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Succession
des Bouddhas.
Le Bouddha Sâkyamouni ayant paru
à un certain moment de la durée et disparu à un autre
moment peu éloigné du précédent, le monde a
dû être privé de l'enseignement bouddhique pendant une
série indéfinie de siècles, et cet enseignement ne
peut se maintenir que si l'influence de Sâkyamouni,
l'unique Bouddha, persiste indéfiniment
dans son intégrité et dans sa puissance. Or cette double
condition est en contradiction flagrante avec les idées bien connues
des bouddhistes sur l'impermanence absolue
de toutes choses et sur l'évolution perpétuelle qui ramène
toujours les mêmes vicissitudes. Il était pour ainsi dire
fatal que les bouddhistes imaginassent une suite ininterrompue de Bouddhas,
et c'est ce qui n'a pas manqué d'arriver. On a assigné à
Sâkyamouni une période de 5000 ans au terme de laquelle doit
apparaître un nouveau Bouddha dont on sait le nom, Maitreya, et dont
on reproduit même déjà l'image. Mais, si le Bouddha
actuel, « notre Bhagavat » (comme on l'appelle), Sâkyamouni
/ Gautama, doit avoir un successeur, il faut bien qu'il ait eu un prédécesseur;
il en a eu un, en effet, le Bouddha Kâsyapa. Mais Kâsyapa lui-même
a eu un prédécesseur comme Maitreya aura un successeur. Il
y a ainsi une série de Bouddhas passés et futurs au milieu
desquels se trouve Sâkyamouni comme un simple chaînon. On dit
bien que l'apparition de Sâkyamouni a été une chose
nouvelle, inouïe; que, d'une manière générale,
l'apparition d'un Bouddha est une chose très rare; mais cela doit
être pris dans un sens relatif. En fait, les Bouddhas sont d'une
extrême rareté; en théorie le monde n'en est jamais
privé, en ce sens que chaque Bouddha a une période plus ou
moins longue, mais comprenant toujours plusieurs milliers d'années,
pendant laquelle son influence persiste, puis décline comme toute
chose en ce monde, pour faire place à celle d'un Bouddha nouveau.
Un des livres de la collection du Sud, le Bouddhavamsa raconte sommairement
l'histoire de vingt-cinq Bouddhas dont le premier est Dîpankara et
le dernier Gautama / Sâkyamouni, le Bouddha actuel. Il y a eu des
Bouddhas avant Dîpankara; mais il commence une série spéciale,
parce que c'est de lui que le Bouddha actuel, Sâkyamouni, alors simple
Brahmane, reçut la promesse d'être
un jour un Bouddha et, par conséquent, la dignité de Bodhisattva.
Outre Dîpankara, les prédécesseurs les plus rapprochés
de Sâkyamonni, Kâsyapa déjà cité, Kanakamouni,
Krakoutsanda, Visvabhou, Sikhi et Vipasyî sont ceux dont il est le
plus souvent question. Les bouddhistes du Nord ont beaucoup plus que ceux
du Sud donné carrière à leur imagination pour la multiplication
des Bouddhas; ils en connaissent trois mille répartis en trois âges
ou périodes : l'âge passé qui en compte mille, l'âge
futur qui en compte aussi mille, l'âge présent qui en compte
mille également. L'âge présent est celui qui nous touche
le plus; on l'appelle « l'âge heureux » (Bhadra-Kalpa),
et un livre tibétain qui porte ce titre énumère les
mille Bouddhas de cette période en donnant
sur chacun d'eux des renseignements dont
la nature sera expliquée ci-après. Dans cette énumération,
Sâkyamouni vient au quatrième rang après Krakutsanda,
Kanakamouni et Kâsyapa; Maitreya qui le suit fait le cinquième.
Ils forment ensemble ce qu'on appelle quelquefois les cinq Bouddhas. On
voit que nous ne sommes encore qu'au début de « l'âge
heureux » et qu'il a encore devant Iui un long avenir.
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Statues
du temple des 10 000 bouddhas, à Hong Kong. Source
: The World Factbook.
Perfections des
Bouddhas.
Cette immense variété de
Bouddhas aboutit, en fin de compte, à une fatigante et monotone
uniformité. Tous les Bouddhas se ressemblent; ils donnent le même
enseignement et passent par les mêmes péripéties d'existence.
