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Marie-Madeleine de La Fayette

Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, comtesse de La Fayette est une écrivaine, née à Paris, où elle fut baptisèe le 18 mars 1634, et où elle mourut dans la nuit du 25 au 26 mai 1692. Elle était fille de Marc Pioche, écuver, sieur de La Vergne, qui mourut vers 150, commandant au Havre, et d'Elisabeth Pena, d'une ancienne famille de Provence. Elle eut pour maîtres le P. Rapin et Ménage, qui lui enseignèrent le latin et l'italien, et dont le second l'a célébrée platoniquement dans les deux langues. Le second mariage de sa mère avec le chevalier de Sévigné (janvier 1651) la lia avec la marquise de Sévigné, nièce de celui-ci, et cette amitié dura toute la vie. Elle connut plus tôt encore le cardinal de Retz, ami de sa mère, et fut du nombre des précieuses sous le nom de Féliciane

Mariée, le 15 février 1655, à François Motier, comte de La Fayette, frère de la mère Angélique, supérieure du couvent de la Visitation de Chaillot, elle s'y rencontra souvent avec Henriette d'Angleterre, à laquelle elle inspira une vive affection. Après quelques séjours en Auvergne, à Naddes ou à Espinasse, terres du comte de La Fayette, elle revint se fixer à Paris, vivant dans son hôtel de la rue de Vaugirard, en face du petit Luxembourg. Elle perdit sa mère en 1693, et son mari restait si bien confiné en province que l'on a longtemps cru qu'il était mort longtemps avant sa femme. C'est seulement à la fin du XIXe siècle qu'un document trouvé dans les archives de la Trémoille a appris que ce mari discret avait vécu jusqu'au 26 juin 1683. 
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Relation de la mort d'Henriette d'Angleterre

« Le 24 juin de l'année 1670, huit jours après son retour d'Angleterre, Monsieur et elle allèrent à Saint-Cloud. Le premier jour qu'elle y alla, elle se plaignit d'un mal de côté et d'une douleur dans l'estomac, à laquelle elle était sujette : néanmoins, comme il faisait extrêmement chaud, elle voulut se baigner dans la rivière; M. Gueslin, son premier médecin, fit tout ce qu'il put pour l'en empêcher; mais, quoi qu'il lui pût dire, elle se baigna le vendredi; et le samedi elle se trouva si mal qu'elle ne se baigna point. J'arrivai à Saint-Cloud le samedi à dix heures du soir; je la trouvai dans les jardins; elle me dit que je lui trouverais mauvais visage, et qu'elle ne se portait pas bien. Elle avait soupé comme à son ordinaire, et elle se promena au clair de la lune jusqu'à minuit. Le lendemain dimanche, le 29 juin, elle se leva de bonne heure et descendit chez Monsieur, qui se baignait; et, en sortant de sa chambre, elle entra dans la mienne et me fit l'honneur de me dire qu'elle avait bien passé la nuit.

Un moment après je montai chez elle. Elle me dit qu'elle était chagrine, et sa mauvaise humeur aurait fait les belles heures des autres femmes, tant elle avait de douceur naturelle, et tant elle était incapable d'aigreur et de colère.

Comme elle me parlait, on vint lui dire que la messe était prête. Elle l'alla entendre, et, en rentrant dans sa chambre, elle s'appuya sur moi, dit avec cet air de bonté qui lui était si particulier qu'elle ne serait pas de si méchante humeur si elle pouvait causer avec moi, mais qu'elle était si lasse de toutes les personnes qui l'environnaient qu'elle ne les pouvait plus supporter.

Elle alla ensuite voir peindre Mademoiselle, dont un excellent peintre anglais faisait le portrait, et elle se mit à parler à Mme d'Espernon et à moi de son voyage en Angleterre et du roi, son frère.

Cette conversation, qui lui plaisait, lui redonna de la joie; on servit le dîner, elle mangea comme à son ordinaire; le même peintre anglais peignait Monsieur; on parlait de toutes sortes de choses, et cependant elle s'endormit. Pendant son sommeil elle changea si considérablement qu'après l'avoir longtemps regardée, j'en fus surprise, et je pensai qu'il fallait que son esprit contribuât fort à parer son visage, puisqu'il la rendait si agréable lorsqu'elle était éveillée, et qu'elle l'était si peu quand elle était endormie. J'avais tort néanmoins de faire cette réflexion, car je l'avais vue dormir plusieurs fois, et je ne l'avais vue moins aimable.

Après qu'elle fut éveillée, elle se leva du lieu où elle était, mais avec un si mauvais visage que Monsieur en fut surpris et me le fit remarquer.

