| On désogne sous le nom de massacres de septembre les massacres, jugements et exécutions populaires qui eurent lieu à Paris du 2 au 6 septembre 1792, à l'intérieur ou aux abords de huit prisons ou lieux de détention. Quelle que puisse être au juste la part des excitations individuelles, de tels excès ont nécessairement une cause générale, l'état d'esprit de la population. Cet état d'esprit lui-même s'explique par l'activité des conspirations royalistes dès le début de la captivité de Louis XVI; par l'existence d'un pouvoir de fait, rival de la Législative et qu'elle a dû reconnaître, la Commune du 10 août; par l'inertie de la haute cour d'Orléans, et la faiblesse du tribunal criminel du 17 août; par certains actes de la Législative qui met en accusation Barnave, Lameth, Montmorin, Molleville; par la défection de La Fayette; par les visites domiciliaires ordonnées législativement; par les progrès de l'invasion prussienne (prise de Longwy, 20 août, siège de Verdun) (Les guerres de la révolution) et le peu de confiance qu'inspirent les généraux; par la crainte des menaces de Brunswick, et le projet (girondin) d'abandonner Paris; par les imprudentes bravades des prêtres et des nobles détenus comme suspects de conspirations contre-révolutionnaires; par l'impuissance des pouvoirs publics. Le 1er septembre, le bruit se répandit d'une conspiration dans les prisons ; les guichetiers da Châtelet attestaient qu'ils avaient entendu leurs prisonniers crier pendant la nuit : Vivent les Autrichiens! A bas la nation! Le même jour, un condamné à mort s'écrie devant le tribunal révolutionnaire qu'il sera bientôt vengé, que la prochaine nuit, d'accord avec leurs libérateurs, les prisonniers sortiraient, égorgeraient les sentinelles, mettraient le feu à Paris : il répéta le lendemain, sur l'échafaud, la même déclaration. Il est certain qu'ils avaient au moins essayé de s'échapper. Les barrières de Paris furent ouvertes le 1er septembre, après une fermeture de quarante-huit heures, mesure qui exclut toute idée de préméditation des massacres, de la part de la Commune. Le 2, l'Assemblée nationale apprit le siège de Verdun, incapable de résister plus de huit jours : ce fut la Commune qui prit seule des mesures efficaces de défense nationale. Pendant qu'à l'assemblée les députés Vergniaud, Roland, Lebrun exagèrent le danger, dénoncent des coalitions et des conspirations imaginaires, Danton est seul à garder son sang-froid, à préserver le peuple des terreurs paniques. Cependant le tocsin sonne, « non point signal d'alarme, mais de la charge sur les ennemis de la patrie » ; à la façade de l'Hôtel de Ville est fixé un immense drapeau noir portant ces mots : La Patrie est en danger. Les barrières se ferment. On réquisitionne les chevaux de luxe. « Un cri général se fait entendre : Volons à l'ennemi! Mais nos ennemis les plus cruels ne sont pas à Verdun. Ils sont à Paris dans les prisons. Nos femmes, nos enfants, les laisserons-nous à la merci de ces scélérats? Eh bien! frappons avant de partir! Courons aux prisons!... Ce cri terrible, j'en atteste tous les hommes impartiaux, retentit à l'instant d'une manière spontanée, unanime, universelle, dans les rues, dans les places publiques, dans tous les rassemblements. » Dans les sections, le plan se dessine et se formule, nous en avons des preuves directes et indirectes pour les sections Poissonnière, du Luxembourg, des Thermes, des Postes. Elles sont lasses de députer au Conseil de la Commune. Trois cents prêtres insermentés environ avaient été incarcérés aux Carmes et au couvent Saint-Firmin ; le 2 septembre, vingt-quatre d'entre eux furent transférés à l'Abbaye. La foule s'ameuta autour des voitures. Un des prisonniers, passant son bras par la portière, donne un coup de canne à l'un des fédérés marseillais de l'escorte : celui-ci l'égorge avec son sabre, et ce fut le signal d'un massacre auquel échappa toutefois le successeur de l'abbé de l'Epée, l'abbé Sicard. La foule, sans plan et sans chef, se porte ensuite aux Carmes. Elle demande aux prêtres s'ils veulent prêter le serment. Ils répondirent, d'après Peltier : « Nous ne jurerons pas. Potius mori quam foedari. » Deux cent quarante-quatre furent fusillés dans le jardin du couvent, une trentaine épargnés; à deux cents pas de là, au Luxembourg, trois cents volontaires faisaient l'exercice (Roch Marcandier, témoin oculaire). Des prêtres furent exécutés de