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1500-1900 |
La révolution
économique qui se produisit à la fin du XVe
siècle, et qui marque pour l'histoire du commerce
le commencement des temps modernes, fut due aux découvertes géographiques
de la route maritime des Indes par le sud de l'Afrique et du nouveau continent
confondu d'abord avec les Indes. Ces explorations, dirigées vers les Indes
orientales ou occidentales, seront exposées dans les pages consacrées
à l'histoire de la géographie; elles eurent pour cause, mais aussi pour
conséquence, d'immenses progrès de l'art nautique ainsi que de la navigation.
Elles inaugurent dans l'histoire des transports une époque tout à fait
nouvelle avec celle du grand commerce maritime. Jusqu'ici le commerce de
terre, par caravanes, avait été le plus fréquent, le cabotage le long
des côtes était la forme presque unique de la navigation maritime; avec
la découverte de l'Amérique commencent les traversées océaniques, les
voyages au long cours. La cargaison d'un seul navire venant de l'Inde Ã
Lisbonne dépassait tout ce que pouvait déplacer la plus grande caravane
asiatique. Le prix des transports fut énormément diminué; l'usage des
produits des régions tropicales se généralisa avec l'abaissement des
prix. Seuls les plus précieux sous un petit volume, épices, pierres précieuses,
étoffes rares, matières tinctoriales, supportaient les frais d'un long
transport et de transbordements nombreux.
On put apporter des articles bien plus encombrants, des denrées alimentaires nouvelles, le riz, le sucre qui remplaça le miel dans la consommation européenne; la capacité des navires s'augmenta sans cesse, la prix du fret baissa. Une foule de bois, de substances tinctoriales et médicinales nouvelles furent introduites; de grandes cultures furent créées au nouveau monde qui produisit et exporta les plantes de l'Asie, sucre, café, coton, à côté des siennes, tabac, cacao, vanille. Tous ces articles, tirés surtout des colonies, prirent le nom de denrées coloniales. Leur consommation ne se développa tout à fait qu'au courant du XVIIe siècle et au XVIIIe; en Angleterre, celle du sucre passe de 22 a 181 millions entre 1700 et 1785; celle du coton et du thé est plus que décuplée. Le commerce des états marchands du Moyen âge, Venise, Flandre, la Hanse parait bien médiocre comparé à celui des temps modernes. Le prix des transports a tellement baissé, leur quantité s'est tellement accrue qu'une centralisation comme celle du marché de Bruges ne serait plus possible; tous les peuples prennent part à l'activité commerciale, les centres se multiplient. En même temps la spécialisation progresse : on distingue les diverses opérations commerciales, importation, exportation, commission, banques, armements maritimes, assurances, trafic de marchandises, du numéraire; les opérations financières et les spéculations commerciales se développent et se différencient de plus en plus. Le commerce est réglé par des lois et des usages plus précis, qui accroissent sa sécurité, permettent l'emploi général d'auxiliaires et d'employés à distance, le commerçant n'est plus obligé d'accompagner ses marchandises et la division du travail devient le principe constant. Un autre effet non moins grave fut de déplacer le centre de gravité de l'ancien monde; jusqu'alors la Méditerranée avait été le théâtre principal de l'activité commerciale des peuples dispersés autour de ses bords, mais l'Asie anté rieure est ruinée, de même l'Afrique du Nord, les nouvelles routes commerciales partent des ports de l'océan Atlantique; le centre de la civilisation et de la richesse n'est plus aux confins des trois continents du vieux monde, il est sur l'océan Atlantique qui réunit l'ancien et le nouveau continent; aux Egyptiens, aux Syriens, aux Grecs, aux Italiens vont succéder les Portugais, les Hollandais, les Français, les Anglais. Un autre trait marque les Temps modernes, c'est l'adoption par les nations centralisées d'une politique commerciale définie on les visées centralisatrices prévalurent. Au Moyen âge, période de fractionnement politique et d'individualisme, le commerce est essentiellement cosmopolite; abstraction faite des impôts et péages prélevés sur lui, on le laisse choisir sa voie et ses procédés en toute liberté, sauf à Venise où l'Etat est le premier commerçant. Les gouvernements du XVIe siècle eurent une conception toute différente; les