Elle s'en alla ensuite dans le salon, où elle se promena quelque temps avec Boisfranc, trésorier de Monsieur, et, en lui parlant, elle se plaignit plusieurs fois de son mal de côté.

Monsieur descendit pour aller à Paris, où il avait résolu de se rendre. Il trouva Mme de Mekelbourg sur le degré et remonta avec elle. Madame quitta Boisfranc et vint à Mme de Mekelbourg; comme elle parlait à elle, Mme de Gamaches lui apporta, aussi bien qu'à moi, un verre d'eau de chicorée, qu'elle avait demandé il y a déjà quelque temps. Mme de Gourdon, sa dame d'atour, le lui présenta. Elle but; et, en remettant d'une main la tasse sur la soucoupe, de l'autre elle se prit le côté et dit avec un ton qui marquait beaucoup de douleur : « Ah! quel point de côté; ah! quel mal! je n'en puis plus. »

Elle rougit en prononçant ces paroles, et, dans le moment d'après, elle pâlit d'une pâleur livide, qui nous surprit tous; elle continua de crier, et dit qu'on l'emportât, comme ne pouvant plus se soutenir.

Nous la primes sous les bras, elle marchait à peine, on la déshabilla dans un instant; je la soutenais pendant qu'on la délaçait; elle se plaignait toujours, et je remarquai qu'elle avait les larmes aux yeux; j'en fus étonnée et attendrie, car je la connaissais pour la personne du monde la plus patiente.

On alla en même temps appeler son premier médecin, M. Esprit; il vint et dit que c'était la colique et ordonna les remèdes ordinaires à de semblables maux; cependant les douleurs étaient inconcevables. Madame dit que son mal était plus considérable qu'on ne pensait, qu'elle allait mourir et qu'on lui allât quérir un confesseur.

Monsieur était devant son lit, elle l'embrassa, et lui dit avec une douceur et un air capables d'attendrir les coeurs les plus barbares : « Hélas! Monsieur, vous ne m'aimez plus, il y a longtemps; mais cela est injuste, je ne vous ai jamais manqué. » Monsieur parut fort touché, et tout ce qui était dans sa chambre l'était tellement qu'on n'entendait plus que le bruit que font des personnes qui pleurent.

Tout ce que je viens de dire s'était passé en moins d'une demi-heure. Madame criait toujours qu'elle sentait des douleurs terribles; tout d'un coup elle dit qu'on regardât à cette eau qu'elle avait bue, que c'était du poison, qu'on avait peut-être pris une bouteille pour l'autre, qu'elle était empoisonnée, qu'elle le sentait bien, et qu'on lui donnât du contrepoison.

On lui fit prendre plusieurs drogues dans cette pensée de poison, et peut-être plus propres à lui faire du mal qu'à la soulager. L'irritation de ces remèdes et les excessives douleurs qu'elle souffrait la mirent dans un abattement qui nous parut être du repos; mais elle nous dit qu'il ne fallait pas s'y tromper, que ses douleurs étaient toujours égales, qu'elle n'avait plus la force de crier, et qu'il n'y avait point de remède à son mal.

Cependant le curé de Saint-Cloud qu'elle avait mandé, était venu. Monsieur me fit l'honneur de me demander si on parlerait à ce confesseur; je la trouvais fort mal; il me semblait que ses douleurs n'étaient point celles d'une colique ordinaire : mais, néanmoins, j'étais bien éloignée de prévoir ce qui devait arriver, et je n'attribuai les pensées qui me venaient dans l'esprit qu'à l'intérêt que je prenais à sa vie. Je répondis à Monsieur qu'une confession faite dans la vue de la mort ne pouvait être que très utile, et Monsieur m'ordonna de lui aller dire que le curé de Saint-Cloud était venu.

Une de ses premières femmes de chambre était passée à son chevet pour la soutenir; elle ne voulut point qu'elle s'ôtât, et se confessa devant elle. Après que le confesseur se fut retiré, Monsieur approcha de son lit; elle lui dit quelques mots assez bas que nous n'entendîmes point, et cela nous parut encore quelque chose de doux et d'obligeant.

Monsieur lui demanda si on ne l'incommodait point. « Ah! non, Monsieur, lui dit-elle, rien ne m'incommode plus; je ne serai pas en vie demain matin, vous le verrez. » On lui donna un bouillon parce qu'elle n'avait rien pris depuis son dîner; sitôt qu'elle l'eut avalé, ses douleurs redoublèrent et devinrent aussi violentes qu'elles l'avaient été lorsqu'elle avait pris le verre de chicorée. La mort se peignit sur son visage, et on la voyait dans des souffrances cruelles, sans néanmoins qu'elle parût agitée.