même au couvent Saint-Firmin. Puis, à la nuit, le peuple revient à la section de l'Abbaye : les massacres vont se régulariser en quelque sorte. Quant aux pouvoirs publics pendant cette journée, le conseil général de la Commune se contente de nommer des commissaires afin de protéger « les prisonniers pour dettes, ou pour mois de nourrice, ou pour des causes civiles »; le ministre de la guerre Servan, appelé au sein de la Commune, vers 9 heures du soir, n'y fait aucune allusion aux massacres; l'Assemblée législative, instruite à 6 heures des exécutions de l'Abbaye, et à 8 heures et demie, par Fauchet, de celles des Carmes, nomme cinq commissaires (Bazire, Dusaulx, François de Neufchâteau, Isnard, Lequinio) et passe à l'ordre du jour. A l'Abbaye, Isnard ne prit pas la parole. Le vieux Dusaulx ne put se faire écouter. Les commissaires vinrent rendre compte, sans indignation, de leur impuissance contre « des milliers d'hommes rassemblés. Nous nous sommes retirés, concluent-ils, et les ténèbres ne nous ont pas permis de voir ce qui se passait ». L'Assemblée se sépare tranquillement à 11 heures. A l'Abbaye, vers 9 heures, le mot de la foule était : « Nous ne partirons pas pour Verdun avant que tous les scélérats du 10 août ne soient exterminés ». Le procureur de la Commune Manuel employa, pour apaiser les furieux, « tous les moyens que lui suggéraient son zèle et son humanité » (récit de Tallien à la Commune, nuit an 2 au 3 septembre). Il tenta d'obtenir que l'on fit le départ des innocents et des coupables : mais une voix populaire lui répondit que les Prussiens et les Autrichiens, s'ils étaient à Paris, « frapperaient bien à tort et à travers, comme les Suisses du 10 août ». Cependant le comité de surveilance s'empara de l'idée de Manuel, et expédia l'arrêté suivant : « Au nom du peuple, - Mes camarades, il vous est enjoint de juger tous les prisonniers de l'Abbaye, sans distinction, à l'exception de l'abbé Lenfant, que vous mettrez dans un lieu sûr. Signé Panis, Sergent, administrateurs. » (L'abbé Lenfant avait un frère dans le comité de surveillance.) L'ordre fut exécuté. Le peuple nomme un jury de douze citoyens, avec Stanislas Maillard comme président Le livre des écrous sous les yeux, le président faisait comparaître à son tour chaque prisonnier, lui recommandait de dire la vérité, et lui demandait pourquoi il avait été arrêté. Tout mensonge était fatal : beaucoup durent la vie à leur sincérité. Quand l'accusé avait donné ses explications et répondu aux observations du jury, le président consultait ses collègues. En cas d'avis favorable, il le déclarait acquitté par jugement du peuple, et ordonnait sa mise en liberté cela au milieu de la joie des assistants, des embrassades, des cris de Vive la nation! Si l'acquitté était un citoyen jeune et valide, le président lui faisait prendre l'engagement d'aller à la frontière repousser l'ennemi; puis, sous bonne sauvegarde, on le reconduisait à son domicile. En cas de condamnation, la formule des jugements populaires de l'Abbaye était : A la Force! Dans la prison de la Force, l'on ne disait nullement : A l'Abbaye! mais bien Elargissez Monsieur! A peine sorti, le condamné tombait sous les coups de sabre et de pique, au milieu d'un mêrne silence. Parmi les victimes de l'Abbaye, on peut citer : 32 Suisses et 26 gardes du corps prisonniers du 10 août; des fabricants (ou prétendus tels) de faux assignats ou de faux billets de la Caisse de secours; l'ex-ministre des affaires étrangères Montmorin; Vigné de Cusay, qui avait commandé le feu contre le peuple au 17 juillet 1791; Thierry, valet de chambre de Louis XVI. Le vieux Cazotte dut la vie aux larmes de sa fille, mais pas pour longtemps. En même temps, les commissaires de la Commune firent mettre en liberté, à Sainte-Pélagie et à la Force, un grand nombre de détenus pour dettes ou pour causes correctionnelles. Pendant que la foule, avec sept canons, marchait sur les scélérats enfermés à Bicêtre et qui étaient à craindre en cas de revers militaire, la Commune faisait élargir les femmes détenues à la Petite-Force, dont quatre appartenaient à la maison de la reine. Une cinquième, Mme de Septeuil, fut acquittée par jugement populaire. On connaît le sort de Mme de Lamballe. D'après Peltier, le peuple condamna 164 prisonniers à la Force, et n'en aurait épargné que 9; or à ces 9 qu'il cite, on doit ajouter du moins 11 noms connus d'ailleurs, dont