientées vers l'industrie manufacturière. Parallèlement, l'innovation logistique (conteneurisation, informatisation des opérations portuaires, croissance des transporteurs maritimes) et l'essor des technologies de l'information réduisent les coûts de transaction et rendent économiquement viable la décomposition internationale de la production. Les firmes multinationales développent des réseaux d'implantations successives : conception dans un pays, composants dans plusieurs autres, assemblage dans des lieux à bas coût, commercialisation mondiale. La montée en puissance de la Chine transforme les équilibres : son intégration progressive dans le commerce mondial culmine avec son adhésion à l'OMC en 2001, qui normalise l'accès de ses exportations aux marchés avancés et facilite l'investissement étranger direct dans ses zones d'assemblage, provoquant un afflux massif d'exportations manufacturières à faible coût et une réallocation des industries à l'échelle planétaire. Les gains d'efficacité tirés des chaînes de valeur mondiales augmentent considérablement les échanges de biens intermédiaires et réduisent le partage statistique traditionnel entre pays « exportateurs de matières premières » et « exportateurs de produits finis » : les statistiques masquent souvent la valeur ajoutée par pays, et de nombreux biens finis traversent plusieurs frontières avant d'être vendus au consommateur final. Ce processus favorise une croissance rapide du commerce intra-entreprises et du commerce de composants électroniques, automobiles et textiles, tout en rendant les économies sensibles aux perturbations localisées. La financiarisation et l'intégration des marchés des capitaux accompagnent l'expansion commerciale : la libéralisation financière permet des montages internationaux, alimente l'investissement direct étranger et accélère la circulation des fonds, mais elle expose aussi le commerce aux cycles financiers mondiaux. Quand la crise financière mondiale éclate en 2008, le commerce se contracte brutalement : la demande mondiale chute, les crédits fournisseurs se raréfient, et les flux de marchandises reculent fortement pendant la récession qui suit, révélant la vulnérabilité des chaînes très éclatées aux chocs systémiques. La recomposition politique et économique des années 2010 ajoute de nouvelles couches de tension. Des accords plurilatéraux ambitieux cherchent à réguler des domaines émergents (services, propriété intellectuelle, normes numériques) mais la gouvernance multilatérale montre aussi ses limites : les négociations longues, la divergence d'intérêts Nord–Sud et des blocages institutionnels affaiblissent parfois la capacité d'action commune. À la même période, l'Asie poursuit son intégration régionale avec des projets comme le RCEP, qui rassemble de larges économies régionales et crée la plus grande zone de libre-échange en termes de population et de PIB. Les tensions commerciales reprennent un relief plus conflictuel à la fin de la décennie 2010 : les États-Unis et la Chine entrent dans une guerre tarifaire qui multiplie les droits de douane réciproques, perturbe certaines filières (électronique, agroalimentaire, machines) et incite entreprises et gouvernements à repenser la dépendance à des fournisseurs concentrés. La montée des mesures unilatérales et des préoccupations sur le transfert technologique marque un tournant où la sûreté économique devient aussi un instrument de politique étrangère. La pandémie de covid-19 en 2020 provoque une secousse inédite : fermetures d'usines, arrêt des transports, chocs de demande et perturbations logistiques réduisent temporairement les volumes commerciaux et révèlent les fragilités d'un modèle fondé sur l'optimisation des coûts au détriment de la résilience. Les pénuries de composants sensibles, comme les semi-conducteurs, soulignent l'importance stratégique de certains nœuds de production et déclenchent politiques publiques visant à relocaliser ou diversifier les approvisionnements, à renforcer les stocks et à encourager des « chaînes d'approvisionnement plus proches ». Après la pandémie, les acteurs privés et publics oscillent entre la recherche d'efficacité et la quête de sécurité : des entreprises fragmentent différemment leurs approvisionnements, certains pays offrent des subventions à la relocalisation industrielle, et des accords commerciaux intègrent progressivement des clauses sur la sécurité des chaînes d'approvisionnement, les normes sanitaires et la numérisation des échanges. La numérisation et le commerce électronique se renforcent, modifiant les modèles de distribution et accroissant l'importance des services dans le commerce international - plateformes, paiements numériques et règles de données deviennent des enjeux commerciaux centraux. La guerre en Ukraine déclenche à partir de 2022 de nouvelles perturbations : sanctions, coupures dans les exportations d'énergie et d'engrais, et restrictions sur des produits stratégiques redessinent certains marchés agricoles et énergétiques, génèrent inflation et volatilité, et poussent de nombreux pays à sécuriser leurs approvisionnements alimentaires et énergétiques par des mesures commerciales et des accords alternatifs. Ces événements accentuent la tendance à segmenter certains secteurs jugés stratégiques et à combiner logiques commerciales et impératifs sécuritaires. En parallèle, la gouvernance du commerce évolue : les institutions multilatérales continuent de jouer un rôle ssentiel pour arbitrer et stabiliser, mais les négociations régionales et plurilatérales, les politiques industrielles nationales et les rivalités géopolitiques recalibrent les priorités. Le XXIe siècle commercial se définit de plus en plus par la coexistence d'une interdépendance économique profonde et d'une volonté croissante de contrôle étatique sur certains flux, avec des conséquences pour la fragmentation des marchés, la diversité des standards et la nature des chaînes de valeur. Les entreprises, les consommateurs et les États oscillent ainsi entre ouverture, concurrence technologique et recherche de résilience, et le commerce international se transforme en continu, à la fois moteur d'intégration et champ de compétition stratégique. |
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