nations centralisées de l'Europe occidentale se découvrirent un intérêt collectif, un intérêt national qui unit leurs différentes classes sociales contre l'étranger; le commerce devint une affaire politique où le gouvernement intervint par des lois et des institutions puissantes. Les rivalités entre peuples furent portées sur le terrain économique où le développement du sentiment national eut de profondes conséquences. Chaque Etat chercha à protéger ses sujets, à paralyser le commerce du voisin par des monopoles, des droits de douane; on ne toléra plus l'exploitation du commerce international par des intermédiaires italiens ou hanséates, chaque peuple en voulut sa part, chaque gouvernement tint à être maitre chez lui. Ce qui prévalut d'abord ce fut le système des monopoles. « Le gouvernement s'attribue le droit de régler tout le mouvement commercial et industriel du pays par des monopoles, qu'il vend ou afferme à des compagnies pour des sommes considérables, en s'y réservant assez souvent à lui-même une part de profit. L'administration des finances est tout entière organisée sur cette base, l'industrie est plus que jamais resserrée dans les liens des corporations, et le commerce extérieur ne peut plus être exploité qu'à la faveur d'un privilège. Chaque objet de consommation, chaque pays de provenance est livré au monopole exclusif d'une compagnie marchande; un pays suit l'exemple d'un autre; l'esprit de l'époque les subjugue tous, et ce n'est que vers le milieu du XVIIIe siècle que l'idée de la libre concurrence commence à se produire en France jusqu'à ce que la grande révolution de 1789 proclame le droit de tous les citoyens au libre exercice de l'industrie et du commerce. » (Scherer).II faut avouer que les concessions de privilèges considérables aux grandes compagnies pour le commerce transocéanique se justifient à une époque où ce commerce exigeait des efforts et des dépenses qui excédaient les ressources de simples particuliers. Il fallait entretenir dans les pays lointains un personnel nombreux, souvent une force armée; les capitaux engagés dans l'entreprise ne rapportaient pas de bénéfice immédiat; seules des compagnies pouvaient s'engager dans ces entreprises, et seulement avec des privilèges qui fussent une garantie de succès, à moins que le gouvernement ne s'y engageât lui-même, comme en Portugal. Les compagnies servirent donc les progrès du commerce; mais ensuite, elles détendirent leurs monopoles contre la concurrence des particuliers et profitèrent de leurs privilèges pour élever arbitrairement les prix, sans souci de restreindre la consommation. Mal gérées, la plupart périrent avant la fin du XVIIIe siècle. Le système douanier se transforma au service de la politique; au lieu d'être un instrument fiscal, il servit à protéger l'industrie nationale; les droits d'entrée, primes de sortie, droits différentiels se développèrent. Transportés dans le domaine de la politique, les problèmes économiques donnèrent lieu à des systèmes que les gouvernements appliquèrent plus ou moins. On dressa par la statistique le bilan de la richesse des nations. Les philosophes s'adonnèrent à l'étude de ces questions, et une science nouvelle naquit au XVIIe siècle, l'économie politique, qui réagit sur la pratique au XIXe. Mais jusqu'alors la théorie de la balance du commerce prévalut et eut de funestes effets, d'autant qu'on évaluait la richesse nationale d'après la quantité de numéraire et qu'on cherchait à attirer ou à retenir le métal précieux par des mesures arbitraires. Par une singulière contradiction, tandis qu'on favorisait le commerce extérieur dans l'idée de l'enrichir par la vente, ébloui par l'exemple de la Hollande, on négligeait le commerce intérieur paralysé par les barrières, péages, douanes intérieures, monopoles : le système mercantile, conçu pour faire prévaloir les exportations sur les importations, en frappant celles-ci de droits de douane, eut du moins l'avantage de rendre au commerce intérieur quelque profit; le développement des routes fit aussi beaucoup. Bien que dans les relations internationales le commerce maritime eût tout à fait prévalu, le commerce par terre ne disparut pas; les routes des Alpes furent encore très fréquentées, et, parmi les foires, plusieurs de celles qui étaient internationales ne dépérirent pas d'abord : telles les foires de Beaueaire, Sinigaglia, Francfort, Leipzig, Nijni Novgorod. Dans l'intérieur de l'Asie et de l'Afrique les caravanes continuèrent. -
