| Étienne Dolet est un érudit né à Orléans le 3 août 1509, mort à Paris le 3 août 1546. D'une famille bourgeoise assez riche, il reçut une instruction littéraire très développée. De 1521 à 1526, il fit à Paris sa rhétorique sous Nicolas Béraud, un des professeurs d'éloquence et de littérature latines les plus célèbres de la Renaissance. Il passa ensuite à l'université de Padoue où il suivit les leçons de l'helléniste Musurus, et celles de l'humaniste Simon Villanovanus. En 1530, il accompagna, en qualité de secrétaire, Jean de Langeac, évêque de Limoges, chargé d'une ambassade à Venise, et il ne négligea point cette occasion d'assister aux cours d'éloquence de Giovanni-Baptista Egnazio qui jouissait alors d'une renommée considérable. De retour en France en 1531, Étienne Dolet s'établit à Toulouse pour y étudier la jurisprudence (1532-1534). Il y connut Jean de Pins, évêque de Rieux, qui fut le plus fidèle de ses protecteurs; Jean de Caturce, professeur de droit, peu après brûlé vif comme hérétique; Jean de Boyssone, également professeur de droit et condamné à un an d'exil, comme suspect de luthéranisme (Luther); Arnoul Le Ferron, Jacques Bording et autres lettrés et savants. Surtout il s'y distingue en prononçant, comme orateur des étudiants français, deux harangues dont la hardiesse causa une très vive effervescence et lui attira la haine des capitouls et des membres du parlement. II fut arrêté et emprisonné sous l'accusation d'avoir excité les étudiants à la révolte, et d'avoir attaqué le parlement. Grâce aux démarches de J. de Pins, il fut bientôt relâché; mais ses ennemis le firent expulser de Toulouse. Étienne Dolet se fixa à Lyon où il se lia avec le savant imprimeur Gryphius. C'est alors que son activité littéraire se donna amplement carrière. Durant les douze années qu'il séjourna à Lyon, Dolet ne donna pas moins de quinze ouvrages, et en même temps il travailla comme correcteur et lecteur chez Gryphius et plusieurs autres imprimeurs. Grand admirateur de Cicéron, Étienne Dolet ne manqua pas de prendre part à la grande querelle des cicéroniens qui passionnait alors le monde irritable des lettrés. II défendit Longueil contre les attaques d'Érasme avec une âpreté et une violence excessives. Depuis douze ans, il préparait le grand ouvrage sur la langue latine qui établit sa réputation d'humaniste. Il le publia de 1536 à 1538 (2 vol. in-fol.), sous le titre de Commentariorum linguae latinae. C'est un dictionnaire étymologique où les mots sont classés par racines et expliqués, non seulement par rapport à leur signification, mais aussi par rapport à la nature des choses spécifiées. De très nombreuses notes et des digressions souvent volumineuses donnent à ce lexique un intérêt particulier et en font une source de renseignements précieux. Mais entre l'impression de son premier et de son second volume, Dolet s'étant pris de querelle avec un peintre nommé Compaing, eut le malheur de le tuer. Il se rendit en toute hâte à Paris pour implorer le pardon de François Ier qui s'empressa de le lui accorder. Pourtant à son retour à Lyon, il fut incarcéré jusqu'au 21 avril 1537, et le pardon royal ne fut enregistré par le Parlement que six ans plus tard. En 1538, Étienne Dolet épousa Louise Giraud, et la même année obtint du roi, grâce au cardinal de Tournon, le privilège d'imprimeur. Il édita alors, outre ses propres traités, une série d'ouvrages parmi lesquels on peut citer des opuscules de Galien, la Chirurgie de Paul d'Egine, et surtout le Gargantua de Rabelais et les oeuvres de Marot avec lesquels il s'était lié d'amitié vers 1534. Les livres de Dolet sont marqués d'une doloire tenue par une main sortant d'un nuage, au-dessous un tronc d'arbre vert avec la devise : Scabra et impolita adamussim dolo atque perpolio. La publication des oeuvres de Rabelais et de Marot, les épigrammes qu'il s'était lui-même permises contre les moines, avaient attiré de nouveau sur lui l'attention de l'Église. Il mit le comble à sa mauvaise réputation en éditant coup sur coup des ouvrages convaincus