| Roma (Religion romaine). - La ville de Rome fut de bonne heure personnifiée; dès le IIIe siècle avant l'ère chrétienne, plusieurs monnaies furent frappées, qui la représentaient dans l'attitude et sous les traits d'une guerrière, Pallas (Athéna) ou Amazone, debout ou assise, le plus souvent armée d'une lance et coiffée d'un casque. Mais elle ne fut divinisée que plus tard. Ce fut d'abord en Orient qu'elle fut considérée comme une déesse et qu'on lui rendit un culte véritable. Depuis très longtemps les Asiatiques et les Égyptiens adoraient leurs souverains; après Alexandre, les Grecs suivirent cet exemple; Démétrius Poliorcète, les Ptolémées, les Séleucides, les Attalides de Pergame reçurent des honneurs divins. Lorsque Rome devint toute-puissante en Orient, et surtout lorsque les villes grecques de la mer Égée et de l''Asie Mineure crurent trouver en elle une alliée contre les rois de Syrie, la cité romaine fut élevée au rang des dieux; et une déesse nouvelle, Roma ou (en grec) Théa Roma, fut introduite dans l'olympe hellénistique. Cette déesse eut ses temples, ses autels, ses fêtes régulières, ses prêtres. Smyrne se vantait d'avoir, la première entre toutes les villes grecques, dédié un sanctuaire à la ville de Rome, au début du IIe siècle av. J.-C. (Tacite, Ann., IV, 56); quelques années plus tard, Alabanda de Carie construisit un temple et, fonda des jeux annuels en l'honneur de la même déesse (Liv. XLIII, 6); en 105 av. J.-C., l'île d'Astypalée ayant fait alliance avec Rome, un exemplaire du traité conclu fut déposé par les habitants de l'île « dans le temple d'Athéna et d'Asclépios, près de l'autel de Rome ». (C. I.. Gr., 2485). Au Ier siècle av. J.-C., une association de négociants, d'armateurs et d'entreposeurs syriens, les Poseidoniastes de Béryte érigèrent à Délos une statue de la déesse Rome, leur bienfaitrice. Des jeux en l'honneur de Rome, les Romania, se donnaient chaque année dans plusieurs villes grecques, par exemple à Chalcis, à Oropos à Corcyre. Enfin, la légende Thea Roma se lit sur de nombreuses monnaies de cités grecques, dont la plupart semblent antérieures à Auguste. Le culte de la déesse Roma était répandu en Grèce et dans tout le bassin oriental de la Méditerranée avant la chute de la République. Lorsque Auguste se fut rendu maître de l'État Romain, les peuples d'Asie, d'Égypte et de Grèce s'empressèrent de lui décerner le titre de dieu et des honneurs divins. Auguste ne consentit à les accepter que comme associé de la déesse Roma. Ainsi Pergame put élever un temple, qui était dédié à le fois à Auguste et à Rome; il en fut de même dans tout l'empire, quand les provinces occidentales et l'Italie imitèrent l'Orient et la Grèce (Tacite, Ann., IV, 37; Suétone, August., 52). Du vivant d'Auguste, la personne de l'empereur et la déesse Roma furent adorées ensemble. Après la mort d'Auguste, le culte des empereurs devint une institution officielle et revêtit plusieurs formes : on adora l'empereur vivant, les empereurs morts, la famille impériale; on adora aussi l'empereur en général, Auguste, en donnant à ce mot un sens impersonnel et pour ainsi dire symbolique. Le culte de Rome ne disparut pas. Il continua d'être célébré en Italie et dans les provinces, soit isolément, soit conjointement avec, l'une ou l'autre des formes du culte impérial. Les documents épigraphiques font connaître des dédicaces à la Ville de Rome éternelle, Urbi Romae aeternae, à Rome éternelle, Romae aeternae ; ils mentionnent aussi des prêtres ou des flamines de Rome. Mais le plus souvent au nom de Rome on joignait le nom d'un empereur vivant ou mort, ou encore le nom d'Auguste. Un seul et même culte était rendu à la cité romaine et à la puissance impériale, toutes deux personnifiées. Dans chaque province, l'assemblée provinciale et son président, le prêtre provincial (sacerdos ou flamen provinciae); dans chaque cité, le prêtre ou flamine perpétuel (sacerdos, flamen, flamen perpetuus) étaient chargés de célébrer les cérémonies de ce culte moins religieux que politique. A Rome même, ce fut Hadrien qui construisit le premier un temple en l'honneur de la déesse Roma, associée à Vénus; ce sanctuaire, connu sous le nom de Temple de Venus et de Rome, était situé entre le Forum et le Colisée; il renfermait deux absides (cellae), qui se tournaient le dos. Plus tard ce temple fut communément appelé Templum urbis. Le culte et de la déesse Roma disparut, en même temps que celui des empereurs, après l'adoption du christianisme; les assemblées provinciales furent alors sécularisées et exclusivement des affaires de la province. Pendant tout le Haut-Empire, de nombreuses monnaies portèrent en effigie l'image de la déesse Roma (Roma aeterna, Théa Roma). La déesse Roma ne fut pas; en effet, une pure et simple abstraction. On lui donna une forme concrète; on la représenta sous des traits humains; on la revêtit d'attributs variés; en un mot, elle eut un type plastique. Ce type ne fut pas immuable. Avant même que les Asiatiques et les Grecs ne fissent de la cité romaine une déesse, les Romains eux-mêmes avaient personnifié leur