| Théodoric le Grand est un roi des Ostrogoths (454-526). Fils de Théodemir, roi de la fraction des Ostrogoths, établis en Pannonie au Ve siècle, il fut élevé à Constantinople ou il passa dix ans comme otage; et quoiqu'en lui le barbare n'ait jamais pleinement disparu, il y prit le goût des arts et y subit fortement l'influence de la civilisation romaine. Lorsque, en 475, il eut succédé à son père, il eut l'occasion de rendre d'importants services à l'empereur Zénon qui le fit sénateur, patrice, maître de la milice et consul (484). Devenu entre temps chef de tous les Ostrogoths, il était cependant fort redoutable pour l'empire, lorsque, cédant aux suggestions des réfugiés rugiens battus par Odoacre, il demanda à Zénon l'autorisation de conquérir l'Italie (488). Il l'obtint sans peine et, à la tête de tout son peuple, il quitta le Danube, battit les Gépides, descendit en Italie. Vaincu sur l'Isouza, puis à Vérone (489), enfin sur l'Adda (490), Odoacre dut se retirer dans Ravenne, où pendant trois ans il résista. Une paix conclue entre les deux rivaux (484) partagea entre eux le gouvernement de l'Italie, mais peu après Théodoric assassina Odoacre et demeura seul maître du pays (493). Le gouvernement de Théodoric en Italie offre un intéressant exemple de la façon dont les barbares tentèrent de s'accommoder avec les populations romaines quoique les vainqueurs aient pris possession du tiers des terres. Aucune violence notable ne marqua l'établissement des conquérants; le partage, fait par des fonctionnaires romains, ne suscita aucun trouble. Quoique l'armée de Théodoric ait été exclusivement composée de barbares, aucun privilège ne fut dans l'État attribué à l'élément goth. Guidé par un ministre habile, Cassiodore, entouré de conseillers romains, Théodoric s'efforça de maintenir l'égalité entre vainqueurs et vaincus; il respecta les lois et les institutions romaines, conserva le Sénat et l'organisation de l'administration provençale, maintint le système des impôts et y soumit les Goths, associa pour la justice les « comtes Goths » aux magistrats romains, promulgua une législation toute romaine (édit de Théodoric), s'appliqua, en un mot, par une large tolérance à fondre en un peuple les Grecs et les Romains. Il tâchait en même temps, par un gouvernement réparateur, de faire renaître la prospérité matérielle, favorisant l'agriculture et le commerce, entretenant les monuments publics, embellissant par des constructions magnifiques, Ravenne, sa capitale, encourageant les lettres et les goûts romains. Très tolérant enfin, quoique arien en matière religieuse, il se garda longtemps d'intervenir dans les affaires de l'Église et, quand la chaire de Saint-Pierre fut disputée entre Laurentius et Symmaque, il ne régla le différend en convoquant un concile (502) que sur la demande formelle des parties. Tranquille dans l'Italie pacifiée, il exerçait en outre sur tout le monde barbare une prodigieuse influence. Des alliances de famille l'unissaient à la plupart des souverains barbares, Vandales, Burgondes, Wisigoths, Francs, Thuringiens; par son prestige, il arracha les Alamans vaincus à Clovis (496), arrêta les progrès des Francs sur les Wisigoths et, comme prix de ses efforts, il obtint pour lui-même des Vandales la Sicile (491) et la Provence des Wisigoths (508). Arbitre de l'Occident, il devait grandir encore dans la légende germanique, qui l'a immortalisé sous le nom de Dietrich de Bern (Vérone). Cette suprématie était pourtant plus apparente que réelle, ce gouvernement moins solide qu'il ne semblait. Établi sur un territoire jadis appartenant à l'empire, Théodoric ne réussit jamais à établir avec Constantinopledes rapports bien définis; arien et barbare, il ne put parvenir à satisfaire ni l'Église, ni les populations d'Italie. Quoiqu'il ait obtenu, en 498, d'Anastase le renvoi des insignes impériaux jadis expédiés à Zénon par Odoacre, il ne fut jamais pour les Byzantins autre chose qu'un roi délégué du basileus et son vassal, et pour conserver la paix, pour gagner les populations romaines, il dut toujours s'efforcer de respecter cette fiction, tout en maintenant au reste pour le fond son autorité indépendante et vindicative. Il y avait là le germe de difficultés et de conflits futurs. Il ne réussit guère davantage à se concilier l'aristocratie romaine et l'Église. Quand, après la mort d'Anastase, Justin, puis Justinien persécutèrent l'arianisme en Orient, Théodoric, inquiet, usa de représailles. Le pape Jean, envoyé en ambassade à Byzance (523), expia durement l'insuccès de sa mission et le trop bon accueil qu'il trouva à Constantinople. Les grandes familles de l'aristocratie, suspectes de trop de sympathies pour l'empereur, en furent cruellement punies. Boèce et Symmaque payèrent de la vie (525) leurs tendances impérialistes. Ainsi, par le mécontentement qu'il suscita, l'accord que Théodoric avait rêvé d'établir était ruiné de ses mains et en même temps l'abîme qu'il avait créé entre sa famille et son peuple lui ôtait d'autre part l'appui des Goths. Quand Théodoric mourut (526), l'oeuvre qu'il avait tentée était, malgré la hauteur d'esprit qu'il y avait apportée, condamnée. L'Italie avait subi son pouvoir sans l'aimer ; l'Église tournait les yeux vers la souverain orthodoxe de Constantinople; les Goths enfin, par leurs dissensions, allaient fournir eux-même l'occasion d'intervenir au prince ambitieux qui régnait à Byzance et qui n'abdiquait pas les droits imprescriptibles de l'empire sur l'Italie et sur l'ancienne Rome. (Ch. Diehl). | |