d'hérésie comme le Manuel du chevalier chrestien et le Vray Moyen de bien et catholiquement se confesser d'Érasme, la Fontaine de Vye le Livre de la Compaignie des Pénitens, des Bibles, des livres calvinistes (Calvin), etc. On résolut de le poursuivre, et vers le milieu de l'année 1542, il fut, par ordre de l'inquisiteur général Mathieu Orry, arrêté et incarcéré dans la prison de l'archevêché de Lyon. Le 2 octobre, il était condamné à être brûlé, étant reconnu coupable d'hérésie et fauteur et défenseur des hérétiques et erreurs pernicieuses; il fut livré au bras séculier. Étienne Dolet interjeta appel au parlement de Paris, il fut transféré à la Conciergerie en 1543, écrivit une pétition au roi pour obtenir son pardon, et, protégé chaudement par Pierre Duchâtel, reçut des lettres de grâce, à condition d'abjurer ses écrits devant l'official de l'évêque de Paris. Mis en liberté à la fin de 1543, après quinze mois d'emprisonnement, il revint à Lyon, se montra extrêmement prudent dans ses affaires d'imprimerie, et se garda de s'occuper de théologie : mais ses ennemis ne désarmèrent pas. Ils adressèrent à Paris deux ballots marqués de son nom, remplis de livres sortis de ses presses et de livres hérétiques imprimés à Genève. Ces ballots furent saisis et Dolet de nouveau emprisonné à Lyon; il réussit à tromper ses geôliers et s'enfuit en Piémont où il demeura caché quelque temps, et où il écrivit une série d'épîtres en vers à François Ier, au parlement de Paris, à la reine de Navarre et autres personnages de marque. Mais il commit l'imprudence de rentrer en France, fut arrêté et enfermé à la Conciergerie (1544). Après deux années de procédure il fut par le parlement (2 août 1546) reconnu coupable de blasphème, de sédition et d'exposition de livres prohibés et damnés, et condamné à être conduit à la place Maubert, « où sera dressée et plantée en lieu commode et convenable une potence à l'entour de laquelle sera fait un grand feu auquel, après avoir été soulevé en ladite potence, son corps sera jeté et brûlé avec ses livres, et son corps mué et converti en cendres.-». Il fut de plus soumis à la question extraordinaire, et ses biens furent confisqués. La condamnation fut exécutée le jour suivant. Étienne Dolet subit son supplice avec un grand courage, mais il n'est pas très sûr qu'il mourut en plaisantant, comme on le rapporte communément, et la fameuse phrase : Non dolet ipse Dolet sed pia turba dolet a dû être inventée après coup, tout comme la réponse du lieutenant criminel : Non pie turba dolet sed Dolet ipse dolet. Dolet tour à tour revendiqué et repoussé par les protestants, rejeté par les catholiques, soit comme athée, soit comme protestant, exalté par les libres penseurs, a suscité une infinité de polémiques et aujourd'hui même l'accord n'a pu s'établir ni sur son talent, ni sur son caractère. L'un des meilleurs jugements qu'on ait encore porté sur lui est celui de Nicéron : « Il fut outré en tout, aimé extrêmement des uns, haï des autres à la fureur : comblant les uns de louanges, déchirant les autres sans pitié, toujours attaquant, toujours attaqué, savant au delà de son âge, s'appliquant sans relâche au travail, d'ailleurs orgueilleux, méprisant, vindicatif et inquiet. » La ville de Paris lui a érigé, en 1889, une statue sur la place Maubert. (R. S.).
| Éditions anciennes - Nous citerons seulement : Dialogus de imitatione ciceronïana (Lyon, 1535, in-4); Commentariorum linguae latinae (Lyon, 1536-1538, 2 vol. in-fol.); Cato christianus (1538, in-8); Formulae latinarum locutionum illustriorum (1539, in-fol.); Genethliacum Claudii Doleti, liber vitae commun in primis utilis et necessarius (Lyon, 1539, in-4 ; Paris, 1830); Observationes in Terentii comaedias (Lyon, 1540, in-8); Ciceronis epistolae familiares (1540, in-8, trad. franç., 1542, in-16); les Gestes de Françoys de Valois (1540, in-4); la Manière de bien traduire d'une langue en autre (1540, in-4, souvent réimprimé); le Second Enfer d'Estienne Dolet (1544, in-16); Cantique d'Estienne Dolet (Paris, 1829, in-12). | | |