| Rotruenge, rotrouange ou rotruonge, n. f. - Dans le répertoire des trouvères, chanson une chanson divisée ordinairement en couplets avec refrain uniforme à chaque couplet, mais n'ayant pas le caractère épique des chansons de toile (ou chansons d'histoire), et qu'on chantait en s'accompagnant sur la rote, instrument celtique, throtta britanna. Il roulait ordinairement sur l'amour et la galanterie. On lit dans le Brut de Wace : Moult ot à la cour jugléours, Chantéors et instrumentours; Moult poissiez oïr chansons, Rotruenges et nouviaux sons. Telle est, par exemple, la célèbre chanson que Richard Coeur de Lion, du fond de sa prison d'Allemagne, envoya aux siens pour se rappeler à eux; elle ne porte pas le titre de rotruenge dans les manuscrits, mais nous l'y trouvons donné à des pièces tout à fait semblables à celle-là. Le rotroenge était ordinairement composé de cinq couplets, avec un refrain de deux vers. Les deux vers du refrain rimaient ensemble; les autres rimes variaient dans le cours de la pièce. Un seul rotroenge, signalé par Raynouard, ne se conforme pas à ces règles : toutes les rimes y sont semblables et il n'a que quatre couplets. Chanson amoureuse, le plus souvent badine et très gaie, le rotroenge offrait, en général, une coupe de vers très favorable à la musique. Un manuscrit de la Bibliothèque nationale, qui contient un grand nombre de rotroenges, donne aussi la musique des airs sur lesquels on les chantait. Cette musique est écrite en notes carrées sur quatre ou cinq lignes, tracées à l'encre rouge. Le premier couplet seul est noté. Il est à peu près impossible aujourd'hui de retrouver le mouvement véritable de ces airs; mais la modulation rappelle toujours un peu celle des chants d'église. On peut faire rentrer dans cette catégorie, bien qu'elles soient souvent appelées chansons, presque toutes les pièces lyriques destinées au chant qui n'appartiennent pas à l'école provençalisante. Dans le nombre figurent beaucoup de pièces d'un caractère plaisant, politique ou satirique, composées notamment à Arras, au XIIIe siècle, et qui nous transportent dans le milieu turbulent et pittoresque de la bourgeoisie d'une grande commune du Nord. - Rotruenge de Jacques de Cambrai « Retrowange novelle dirai et bone et belle de la virge pucelle ke meire est et ancelle celui ki de sa chair belle nos ait raicheteit et ki trestous nos apelle a sa grant clairteit. Ce nos dist Isaïe en une profesie, d'une verge delgie de Jessé espanie istroit flors per signorie de tres grant biaulteit. or est bien la profesie torneie a verteit. Celle verge delgie est la virge Marie la flor nos senefie, de ceu nedouteis mie, Jhesu Crist ki la haichie en la croix souffri: fut por randre ceans en vie ki ierent peri.-» (Jacques de Cambrai, XIIIe siècle). | Par leur caractère sérieux, d'autre part; plusieurs de ces pièces paraissent mériter le nom de serventois, mot qui se présente indépendamment au Sud et au Nord, et qui paraît avoir désigné à l'origine des pièces de vers composées par ou pour des servents; des gens au service de grands seigneurs. Les serventois, dont le type précis est difficile à définir, ne sont pas astreints, même au XIIIe siècle, aux règles rigoureuses de l'art poétique savant. On a donné plus tard spécialement ce nom à des pièces composées en l'honneur de la Vierge Marie. Plusieurs airs qu'on chante encore dans les provinces de la France, s'ils ne sont pas exactement les mêmes, en sont du moins évidemment dérivés. (PL). | |