| Les mythes. Ce double caractère des dieux expliqué le double caractère des mythes où sont racontés les multiples incidents de leur surhumaine existence. Les dieux sont des phénomènes naturels et ils sont des hommes; tous les événements de la nature où ils sont mêlés se transforment en aventures humaines et, d'autre part, hommes surhumains, en relation avec les hommes de la terre, ils ont une existence pareille à celle des rois puissants et des plus habiles d'entre les sorciers 'et dont il serait vain de vouloir expliquer feus les épisodes par une allusion précise à un phénomène météorologique ou cosmique. Mais au cours même de toutes les bizarres, romanesques ou tragiques intrigues, où les a engagés l'imagination féconde de nos lointains ancêtres, ils ne se dépouillent jamais de leur primitif caractère, ils demeurent, si anthroponorphisés qu'ils nous apparaissent, le soleil, la lune, le vent du sud, la mer, l'étoile du matin, la ruée d'orage, l'aurore ou la nuit et, sinon les détails, la couleur du moins de leurs aventures résultent dans une large mesure de ce caractère originel. Nous n'insisterons pas ici sur les différentes classes de mythes, nous voudrions seulement marquer leur place dans l'ensemble des phénomènes religieux et préciser leur fonction. La mythologie, c'est pour le sauvage à là fois la théologie, la métaphysique et la science: à la conscience encore incapable d'abstraction du non civilisé. toute explication apparaît sous forme de récit, puisque les agents qui produisent les phénomènes de la nature et les êtres qui en constituent la trame sont des vivants, pareils en leur essence à l'homme lui-même et aux animaux, et ces récits serin t nécessairement merveilleux, puisque leurs héros sont investis de pouvoirs que nous appellerions surnaturels. C'est aussi, d'autre part, le une histoire des dieux, de leurs combats, de leurs alliances, à une description de leur genre de vie et de leurs habitudes que, jusqu'au jour relativement récent où la réflexion philosophique s'est exercée sur les conceptions religieuses, se devait réduire foule théologie. Un mythe, c'est donc essentiellement un récit merveilleux explicatif des événements de la nature ou de la nature des dieux. A l'imitation de ces mythes fondamentaux, d'autres mythes se sont créés qui n'expliquent rien, mais où apparaissent les héros habituels de ces histoires surhumaines, mêlés à la vie des sociétés et des individus, intervenant sans cesse dans leur existence quotidienne et en ces mythes de secondé formation, qu'il vaudrait mieux appeler légendes, prennent place, à côté des dieux naturistes, les ancêtres divinisés de leurs adorateurs. Ils ont mêmes aptitudes, mêmes capacités; mêmes aventures leur sont prêtées; il y a souvent entre eux une sorte d'identification partielle, et graduellement ces hommes magnifiés sont exaltés. au rang des dieux, traînant derrière eux dans le Panthéon céleste ou chthonien tous les souvenirs de leur existence terrestre. Mythes et rites exercent les uns sur les autres une profonde et réciproque influence : d'une part, il est certains mythes, et en beaucoup plus grand nombre que ne l'ont admis les mythologues d'autrefois, qui ont pour véritable origine la nécessité de fournir l'explication d'une cérémonie, dont le sens premier s'est effacé des esprits; d'autre part, il est nombre de rites qui consistent en une représentation mimique des actes du dieu et des multiples aventures où il s'est trouvé engagé; ici le culte n'est point autre chose que la mise en scène d'une légende, qu'un mythe en action. A l'origine, ces représentations ont une valeur efficace et se rattachent très étroitement aux pratiques de magie sympathique auxquelles nous avons fait allusion plus haut; plus tard, elles n'ont, plus qu'une signification à demi commémorative, à demi mystique et, deviennent essentiellement des instruments d'édification. Il est à peine nécessaire de rappeler la place prépondérante qu'elles occupent dans le rituel de la plupart des grandes religions historiques. La liturgie consiste, d'ailleurs, pour une large part, en récits plus ou moins dramatisés et d'allure souvent lyrique, qui commentent ces cérémonies et racontent, soit avec, quelque détail, soit seulement par allusion, les événements que miment les gestes sacrés. Les mythes n'ont donc pas créé le sentiment religieux, ils ont seulement permis à l'homme de se représenter en une forme sensible et concrète, seule intelligible pour lui à une certaine phase de son évolution, les objets de ses émotions religieuses et des croyances confuses quelles, impliquaient, en même temps qu'ils satisfaisaient à la nécessité qui s'impose à tout esprit pensant de s'expliquer à soi-même le monde ou il vit. et qu'ils fournissaient la théorie de ce vaste ensemble de pratiques, que nous. avons compris sous le, nom de magie. La durée de leurs fonctions explicatives est essentiellement limitée à celle de la longue période on l'esprit humain, incapable d'abstraction, ne pouvait encore substituer aux multiples volontés, dont il peuplait le monde, des forces et des lois, mais la durée de leur fonction proprement religieuse est bien plus considérable : elle est sans doute coextensive à celle de l'émotion pieuse elle-même, elle semble destinée à ne devenir jamais sans objet, et peut-être l'avenir lui réserve-t-elle un rôle plus important que celui qui paraît lui appartenir dans les formes les plus récentes et les plus évoluées des grandes religions historiques. Mais désormais les mythes ne peuvent plus être que des symboles à l'aide desquels on tente d'obtenir une représentation, qu'on sait inadéquate; du divin; nous ne saurions plus leur attribuer la signification historique et réaliste qu'ils revêtaient pour nos ancêtres. Dans les croyances des non civilisés, dans les formes anciennes et primitives des grandes religions naturistes, il n'y a nulle place pour l'allégorie, ni le symbole: il ne faut pas chercher derrière les rites ni les mots de sens caché ni mystérieux; tout doit être pris au pied de lai lettre, et il faut se garder d'interprétations qui altèrent le sens des cérémonies et des légendes. Mais peu à peu la réflexion en s'exerçant sur les mythes, qui reflétaient les manières de penser et de croire des âges antérieurs, a tendu dès les premières périodes de la spéculation philosophique, soit en Grèce, soit dans l'Inde ou l'Égypte, à les transformer en symboles, parce qu'en leur sens littéral ils ne satisfaisaient plus ni les exigences scientifiques, ni les besoins religieux d'une civilisation aussi avancée et que, cependant, ils faisaient corps si complètement avec les émotions pieuses, qui avaient trouvé en eux leur forme, qu'il semblait qu'on ne pouvait leur refuser toute place dans la conscience et dans la vie sans en bannir en même temps ces émotions. Graduellement, bien que la forme extérieure du mythe subsiste, des forces abstraites, immatérielles et impersonnelles se substituent. dans la pensée de ceux qui continuent de les raconter, aux esprits de la nature ou aux âmes des morts comme principe d'explication. (L. Marillier, c. 1900). | |