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Le
sacerdoce.
Toute religion pleinement
constituée implique un culte officiel et public; elle intéresse
le groupe tout entier, clan, tribu, cité ou nation; elle est chose
sociale autant qu'affaire individuelle. Ce n'est pas seulement l'intérêt
matériel et spirituel de chaque individu ou de chaque famille qui
est en cause dans les relations avec les dieux, c'est l'intérêt
collectif du corps social, La conséquence inévitable, c'est
que la célébration des rites doit appartenir. en toute société
qui a conquis quelque cohérence et quelque stabilité, à
un homme investi de pouvoirs publics, à un homme qui incarne dans
sa personne la communauté tout entière et qui a qualité
pour accomplir les cérémonies au nom de tous; c'est, en un
mot, que toute religion implique l'existence d'un sacerdoce, toute religion
du moins où des rites ont subsisté. Le rôle du prêtre
sera d'autant plus important que le caractère de la religion sera
plus ritualiste, que les pratiques sacrificielles et les cérémonies
connexes y tiendront une plus large place : dans une religion purement
spiritualiste d'où tout. rite sacramentaire aurait disparu, le prêtre
disparaîtrait pour faire place au prophète, à l'inspiré,
au docteur. Dans le ministre protestant, l'imam
ou le mufti musulman, c'est à peine
s'il existe quelque chose du véritable caractère sacerdotal.
Ce qui distingue
le prêtre du sorcier dans les religions antiques et celles des non
civilisés, ce n'est pas la nature des pratiques auxquelles ils ont
l'un et l'autre recours, des cérémonies qu'ils célèbrent
- elles sont dans bien des cas identiques - ce sont leurs relations avec
le corps social: le sorcier est un homme privé, le prêtre
un homme public. Le sorcier, c'est un homme qui a en lui une puissance
magique particulière et qui sait les gestes qu'il convient de faire
et les paroles qu'il faut prononcer pour contraindre à sa volonté
les dieux ou les esprits, on s'adresse à lui quand on veut obtenir
d'eux une faveur particulière et personnelle; le prêtre incarne
la communauté tout entière devant l'autel du dieu et accomplit
les rites qui doivent, lui procurer des avantages collectifs.
A l'origine, les
frontières de la société religieuse et celles de la
société civile sont identiques: dans la famille, le prêtre
naturel, c'est le père (même là le plus souvent où
la descendance n'est reconnue qu'en ligne maternelle), le culte qu'il célèbre
au foyer est d'ordinaire, mais non pas toujours, un culte ancestral; dans
le clan ou la tribu, c'est le chef; dans la cité ou la nation, c'est
le roi ou le magistrat suprême. Lorsque la vie sociale devient plus
complexe et la tâche du souverain plus lourde et plus difficile,
il délègue d'ordinaire ses pouvoirs à un prêtre
ou à un collège de prêtres, mais presque toujours il
est certains sacrifices que seul il a le privilège d'accomplir.
Même en des sociétés très barbares, et sur les
confins de la sauvagerie, il existe des prêtres : c'est que les rites
sont très compliqués, très minutieux, et exigent,
pour être célébrés comme il convient, un long
apprentissage auquel les chefs ne pouvaient se soumettre, c'est parfois
aussi qu'ils nécessitent que l'officiant soit entouré, comme
d'une barrière protectrice, de tout un réseau d'interdictions
légales, qui mettraient un chef de guerre hors d'état de
s'acquitter de ses devoirs. Mais il convient d'ajouter qu'en toutes les
cérémonies, les vieillards, les anciens de la tribu, le chef
surtout, ont une place importante et jouent un rôle essentiel.
Néanmoins,
avec la constitution du sacerdoce commence la séparation de la société
civile et de la société religieuse, qu'accentue la formation
de ces confréries magiques ou mystiques, dont les membres sont unis,
non plus par un lien de parenté naturelle or par l'obéissance
à un même chef et l'habitat d'un même territoire, mais
par la participation aux mêmes mystères, l'adhésion
aux mêmes règles cérémonielles, la mise en commun
des mêmes espérances. Ces confréries sont l'ébauche
des Églises; elles ont dans les thiases et les autres associations
religieuses de la Grèce d'exacts parallèles. Mais c'est surtout
l'avènement des religions éthiques, telles que le Judaïsme
svnagogal; le bouddhisme, le christianisme et l'islam, qui a donné
à la notion d'Église toute sa valeur et sa portée
: l'Église, c.-à-d. la communauté des fidèles,
est devenue, l'instrument essentiel de la piété, l'organe
même de la vie religieuse. La fin principale d'une Église
peut être ou l'édification mutuelle et l'adoration collective,
ou la célébration des rites; dans le premier cas, son organisation
n'implique pas l'existence d'un sacerdoce, et, à vrai dire, eu sens
précis du mot, les rabbins
juifs et les ministres protestants ne sont pas des prêtres; dans
le second, elle est l'exact parallèle de l'État antique,
elle est un être religieux collectif qui ne communique avec son protecteur
divin que par l'intermédiaire du personnage sacré qui l'incarne,
puisque seul il a la puissance de célébrer valablement au
nom de tous le sacrifice.
Il faut noter que
jusqu'à la constitution des religions éthiques et universalistes,
les cultes privés ont subsisté à côté
des cultes publics, et que les fonctions imparties aux prêtres sont
demeurées essentiellement et presque exclusivement des fonctions
sociales. Lorsque se sont formées les Églises, elles ont
fait de leurs prêtres les intermédiaires exclusifs entre la
divinité et les fidèles; il a donc fallu qui ils deviennent
les ministres des cultes privés comme du culte public, et les cérémonies
célébrées en leurs temples ont cumulé les fonctions
qui incombaient aux rites domestiques et familiaux, aux pratiques magiques,
aux cérémonies d'édification accomplies par les membres
des confréries sacrées. La conséquence, c'est que
leur caractère social s'est obscurci quelque peu et que le salut
individuel de chacun des membres de la congrégation a fini par apparaître
comme la fin essentielle de la vie religieuse collective. (L.
Marillier, ca. 1900). |
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