deux auteurs de mémoires, Weber et Matois de La Varenne. D'autres exécutions eurent lieu à la Conciergerie (le marquis de Montmorin, ex-gouverneur de Fontainebleau, 10 officiers suisses, 73 malfaiteurs); au Grand-Châtelet (149 criminels ou accusés de droit commun, la plupart fabricants de faux assignats); à Bicêtre (les condamnés pour crimes, qui, croyant d'après Prud'homme, que les contre-révolutionnaires, l'emportaient, crièrent : Vive le roi! donnez-nous des armes!) . - La prison de Bicêtre en 1791. Tout cet appareil de justice sommaire se déploya du 2 au 5 et même au 6 septembre. Les prêtres de l'Abbaye auraient été épargnés s'ils avaient voulu affirmer qu'ils avaient prêté le serment civique, on s'ils l'eussent prêté. Tous refusèrent et périrent (3 septembre), y compris l'abbé Lenfant, frère du membre de la Commune, et dont « la mort est le plus fort arguaient contre la préméditation des journées de septembre » (A. Marrast). Le tribunal populaire de l'Abbaye condamna le même jour de Maussabré, de Mailly (commandant des Tuileries au 10 août). Sombreuil condamné fut rendu aux larmes de sa fille. Tous les citoyens réclamés par leurs sections furent libérés. Sur l'acquittement du feuillant Jouneau, du publiciste Journiac de Saint-Méard, nous avons de curieux détails. Quant au nombre total des victimes, les calculs de Peltier donnent 1005, mais, sans autre preuve, il conclut à 8000; Maton de la Varenne donne 1089; Berville et Barrière donnent 12.852 dont 2.214 pour la Conciergerie seulement, dont les murs n'auraient pu contenir un tel nombre d'individus! La seule statistique consciencieuse, celle de Mortimer Ternaux, aboutit à 1368 victimes. Le salaire payé par la Commune à des assassins à gages est une légende girondine et royaliste : ce que paya la Commune, ce fut l'inhumation des cadavres. Mais l'événement, a écrit Napoléon, « était dans la forte des choses et dans l'esprit des hommes. Les Prussiens entraient : avant de courir à eux, on a voulu faire main basse sur leurs auxiliaires dans Paris. Peut-être le massacre influa-t-il dans ce temps sur le salut de la France. Qui doute que dans les derniers temps, lorsque les étrangers approchaient, si on eût renouvelé de telles horreurs sur leurs amis, ils eussent jamais dominé la France? Mais nous ne le pouvions, nous étions devenus légitimes. » L'eût-il pu et voulu, « l'esprit des hommes et la force des choses » n'étaient plus en 1814, ou 1815 ce qu'ils étaient en 1792. Le 2, à la voix du canon d'alarme, tout Paris était debout, aux sections, au Champ de Mars. Ceux qui s'abstinrent de prendre part aux exécutions sommaires paraissent donc les avoir tolérées comme une nécessité. Chaque jour, ce sont 1800 â 2000 volontaires équipés qui partent de Paris : ils ne s'occupent pas des prisons. Les élections à la Convention suivent leur cours; et tous les élus, sauf Danton alors ministre, furent des membres de la Commune ou du comité de surveillance. Danton laissa faire les massacres, comme Pétion, comme Roland, comme Servan, comme la commission des Vingt et un (girondine), comme la Législative. Gorsas, dont Roland expédiait le journal aux frais du Trésor, écrivait le 3 septembre : « Le peuple ne se trompe pas dans sa vengeance. Qu'ils périssent! Périr par leurs mains, ou qu'ils périssent par les nôtres, telle est la cruelle alternative ». Ainsi tous les partisans de la Révolution qui ne furent pas acteurs dans les journées de septembre, furent complices muets, passifs, et comme pliés sous le coup d'une force majeure. C'est plus tard que les Girondins, et d'après eux les royalistes, y découvrirent un plan suivi et prémédité, inventèrent ou exagérèrent des responsabilités individuelles. Il faut pourtant faire une place à part à la circulaire du 3 septembre, par laquelle la Commune annonçant le sort d'une « partie des Conspirateurs », ajoutait : « Sans doute la nation entière, après la longue suite de trahisons qui l'ont conduite sur les bords de l'abîme, s'empressera d'adopter ce moyen si nécessaire au salut... » Le contre-seing du ministère de la justice ne prouve pas que Danton, fort peu maître de ses bureaux où on ne le voyait guère, ait donné son approbation à un semblable programme. La circulaire ellemême, due à l'influence de Marat, ne prouve pas que la Commune ait organisé les massacres, mais simplement qu'elle les a considérés comme un moyen de salut public. (H. Monin). | |