Cependant le roi était auprès de Madame. Elle lui dit qu'il perdait la plus véritable servante qu'il aurait jamais; il lui dit qu'elle n'était pas en si grand péril, mais qu'il était étonné de sa fermeté, et qu'il la trouvait grande.

Le roi, voyant que, selon les apparences, il n'y avait rien à espérer, lui dit adieu en pleurant. Elle lui dit qu'elle le priait de ne point pleurer, qu'il l'attendrissait, et que la première nouvelle qu'il aurait le lendemain serait celle de sa mort.

Le roi s'en alla, et les médecins déclarèrent qu'il n'y avait aucune espérance. M. Feuillet vint : il parla à Madame avec une austérité entière, mais il la trouva dans des dispositions qui allaient aussi loin que son austérité. Elle eut quelque scrupule que ses confessions passées n'eussent été nulles et pria M. Feuillet de lui en faire une générale. Elle le fit avec de grands sentiments de piété et de grandes résolutions de vivre en chrétienne, si Dieu lui redonnait la santé.

L'ambassadeur d'Angleterre arriva dans ce moment; sitôt qu'elle le vit, elle lui parla du roi, son frère, et de la douleur qu'il aurait de sa mort. Elle en avait parlé déjà plusieurs fois dans le commencement de son mal. Elle le pria de lui mander qu'il perdait la personne du monde qui l'aimait le mieux. Ensuite l'ambassadeur lui demanda si elle était empoisonnée je ne sais si elle lui répondit qu'elle l'était, mais je sais bien qu'elle lui dit qu'il n'en fallait rien mander au roi, son frère, qu'il fallait lui épargner cette douleur, et qu'il fallait surtout qu'il ne songeât point à en tirer vengeance, que le roi n'en était point coupable, qu'il ne fallait point s'en prendre à lui.

Elle disait toutes ces choses en anglais, et, comme le mot poison est commun à la langue française et à l'anglaise, M. Feuillet l'entendit et interrompit la conversation, disant qu'il fallait sacrifier sa vie à Dieu et ne pas penser à autre chose.

Il demeura au chevet de son lit, et, quasi dans le même moment, Madame lui dit de rappeler M. de Condom et qu'elle sentait bien qu'elle allait expirer. M. de Condom se rapprocha et lui donna le crucifix, elle le prit et l'embrassa avec ardeur. M. de Condom lui parlait toujours, et elle lui répondait avec le même jugement que si elle n'eût pas été malade, tenant toujours le crucifix attaché sur sa bouche. La mort seule le lui fit abandonner. Les forces lui manquèrent, elle le laissa et perdit quasi en même temps la parole et la vie.-»
 

(Mme de la Fayette, Mémoires).

Vers 1665 ou 1666, une intimité très étroite, dont le caractère ne sera sans doute jamais bien défini, s'établit entre elle et le duc de La Rochefoucauld, qu'elle avait connu vraisemblablement dès 1653. Sous son influence, dit-on, il aurait adouci quelques-unes de ses Maximes (parues en 1665) dans les éditions de 1672 et de 1678. Indépendamment de Ménage, qui mourut deux mois après elle, elle eut encore pour amis Huet, Segrais, qu'elle recueillit après sa rupture avec Mlle de Montpensier (1671), La Fontaine, Bossuet, le grand Condé, son fils, Langlade, Mmes du Lude, du Plessis-Guenégaud, etc. Liée dès sa jeunesse avec Mlle de Nemours, elle entretint avec elle une correspondance politique, lorsque cette princesse fut devenue duchesse de Savoie, puis régente (1665-81), et défendit ses intérêts auprès de Louis XIV

En 1662, trois ans avant les Maximes, parut, sans nom d'auteur, son premier roman, la Princesse de Montpensier (Paris, in-12), que suivirent, au double intervalle de neuf ans et de sept ans, Zaïde, histoire espagnole (Paris, 1670, 5 vol. in-8), publiée sous le nom de Segrais (qui a tour à tour avoué et démenti cette paternité), et précédée d'une lettre de Huet sur l'Origine des romans; la Princesse de Clèves (Paris, 18 mai 1678, 4 vol. in-12, mais qui existait en manuscrit dès 1672). Ce dernier roman, son chef-d'oeuvre, et le premier en date des romans psychologiques, fut critiqué par Valincour dans ses Lettres à la marquise de X..., et défendu par l'abbé Charnes, dans sa Conversation sur la critique de la « Princesse de Clèves ». On lui avait reproché l'aveu de Mme de Clèves pour réfuter cette critique, elle écrivit une nouvelle, la Comtesse de Tende, où l'héroïne est placée dans une situation telle que le parti le plus honnête qu'elle puisse prendre est encore de se confier à son mari. Le caractère de fidélité historique a été confirmé par L. Lalanne, qui en a rapproché de curieux passages de Brantôme.
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Portrait de Madame de Sévigné

