| Martin Opitz est un poète allemand, né à Bunzlau le 23 décembre 1597, mort à Dantzig (Gdansk) le 17 août 1639. Dans sa vie, Opitz nous apparaît plutôt comme un homme avisé et prudent, habile à se tirer d'affaire dans les circonstances les plus difficiles que comme un grand caractère. Aussi bien n'était-il guère possible à un savant et à un homme de lettres allemand de traverser autrement la période troublée de la guerre de Trente Ans. Opitz fit ses premières études à Bunzlau, puis à Breslau (1614-1615), enfin à Benthen (1616-1618), où il se révèle déjà comme un érudit et un latiniste de talent. De 1619 à 1620, il fréquente l'Université de Heidelberg. Chassé par l'arrivée de l'armée espagnole de Spinola, il mène pendant quelques aimées une existence errante, voyageant en Hollande, où il fait la connaissance de Heinsius (1620), puis en Jutland, revenant ensuite en Allemagne, acceptant une place de professeur â Weiszenburg en Transylvanie (1622-1623) pour rentrer de nouveau, peu après, en Silésie. En 1626 enfin, il trouve une position stable comme secrétaire du burgrave Charles-Hannibal de Dohna, qu'il avait accompagné l'année précédente à Vienne dans une députation auprès de l'empereur. Pendant sept ans, Opitz, bien que protestant, fut l'agent actif et dévoué de Dohna, qui était fougueux catholique et travaillait avec énergie à ramener la Silésie au catholicisme. Après la mort de son protecteur, en 1633, il passa de nouveau du côté des protestants, entra même un instant an service des Suédois, pour revêtir finalement la charge d'historiographe du roi Vladislas de Pologne (1637). Deux ans après, il mourait au cours d'une épidémie de peste. Sa destinée, on le voit, n'a rien d'héroïque. C'est un esprit délié et politique, peu embarrassé de scrupules de conscience, expert dans l'art de s'insinuer dans les bonnes graves des grands et de tirer de son talent poétique le parti le plus avantageux possible. C'est commue réformateur de la poésie et en particulier de la versification qu'Opitz a surtout mérité ce litre de « Père de la poésie allemande », qui lui était décerné, un siècle encore après sa mort, par Gottsched. Dans ses deux ouvrages critiques les plus connus : Aristarchus sive De contemptu linguae Teutonicae (1617), et Martini Opitii Buch von der Deutschen Poeterey (1624; réédition dans les Neudrucke de Halle, n° 1), Opitz a formolé les principes essentiels de la poésie allemande moderne. Tandis qu'avant lui la plupart des poètes composaient des vers plus on moins informes, construits d'après le principe de la numération des syllabes, abstraction faite de l'accentuation et de la quantité, Opitz s'efforce de rendre le vers allemand régulier et de le construire d'une manière conforme au génie de la langue. Au lieu de se borner à compter les syllabes comme les poètes du temps, il proclame en outre qu'elles doivent se succéder selon un rythme régulier, iambique ou trochaïque; ce rythme est déterminé non pas comme dans la métrique ancienne par la quantité des syllabes, mais bien par leur accentuation; le vers se compose ainsi non pas d'une succession de longues ou de brèves, mais d'une alternance régulière de syllabes plus accentuées et de syllabes moins accentuées, de temps forts et de temps faibles. Martin Opitz conciliait ainsi le principe de la numération des syllabes avec le vieux principe de la métrique germanique qui reposait sur l'accent. La réforme d'Opitz n'est pas, à vrai dire, absolument originale. Des principes identiques aux siens avaient été exposés avant lui par Claius et surtout par les savants hollandais, en particulier par Vander-Milius; en Allemagne même, il semble qu'Opitz ait eu un précurseur immédiat en Ernst Schwabe von der Heyden, dont l'oeuvre est malheureusement perdue aujourd'hui. C'est à lui, toutefois, que revient incontestablement le mérite d'avoir fait triompher ces principes de métrique non seulement en les formulant avec justesse et précision, mais encore et surtout en joignant l'exemple au précepte et en composant des poésies d'un style soutenu et d'une forme irréprochable, qui se sont imposées à l'admiration et à l'imitation de ses contemporains et de la postérité. Pendant près d'un siècle, Martin Opitz a passé en Allemagne pour le poète par excellence ; la muse de la poésie allemande a été baptisée Opitzinne; on a dit opitzieren pour « faire des vers ». Et si, au XVIIIe siècle, on a reconnu peu à peu les inconvénients des principes posés par lui, si, par l'imitation des mètres populaires ou des mètres antiques. on a cherché à introduire un peu de variété dans le vers d'Opitz si monotone avec son alternance régulière de temps fort et de temps faible, il n'en faut pas moins reconnaître qu'il a exercé une influence décisive sur les destinées de la poésie allemande. La poésie de Martin Opitz n'a plus depuis longtemps qu'un intérêt purement historique. On n'y trouve ni émotion ni imagination ; aussi bien Opitz a-t-il une nature de courtisan et d'érudit plutôt qu'un tempérament de poète. Au point de vue de la forme comme au point de vue du fond, il s'inspire de modèles étrangers. Souvent il n'est qu'un simple traducteur. Nombre de ses Odes sont des imitations directes de Ronsard; d'autres fois, il s'inspire de modèles latins comme Horace, Lucilius et Caton ou traduit des poètes hollandais comme Grotius ou Heinsius. Comme auteur dramatique, il copie les librettistes italiens et traduit du Sénèque et du Sophocle. Dans le genre de la pastorale, il traduit ou imite Barclay et Sidney. C'est un industrieux arrangeur, médiocrement original et pou inspiré, qui manque de spontanéité et d'élan, qui laisse trop souvent l'érudition étouffer la sensibilité, mais qui a le mérite incontestable d'avoir donné le premier aux Allemands des modèles de poésie véritablement littéraire, assez artificielle, il est vrai, mais classique par la forme. A ce point de vue, les Deutsche Poemata (premier recueil édité en 1624 par Zinkgref et désavoué par Opitz, qui publia, en 1625, une version remaniée de ses poèmes, sous le titre de : Martini Opitii Acht Bücher Deutscher Poematum durch Ihn selber herausgegeben) sont une date importante dans l'histoire de la littérature allemande. (Henri Lichtenberger). | |