| La magie. Dans toute cérémonie magique, il y a deux éléments à considérer : la personne même du magicien, l'acte qu'il accomplit. Certaines paroles, certains gestes, certaines pratiques ont, par elles-mêmes et indépendamment de la qualité de celui qui les prononce ou les exécute, une vertu efficace : tels sont, par exemple, les rites que l'on comprend sous le nom collectif de magie sympathique, les danses qui sont dansées au moment de partir pour une chasse ou une expédition guerrière et où sont mimés les mouvements des animaux on la fuite des guerriers ennemis, les rites agraires et fécondateurs de tous ordres, les cérémonies que célèbrent les faiseurs de pluie, les pratiques d'envoûtement et toutes, celles qui leur sont apparentées, au moyen desquelles on peut frapper de mort ou faire tomber malades ceux à qui on veut nuire ou bien encore les vouer à la souffrance et à la misère, les philtres par lesquels on peut contraindre à l'amour, les multiples recettes de médecine populaire, les rites de préservation et de purification et les exorcismes dont l'accomplissement fidèle tient à distance les influences dangereuses ou permet du moins de s'en délivrer, le port des amulettes qui préservent du mauvais sort et assurent le succès dans les entreprises. Parmi ces pratiques cérémonielles, il en est de si puissantes qu'elles agissent sur le cours même des astres on gouvernent souverainement les vents et la mer. Tantôt elles agissent directement par leur vertu propre; elles produisent alors l'effet désiré sans l'interposition de nul personnage surhumain, et c'est le cas par exemple de la plupart des rites célébrés par les indigènes d'Australie pour faire se multiplier les animaux dont ils mangent la chair, des pratiques usitées par les faiseurs de pluie africains, des recettes de magie médicale, des philtres d'amour, de tous ces meurtres à distance que tentent les sorciers. Tantôt elles exercent une action contraignante sur un dieu, sur un astre, sur un animal, sur la terre, le ciel ou la mer divinisés, sur un être, en un mot, investi d'un pouvoir surhumain, d'un pouvoir le plus souvent très supérieur à celui du magicien, et l'obligent à obéir à ses désirs, à faire ce qu'il souhaite; il semble que ce soit là l'interprétation qu'il faille donner de bon nombre des sacrifices rituels, et on a pu soutenir avec de très solides arguments que c'était ainsi qu'il fallait comprendre le sacrifice brahmanique. Le chamanisme mongol, les pratiques des angekoks esquimaux, des tohungas maoris, des jossakeeds indiens, nous fournissent des exemples très nets de cette seconde classe de rites. Il faut remarquer que les talismans sont en étroite relation avec ce groupe de pratiques : ce sont précisément en effet des objets en lesquels réside une vertu particulière qui donne mainmise sur un esprit ou un groupe d'esprits ou, d'une façon plus générale, d'êtres surhumains et permet de les enchaîner à son service. Bien que tous ces actes rituels ne puissent pas être indifféremment accomplis par le premier venu et que certains d'entre eux exigent même impérieusement, pour élis utilement célébrés, que le célébrant soit revêtu d'un caractère sacré, se trouve en des conditions déterminées de pureté légale ou cérémonielle, qu'il ait passé à travers certaines épreuves d'initiation ou se soit préparé spécialement à s'acquitter de sa fonction redoutable de maître des dieux parmi patient assujettissement à de rigoureuses austérités, prolongées pendant une période plus ou moins étendue, ils produisent toujours des effets et des effets puissants par le seul fait qu'ils ont été effectués. Ces effets peuvent d'ailleurs être nuisibles au magicien et se retourner contre lui, s'il a omis les précautions nécessaires et n'a pas su se garantir contre les périls qui entourent la création ou la mise en liberté d'une force surnaturelle. Il en est, au reste, pour l'accomplissement desquels nulle qualité particulière de l'agent n'est requise, et ce sont ceux-là surtout qui agissent directement sur les phénomènes sans que soit provoquée l'intervention d'aucun personnage surhumain. Mais si les incantations et les actes magiques ont par eux-mêmes une efficacité et une valeur, il est, d'autre part, certains individus qui sont investis d'une puissance magique, qui commandent aux éléments, qui guérissent les maladies par simple attouchement du malade, qui font par leurs paroles luire le soleil ou pousser les feuilles, qui peuvent tuer d'un reste, qui à volonté revêtent la forme de tel animal qu'il leur plaît, qui savent d'une parole rendre la vie à un mort et, dont la selle présence dans une armée amène la victoire, la seule présence dans une communauté d'agriculteurs la fertilité des champs. Tantôt cette puissance réside dans la fonction exercée par l'homme qui prononce la parole ou fait le geste, elle est inhérente à soi caractère sacré; c'est parce qu'il a été fait angegok ou biraark, parce qu'il est roi ou chef de tribu, parce qu'il est prêtre ou homme-médecine ou sorcier qu'il peut ce qu'il peut et fait ce qu'il