« Je ne veux point m'amuser à vous dire que votre taille est admirable, que votre teint a une beauté et une fleur qui assure que vous n'avez que vingt ans; que votre bouche, vos dents et vos cheveux sont incomparables; je ne veux point vous dire toutes ces choses, votre miroir vous le dit assez : mais, comme vous ne vous amusez pas à lui parler, il ne peut vous dire combien vous êtes aimable quand vous parlez, et c'est ce que je veux vous apprendre. Sachez donc, madame, si par hasard vous ne le savez pas, que votre esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point sur la terre de si charmante, lorsque vous êtes animée dans une conversation dont la contrainte est bannie. Tout ce que vous dites a un tel charme et vous sied si bien que vos paroles attirent les ris et les grâces autour de vous; et le brillant de votre esprit donne un si grand éclat 'à votre teint et à vos yeux que, quoiqu'il semble que l'esprit ne dût toucher que les oreilles, il est pourtant certain que le vôtre éblouit les yeux, et que, quand on vous écoute, on ne voit plus qu'il manque quelque chose à la régularité de vos traits, où l'on vous cède la beauté du monde la plus achevée. Votre âme est grande, noble, propre à dispenser des trésors, et incapable de s'abaisser aux soins d'en amasser. Vous êtes sensible à la gloire et à l'ambition, et vous ne l'êtes pas moins aux plaisirs : vous paraissez née pour eux, et il semble qu'ils soient faits pour vous; votre présence augmente les divertissements, et les divertissements augmentent votre beauté, lorsqu'ils vous environnent. Enfin la joie est l'état véritable de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu'à qui que ce soit. Votre coeur, madame, est sans doute un bien qui ne se peut mériter; jamais il n'y en eut un si généreux, si bien fait et si fidèle. Il y a des gens qui vous soupçonnent de ne le montrer pas toujours tel qu'il est; mais au contraire vous êtes si accoutumée à n'y rien sentir qui ne vous soit honorable que même vous y laissez voir quelquefois ce que la prudence vous obligerait de cacher. Vous êtes la plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais été; et, par un air libre et doux qui est dans toutes vos actions, les plus simples compliments de bienséance paraissent en votre bouche des protestations d'amitié; et tous les gens qui sortent d'auprès de vous s'en vont persuadés de votre estime et de votre bienveillance, sans qu'ils puissent se dire à eux-mêmes quelle marque vous leur avez donnée de l'une et de l'autre. Enfin vous avez reçu des grâces du ciel qui n'ont jamais été données qu'à vous; et le monde vous est obligé de lui être venue montrer mille agréables qualités qui jusqu'ici lui avaient été inconnues. »
 

(Mme de la Fayette, Mémoires).

En 1665, elle avait commencé, sur l'invitation de Madame et avec ses confidences, une histoire de cette prin cesse. L'interrompant peu après, elle la reprit en 1669; mais la catastrophe du 30 juin 1670 l'empêcha de la poursuivre au delà de 1665 et elle y ajouta seulement plus tard le récit de la mort de la duchesse. Le livre parut posthume sous ce titre Histoire de Madame Henriette d'Angleterre, première femme de Philippe de France, duc d'Orléans, par dame Marie de La Vergne, comtesse de La Fayette (Paris, 1720, in-12, de 223 p.). Tout porte à croire que Mme de La Fayette avait écrit des souvenirs étendus, dont les Mémoires de la cour de France pour les années 1688 et 1689 (Amsterdam, 1731, in-12, de 234 p.) ne sont qu'une faible partie. On a encore de Mme de La Fayette un Portrait de Mme de Sévigné, des Lettres à Mme de Sévigné (publiées avec les Lettres de celles-ci, et dans les Lettres de Mme de Villars; Paris, 1805, in-12); à Huet (publiées par  Henry, dans Un Erudit, homme d'Eglise et homme de cour; Paris, 1879, in-8); à Segrais et à Ménage. Sa correspondance avec Lescheraine, secrétaire de la duchesse de Savoie, a été donnée par A. D. Perrero (Lettere inedite di Madame di Lafayette Turin, 1880). 

Sa santé, toujours délicate, était devenue tout à fait mauvaise dans les derniers temps de sa vie, que la mort de La Rochefoucauld (17 mars 1680) avait à jamais assombrie. Elle ne quittait guère Paris que pour Saint-Maur, chez Gourville, et Fleury. (E. Asse).

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Dictionnaire biographique
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