L'élaboration du droit commercial et du droit international se fit lentement et ne s'acheva qu'au XIXe siècle. Le grand commerce développa avec lui les assurances, garantissant le négociant contre les accidents maritimes et autres; le crédit fut organisé avec une puissance dont les temps antérieurs n'auraient pas même eu l'idée; les banques de dépôt, d'escompte, de prêt se développèrent partout. Les placements internationaux, inaugurés en grand par les Hollandais qui en firent pour deux milliards, ont eu sur le développement des nations jeunes une influence décisive; aux autres même ils ont souvent évité de terribles catastrophes, tout en procurant de forts bénéfices aux pays surchargés de numéraire. Les spéculations financières, centralisées dans les bourses, en furent la conséquence, et malgré d'énormes inconvénients elles ont aussi servi la cause du progrès économique par la facile circulation des capitaux. La division du travail entre le commissionnaire, l'expéditeur, l'armateur, l'affréteur, le courtier, s'élabora dans les bourses où l'on cherchait perpétuellement à perfectionner les combinaisons commerciales. On sait l'extrême importance des métaux précieux dans le commerce de l'Antiquité ; elle fut bien dépassée au XVIe et au XVIIe siècle, et il fallut des siècles pour faire comprendre que le numéraire était non pas la richesse, mais le signe représentatif de la richesse et une marchandise comparable aux autres. Le fait dominant de l'histoire commerciale des Etats européens dans les Temps modernes, c'est leur politique coloniale, la fondation de vastes colonies destinées à servir de débouchés aux produits de la métropole et à l'approvisionner de denrées tropicales; l'Etat se procurait ainsi des possessions vis-à -vis desquelles il se comportait comme un propriétaire vis-à -vis d'une ferme. Nous rappellerons encore que la grande navigation eut pour conséquence la grande pêche maritime, objet d'un trafic très considérable, et que le système colonial fondé sur le travail des prétendues races inférieures provoqua l'organisation d'un nouvel esclavage, la traite des Noirs qui fut un des objets principaux du commerce depuis le XVIe jusqu'au XVIIIe siècle et développa beaucoup les échanges avec l'Afrique. Le dernier fait général à signaler, c'est la prépondérance économique de l'Europe et l'énorme développement de sa richesse industrielle. Toutefois, ce dernier progrès, dû à la science et aux machines, ne s'est réalisé qu'au XIXe siècle. L'activité des peuples se porte sur les travaux agricoles et manufacturiers; l'esprit d'invention régénère l'industrie, la production augmente immensément ainsi que la consommation; le commerce, dès lors, prend des proportions sans précédent. Ce qui contribue puissamment à son essor,
c'est le perfectionnement des voies de communication et des moyens de transport.
Il ne s'agit pas seulement de routes ordinaires et de canaux multipliés
et soigneusement entretenus. Fulton applique à la navigation, qui jusque-lÃ
ne s'était servie que de la voile, la puissance de la vapeur; des bateaux
à vapeur paraissent sur les rivières, sur les fleuves et sur les lacs;
ils franchissent les détroits; ils longent les côtes maritimes; ils finissent
par effectuer sur la mer les trajets les plus étendus. A la navigation
à vapeur transatlantique se joint, pour la sécurité et pour la rapidité
du commerce maritime, une connaissance approfondie des courants dont la
mer est sillonnée. Une autre invention transforme le commerce de terre
et lui assure une importance qu'il n'avait jamais connue, c'est l'invention
des chemins de fer, sur lesquels des locomotives mues par la vapeur mettent
en mouvement des trains de wagons innombrables, et dont les immenses réseaux
couvrent le sol de tous les États. La télégraphie électrique, enfin,
supprime littéralement les distances sur la terre comme sur la mer.
Le commerce n'est plus, à la fin du XIXe siècle, comme dans d'autres temps, l'occupation spéciale d'un petit nombre de peuples, il est plus ou moins pratiqué par tous. Mais il est principalement entre les mains des Occidentaux. Les principaux centres commerciaux du monde sont Londres, Paris et New-York. (A.-M. B / Henri Richelot). Les principaux acteurs du commerce mondial entre 1792 et 1900.
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