fait; il est le véhicule d'une force surhumaine qu'une cérémonie sacrée a mise en lui ou le dépositaire d'une vertu merveilleuse que se transmettent de l'un à l'autre ceux qui occupent certaines charges publiques dans une communauté grande ou petite, dans un clan ou une nation. Tantôt, au contraire, cette même force, cette même vertu est un don individuel inhérent à la personne, un don que l'on possède comme l'agilité à la course, la vigueur musculaire, l'acuité de la vue ou la pénétration de l'intelligence et dont la possession confère à celui qui en est investi des privilèges parfois très étendus et l'exercice d'un réel pouvoir sur tous ceux qui l'entourent. Et à son tour ce mana, qui fait d'un homme plus qu'un homme, qui l'égale, sinon par l'étendue de son pouvoir, du moins par sa nature, aux dieux, vivante énergie des astres, de la terre et des eaux, résulte, ou bien de ce qu'un plus grand que lui, un être divin on à demi divin, habite en lui, ou directement de sa nature propre qui l'assimile aux Puissances dont l'arbitraire volonté gouverne et règle toutes closes. De ces hommes dont tout acte est un acte magique, les uns sont les réceptacles d'un dieu, les autres des hommes-dieux. Plus encore que des magiciens, ce sont des thaumaturges, des créateurs de prodiges. Mais fréquemment, ce sont ces dons mêmes, dont ils sont investis et qui se révèlent par quelque merveilleuse manifestation, qui les désignent pour les fonctions sacrées dont l'exercice leur conférera un accroissement de puissance magique. L'état de la personne, d'ailleurs, qui est chargée d'une fonction dont la possession entraîne la jouissance d'un pouvoir surhumain n'est point indifférent: si elle est maladive, ou âgée ou faible, la force magique, - qui est en elle, décline, et il faut qu'elle soit remplacée par une autre plus vigoureuse à laquelle celte force sera transmise; c'est là une des raisons essentielles du meurtre rituel du prêtre-roi. Cette conception prend du reste une netteté et une précision plus grandes dès qu'avec la croyance aux esprits et aux âmes s'est introduite la notion de la transmigration et de la réincarnation. Si certains objets, certaines plantes, certains animaux, certains lieux ont une puissance et une vertu magiques, c'est aussi, ou bien parce qu'un dieu est en eux, qui leur communique sa nature et les transforme en ses instruments, ou parce que par eux-mêmes ils sont des réservoirs de force, d'énergie efficace, la forme visible de volontés qui meuvent les choses comme la volonté de l'homme meut ses membres et qui suscitent à leur gré les événements dont est tissée la trame de l'univers. Ces êtres et ces objets possèdent des pouvoirs multiples, tantôt spécialisés en quelque sorte et adaptés à une lin unique, tantôt et le plus souvent indéfinis et capables de produire les résultats les plus divers; ces pouvoirs, du reste, ne résident pas seulement dans l'être ou l'objet tout entier, mais indivisément dans chacune de ses parties, dans chacun de ses fragments; de là la croyance à la vertu magique des éclats détachés d'une pierre sacrée, des feuilles ou des branches d'un arbre divin, de l'eau puisée à nue source où habite une vie plus qu'humaine, de là la foi dans la miraculeuse efficacité de l'attouchement des reliques. Ces agents d'effets merveilleux, hommes, animaux, fontaines, objets on plantes, ne sont pas considérés comme surnaturels par ceux qui ont foi en eux, et cela par la raison que la notion du surnaturel, tel que nous l'entendons, fait entièrement défaut, non seulement aux « non civilisés », mais à toutes les sociétés qui n'en sont point encore venues à se faire de la nature une conception scientifique ou à demi scientifique. Le miracle n'est pas pour elles la violation d'une loi, mais seulement la manifestation d'une force, d'une puissance qui passe l'ordinaire; il leur est un signe de la présence du dieu, mais un signe aussi peu «miraculeux», au sens moderne du mot, que les événements qui toujours se reproduisent uniformes, que le lever et le coucher du soleil, le retour régulier des saisons, la naissance et la mort des animaux et des hommes; le fleuve qui coule mi le blé qui pousse au sillon est, comme la résurrection d'un mort, la manifestation d'une vie divine, moins rare peut-être et moins puissante, mais identique en son essence. La notion dit surnaturel ne s'est constituée qu'à une époque très postérieure à celle où se sont formées les très anciennes religions naturistes; elle n'a pu apparaître qu'avec la conception de la transcendance des dieux, et l'idée d'un Cosmos gouverné du dehors par des volontés d'une incommensurable puissance avec la volonté humaine, et, pour qu'elle se développât dans les âmes, la condition presque nécessaire était que la foi y eût diminué dans le pouvoir des sorciers et que le monde ne leur semblât plus une société de vivants, doués de volontés conscientes, animés de violentes et capricieuses. passions et que peuvent contraindre à des actes, qu'ils ne souhaitent pas, des incantations et des charmes. (L. Marillier, c. 1900). | |