ville. Sur plusieurs deniers consulaires et patriciens du IIIe siècle av. J C., Rome est déjà figurée de profil on de face, debout et apposée sur une lance ou bien sur un trophée d'armes : tantôt elle ressemble à Pallas; tantôt elle rappelle le type des Amazones, et son sein droit est découvert mais toujours son attitude et son caractère sont nettement guerriers; c'est évidemment aux Grecs de l'Italie méridionale, que les Romains empruntèrent les images dont ils se servirent pour représenter leur ville personnifiée. D'autres monnaies de la république romaine portent au droit une tête de femme casquée, qui a donné lieu à de nombreuses discussions entre les numismates. Les uns ont voulu y voir une image de Rome elle même : telle était l'opinion d'Aldini et surtout de Mommsen. Les autres, au contraire, niaient que cette tête ait jamais pu représenter Rome : après Eckhel et l'abbé Cavedoni, Kluegmann a soutenu cette thèse; il a fait remarquer, non sans raison, que l'ornementation du casque, dont cette tête est coiffée, dérive totalement ou presque totalement du grillon; or cet animal décorait le casque de l'Athéna Parthénos de Phidias, et, d'autre part, il ne semble avoir jamais eu aucun rapport avec Rome, par conséquent, cette tête casquée est celle, non pas de Rome, mais de Minerve. Babelon, dans ses Monnaies de la République romaine, a essayé de concilier les deux opinions contraires : d'après lui, c'est bien Rome personnifiée qui est représentée sur ces monnaies; mais les Romains ont conçu cette image à l'imitation du type grec de Pallas; ce choix est d'autant moins surprenant que dans la Grande-Grèce, c.-à-d. dans l'Italie méridionale, Pallas était parfois caractérisée par l'épithète Roma, mot grec qui signifiait : force, vigueur. Ce qui est certain, c'est que le plus ancien type plastique de Rome personnifiée est un type de caractère nettement guerrier. Lorsque Rome fut divinisée par les Orientaux et les Grecs, ses adorateurs lui attribuèrent d'abord une autre physionomie. La plus ancienne des statues de Rome qui soient parvenues jusqu'à nous est celle que les Poseidoniastes de Béryte érigèrent en l'honneur de la déesse dans l'île de Délos; elle est l'oeuvre de l'Athénien Mélanos. Bien qu'elle soit mutilée (la tête, le cou, le haut de la poitrine, les deux bras et le pied gauche manquent), il est facile de reconnaître que la déesse, n'a pas ici une nature belliqueuse. « La déesse Rome, entièrement drapée, porte sur la jambe droite et avance la jambe gauche [...]. L'attitude de la déesse n'a rien de guerrier, mais rappelle plutôt celle des villes orientales, personnifiées par l'art anatolien sous l'apparence de divinités pacifiques.-» (S. Reinach, 1883). Sur quelques monnaies de Phrygie et de Mysie, la tête de la déesse Rome est tourelée et rappelle le type de Cybèle turrita (Babelon, Inventaire sommaire des monnaies de la coll. Waddington). À mesure que le culte de Rome se répandit dans l'empire, les images de la déesse se multiplièrent; nous n'avons conservé qu'un petit nombre de statues et de têtes, mais les effigies numismatiques qui représentent la déesse sont d'une abondance extrême. Elles sont aussi très variées. D'une part, en effet, le type de divinité guerrière, qui avait été le type le plus ancien, se conserva jusqu'aux derniers temps de l'empire et même jusque sous Théodoric; d'autre part, des types nouveaux furent adoptés. Dans une étude intéressante et complète sur les types de Rome, Kenner a ramené en 1857 ces types à trois conceptions principales. Sous l'empire, disait-il, Rome fut considérée comme la divinité qui commande, qui nourrit, qui protège et défend. En tant que divinité qui commande, elle fut représentée sous les traits, dans l'attitude et avec quelques-uns des attributs d'Héra-Junon : elle trônait auprès de l'empereur, comme Héra aux côtés de Zeus; vêtue d'une longue robe ou stola qui l'enveloppait complètement, elle avait alors comme attributs principaux le sceptre et le globe terrestre. En tant que déesse mère et nourricière de tous les peuples, Roma fut comparée, soit à Cybèle, soit à Vénus : de là la couronne de tours qui lui fut attribuée surtout en Asie Mineure, ou le culte de Cybèle avait pris naissance et était resté très populaire; de là aussi la corne d'abondance, le laurier, la palme. Enfin, comme divinité qui protège et qui défend, Rome conserva le double type belliqueux qui lui avait été donné dès le début; elle fut représentée, tantôt en Pallas, et tantôt en Amazone. Souvent elle tient sur sa main droite tendue une image de la Victoire; souvent aussi elle élève un trophée. Debout ou assise, elle a toujours des armes pour attributs, en particulier la lance et l'épée courte ou parazonium ; elle est fréquemment casquée; parfois elle porte l'égide, comme Pallas. Même après l'adoption du christianisme et la disparition du culte de la déesse Roma, Rome continua d'être personnifiée, soit par des poètes, comme Claudien et Sidoine Apollinaire, soit sur les monnaies. Elle ne cessa définitivement de l'être qu'après la chute du royaume des Ostrogoths. (J. Toutain). | |