La personne et la vie de Sâkyamouni sont un type sur lequel se modèlent
la personne et la vie de tout Bouddha. En ce qui touche la personne, chacun
possède trente-deux signes principaux et quatre-vingts secondaires.
Trois au moins des premiers méritent ici une mention spéciale
: l'excroissance qui est au sommet de la tête (ouchnicha);
la touffe de poils blancs placée entre les deux yeux (ournâ);
la roue (tchakra) empreinte sur la plante des pieds. Mais ces cent
douze signes ne sont pas spéciaux aux Bouddhas; ils appartiennent
aussi aux rois tchakavartins. Ce qui n'appartient qu'aux Bouddhas ce sont
les perfections morales, telles que les 10 forces, les 4 intrépidités,
les 4 bases de la puissance surnaturelle, etc. Nous ne pouvons y insister;
mais nous devons dire quelques mots sur cette puissance surnaturelle, dont
nous avons, du reste, eu l'occasion de citer quelques manifestations. La
puissance surnaturelle (riddhi) consiste dans le pouvoir de connaître
la pensée d'autrui, de se mouvoir à travers les airs, de
changer soi-même de forme et d'en faire changer les autres. Il y
faut rattacher le don de prédiction et le rire. Chose bien grave
que le rire d'un Bouddha! C'est l'avant-coureur d'une révélation
qu'il va faire. Au moment où il rit, des rayons de toutes couleurs
sortent de sa bouche, parcourent le ciel, la terre et les enfers en y produisant
des effets merveilleux, et rentrent dans la personne du Bouddha par telle
on telle partie de son corps, selon la nature de la déclaration
: par le dos si c'est une révélation du passé, par
la poitrine si c'est une révélation de l'avenir, par la plante
des pieds, si c'est la prédiction d'une renaissance dans les enfers,
par l'ouchnichasi c'est la prédiction de la Bodhi
parfaite, etc.
Episodes de la
vie d'un Bouddha.
Quant à l'histoire des Bouddhas,
elle se déroule suivant un ordre de faits connu, fixé d'avance.
La vie de Sâkyamouni a été découpée en
un certain nombre d'actes (les uns en comptent douze, les autres huit)
qui se reproduisent dans la vie de tout Bouddha; ce sont :
1° La
descente d'un des étages du ciel; 2° l'entrée dans le
sein d'une mère; 3° la naissance; 4° l'excellence dans les
arts; 5° le mariage et la vie en famille; 6° la rencontre d'un
vieillard, d'un malade, d'un mort et d'un religieux; (autrement dit les
quatre rencontres); 7° la sortie de la maison; 8° les mortifications;
9° la défaite de Mâra et l'acquisition de la Bodhi (quelquefois
séparées); 10° la rotation de la roue de la loi (c.-à-d.
la prédication de la doctrine); 11° le Nirvana; 12° le partage
des reliques.
II peut y avoir des variantes dans la classification.
Ceux qui ne comptent que huit actes suppriment les numéros 2, 4,
5, 12.
Les quinze particularités.
Outre ces douze actes qui forment la trame
de la vie d'un Bouddha, on donne sur chacun d'eux certains renseignements
rangés sous quinze chefs distincts. Le Soûtra tibétain
sur « l'âge heureux » les énumère pour
les 1000 Bouddhas de cette période fortunée. Ce sont-:
1 Le nom.
2 Le lieu de la
naissance.
3 La caste.
4 La longueur des
rayons lumineux.
5 Le père,
6 La mère.
7 Le fils.
8 Le confident ou
lieutenant.
9 Le disciple le
plus savant.
10 Le disciple le
plus habile.
11 Nombre des disciples.
12 Durée
de la vie.
13 Durée
de la période d'influence.
14 Les reliques.
15 Le ou les monuments
funéraires.
Pour rendre les choses plus claires, nous
donnons en un tableau les indications relatives pour ces quinze points
à Sâkyamouni, à son prédécesseur (Kâsyapa)
et à son successeur (Maitreya) :
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1 Kâsyapa.
2 Tchetana.
3 Brâhmane.
4 500 brasses.
5 Brahmadatta.
6 Dhanapati.
7 Sarthavâha.
8 Amitra.
9 Bharadhvadja.
10 Tichya.
11 20.000
12 20.000 ans.
13 70.000 ans.
14 Une seule masse
globulaire.
15 Un seul tchaitya. |
Sâkyamouni.
Kapilavastou.
Kchatrya.
1 brasse.
Souddhodana.
Mâyâdevî.
Râhoula.
Ananda.
Sâripoutra.
Maudgalyâyana.
1250.
100 ans.
5.000 ans.
Un grand nombre
de portions.
Plusieurs tchaitvas. |
Maitreya.
Radjakoulanagara.
Brâhmane.
4,000 brasses.
Brahmabhadra.
Brahmapati.
Pounyabala.
Sâgara.
Djnyânâsti.
Oudyoga.
960.000.000.
84.000 ans.
80.000 ans.
Une seule masse
globulaire.
Un seul tchaitya. |
Les noms propres relatifs à Kâsyapa
et Maitreya ayant été restitués en sanscrit
d'après le tibétain, nous
n'en garantissons pas la parfaite exactitude; mais cela n'a pas d'importance,
dans le cas présent, et n'ôte rien au caractère instructif
de ce tableau où l'on doit remarquer surtout la différence
des chiffres attribués à Sâkyamouni et de ceux qui
se rapportent à son prédécesseur et à son successeur.
Ne semble-t-elle pas indiquer que Sâkyamouni est un personnage réel
et que les autres sont imaginaires? En voyant par ce tableau et par ce
qui a été expliqué la ressemblance qui existe entre
tous ces Bouddhas faits sur le même patron, on comprend la qualification
de Tathâgata très souvent donnée au Bouddha ou du moins
l'interprétation qui attribue à ce terme le sens de venu
(âgata) ou allé (gata) comme (tathâ)
les autres Bouddhas.
Bouddhas de la
contemplation.
Ce ne fut pas assez pour les bouddhistes
d'avoir ajouté au Bouddha historique une multitude de Bouddhas imaginaires;
ils ont créé, en outre, des Bouddhas encore plus éloignés
de la réalité, qu'ils appellent Dhyâni-bouddhâs
(Bouddhas de la contemplation) et qu'ils opposent ou substituent aux Bouddhas
réels ou « humains » (Manouchya-buddhas), ceux mêmes
dont il vient d'être question. Nous parlerons ailleurs de ces Dhyâni-Bouddas
( Bouddhisme)
et nous terminerons ce que nous avons à dire des Bouddhas par quelques
explications sur les statues et les images
qu'on en a faites.
Images des Bouddhas.
La représentation figurée
de Sâkyamouni / Gautama a joué un très grand rôle
dans la propagation du bouddhisme. Il est représenté tantôt
debout, tantôt assis. La position debout indique la prédication;
c'est la plus rare; la position assise, de beaucoup la plus fréquente,
indique la méditation. Le Bouddha est généralement
assis sur un trône divisé en deux parties superposées,
dont chacune est garnie de feuilles, sans doute pour rappeler le tapis
de gazon de Bodhimanda. Une auréole entoure soit la tête,
soit tout le corps; souvent même il y en a deux; l'une entourant
le corps, l'autre plus petite enchevêtrée dans la première,
entourant la tête. L'ornementation soit du trône soit de l'auréole,
soit du Bouddha, est plus ou moins chargée; quelquefois le contour
de l'auréole a la forme de flammes qui se dressent comme des dards.
Le Bouddha assis a toujours les jambes croisées; seule la position
des mains diffère comme nous l'expliquerons. L'ouchnicha
(au sommet de la tête) et l'ourna (entre les deux yeux) sont
toujours indiqués; le tchakra (sur la plante des pieds),
l'est généralement; la longueur des oreilles est aussi un
trait caractéristique peu facile à expliquer, car il ne figure
pas dans l'énumération des signes. Le visage calme, placide
et doux, toujours imberbe, a un type indien plus ou moins accusé
selon le pays où a été réalisée la représentation
(le nez aquilin est ainsi remplacé parfois par un nez camus). De
plus, la multiplicité des Bouddhas a nécessité certaines
particularités dans l'imagerie bouddhique.
-
Bouddha
sur le nâga (art khmer).
Sans doute, on ne peut songer à
représenter les 3000 Bouddhas; mais il en est quelques-uns qui méritent
qu'on reproduise leurs traits, et plus spécialement Dipankara, qui
a prédit la Bodhi au futur Sâkyamouni,
et Maitreya, le Bouddha attendu. Parmi les artifices auxquels on a eu recours
pour différencier ces personnages sans trop s'écarter du
type, qui, pour les images comme pour tout le reste, soumet les Bouddhas
à une règle commune, la position des bras et des mains est
un des plus importants. Sâkyamouni est représenté le
bras droit tendu et pendant, le bras gauche plié, la main reposant
sur les jambes et tenant le vase à aumônes (le patra).
Maîtreya au contraire est représenté les bras en avant,
jouant avec ses doigts, comme s'il comptait ou donnait une explication.
Dans les représentations par le dessin ou la peinture, Sâkyamouni
n'est presque jamais isolé : il est ordinairement en face de Dipankara
ou de Maitreya ou de son fils Râhoula, ou bien placé entre
deux personnages qui sont soit ses deux principaux disciples, Soit l'un
d'eux et son fils ou Maitreya.
-
Art
de Gandhara. - Bouddha, les jambes
croisées,
dans l'attitude de la méditation;
une
auréole encadre la tête. L'inspiration est
indienne;
le traitement est grec.
Qualifications
des Bouddhas.
Nous avons cité chemin faisant
quelques équivalents du mot Bouddha; nous les réunissons
avec plusieurs autres en terminant cet exposé. Parmi les diverses
qualifications données au Bouddha, les plus remarquables et les
plus fréquentes sont les suivantes : Arhat
(digne), terme qui a pris un sens spécial; Djina (victorieux); Tathâgata,
rendu en chinois par Jou-lay (venu ou parti comme les autres Bouddhas);
mais cette inteprétation, généralement admise, ne
paraît pas exacte; Tathâgata signifierait « un être
comme les autres »; Sougata (bienvenu), Bhagavat (bienheureux ou
triomphateur), appellation très usitée, mais que les Brahmanistes
donnent aussi à Vishnu et même à
Shiva. Bien que ces divers noms puissent remplacer
et remplacent en effet le mot Bouddha, ils lui sont souvent adjoints. Ainsi
l'on dit fréquemment : Bhagavat-Bouddha, Tathâgata-Bouddha.
De toutes ces qualifications, celle de Bouddha paraît encore la plus
expressive et la plus exacte; et la propriété de ce terme
est encore mieux accusée par son rapport étroit avec le mot
Bodhi, qui désigne la science des Bouddhas.
Aussi ce nom a-t-il passé chez la plupart des peuples bouddhistes
: le Bourkhan des Mongols, le Fo (pour
Fo-to) des Chinois, le Boudou des Singhalais,
le Boudso des Japonais ne sont que des reproductions
plus ou moins fidèles du mot Bouddha. En général ce
mot, employé seul, désigne le Bouddha par excellence Sâkyamouni,
qui, néanmoins, est souvent appelé de son nom bouddhique
Sâkyamouni, au moins dans le Nord, et ordinairement dans le Midi,
de son nom patronymique Gautama, accompagné du qualificatif Samana
(ascète); d'où vient le Somana-Khodom des Thaïlandais.
La réunion des deux noms Sâkyamouni-Gautama ou Gautama-Sâkyamouni,
qui semblerait devoir être fréquente, ne l'est pas; mais elle
se rencontre.
Bouddha vivant.
Traduction du terme chinois Ho-fo, par
lequel on désigne les bonzes (en général
des supérieurs de couvent), dont le retour à la vie est toujours
constaté deux ou trois ans après leur mort. Ces personnages
sont ceux que l'on a appellés Lamae Renati (Lamas
Renés) et auxquels les Mongols donnent
la qualification de Khoubilghan (transformés). On compte
150 à 200 de ces Bouddhas vivants dans les couvents du Tibet,
de la Mongolie et de la Chine.
Le fameux Dalaï Lama n'est pas autre
chose que l'un d'entre eux, le plus éminent et le plus célèbre.
Ces personnages ne sont pas véritablement des Bouddhas; ils ne peuvent
même pas en être. Preuve en soit la circonstance caractéristique
de leur retour à la vie, l'exemption de ce retour à la vie
étant précisément le privilège des vrais Bouddhas.
En réalité, ce sont des Bodhisattvas,
et ce titre est bien le seul qui leur convienne. Mais ils sont appelés
à être des Bouddhas, et on leur donne par anticipation cette
qualification, dont l'application à leur situation présente
est en réalité très impropre. (L. Feer).
-
Un
Bouddha, à Chiang Mai (Thaïlande).
Source : The World Factbook.
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