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Les Montagnards |
Aperçu | Causes | Constituante | Législative | Convention | Directoire |
Le nom de Montagne a été donné à la partie la plus révolutionnaire de la Convention, parce qu'elle occupait les bancs les plus élevés de la salle où cette assemblée tenait ses séances. Les membres de la Montagne, appelés Montagnards, étaient les chefs des Jacobins et des Cordeliers; ils renversèrent le parti des Girondins le 31 mai 1795, et furent le parti dominant jusqu'à la chute de Robespierre le 9 thermidor (27 juillet 1794). A la fin de novembre ou au commencement de décembre 1792, Robespierre, dans une de ses Lettres à ses commettants (non datées, t. II, p. 23), définissait la Montagne en ces termes : « On appelle ainsi, depuis les premiers temps de la Révolution, une partie de le salle où se plaçait, dans l'Assemblée constituante, un petit nombre de députés qui défendirent la cause du peuple jusqu'au bout, avec le plus de constance et de fidélité.»Le parti montagnard aurait donc été, au début, le groupe des démocrates de la Constituante. Mais alors, sous la Constituante, on ne rencontre pas cette appellation. On la rencontre parfois sous la Législative. On voit qu'au début de la Convention elle n'était pas encore très populaire, puisque Robespierre se croit tenu d'en expliquer le sens à ses commettants. Il ajoute : « Dans l'Assemblée actuelle [ ...] Il y a, dans la plaine et dans le pays aquatique, de très braves gens et des Montagnards, et, sur la Montagne, on entend bourdonner quelquefois des insectes feuillantins et de petites mouches girondines échappées du Marais. »Il y a donc des Montagnards un peu partout dans la Convention, et ils ne forment pas un groupe. Ces mots : la Montagne, les Montagnards, ne furent populaires qu'en juin 1793, au fort de la lutte contre le fédéralisme. Cependant on peut dire qu'il y eut vraiment une Montagne à la Convention une fois qu'il se fut formé une coalition contre les Girondins, en faveur de Paris de la dictature parisienne. Contre la droite, qui voulait pratiquer en temps de guerre, dans un camp, une politique de paix, une politique libérale, décentralisatrice, départementale, anti-parisienne, la gauche défendit une politique révolutionnaire, dictatoriale, qui plaçait provisoirement Paris à la tête de la France, constituait au club des Jacobins un foyer irrésistible d'énergie patriotique, et mettait en oeuvre, contre les ennemis extérieurs et intérieurs, des moyens violents. Cette coalition n'est pas formée d'éléments fixes, n'a pas de programme avoué, du moins dans la période qui nous occupe, c'est-à-dire jusqu'à la chute de la Gironde. Mais elle a un cadre : c'est le club des Jacobins. Brissot en est rayé, le 10 octobre 1792; les autres Girondins en sont rayés bientôt ou s'en retirent. Le club n'est plus formé que de démocrates partisans de Paris. Les mots Jacobins et Montagnards deviennent pour un temps synonymes. Ce sont les Girondins qui prêtaient aux Montagnards une organisation en parti, des chefs, un programme. Cependant il n'y avait nul concert entre Robespierre, par exemple, et Cambon, entre Danton et Anacharsis Cloots. Quant au programme de la Montagne, qu'en disaient les Girondins? Ils accusaient les Montagnards d'être des anarchistes, des désorganisateurs, tendant au nivellement général. Cette accusation ne reposait sur rien : aucun des individus importants de la Montagne ne formula alors le moindre plan de réforme radicale. Robespierre, à la fin de 1792, déclarait qu'il se contentait de la constitution de 1791 déroyalisée. Les Montagnards mirent même plus d'ardeur que les Girondins à flétrir l'idée da la « loi agraire ». C'est Danton qui, le 21 septembre 1792, fit décréter le maintien des propriétés. C'est Barère qui, le 18 mars 1793, fit décréter la peine de mort contre les partisans de la loi agraire. Dans le prétendu programme des Montagnards, les Girondins disaient qu'il y avait... le rétablissement de la royauté. Ce n'est pas seulement le romancier Louvet, c'est aussi le sage Condorcet, on l'a vu, qui traitait les Montagnards de royalistes. Il est certain que Robespierre et Danton n'étaient pas des républicains de la veille; il est certain aussi que Philippe-Égalité siégeait sur les bancs de la Montagne, et que, quand les Girondins demandèrent son bannissement, les Montagnards s'y opposèrent. D'autre part, lorsque Buzot proposa (4 décembre 1792) de décréter la peine de mort contre quiconque proposerait le rétablissement de la royauté, cette proposition fut combattue par une partie des Montagnards, entre autres par Basire, qui déclara "qu'elle porterait atteinte à la liberté de la sanction que le peuple est appelé à donner à la constitution ». Il alla même jusqu'à dire, si on en croit le Moniteur : « Ne dirait-on pas que votre république n'est établie que par la force d'une faction? »Mais il n'existe aucun indice que les Montagnards songeassent alors à rétablir le trône. C'est par point d'honneur qu'ils défendaient Philippe-Égalité, qui siégeait avec eux. Les attaques des Girondins eurent pour résultat de les engager dans une politique anti-royaliste furieuse : ils firent guillotiner Louis XVI, et, au 2 juin, ils proscrivirent Philippe-Égalité avec les Girondins. La situation se trouva ainsi retournée, au détriment des Girondins, et ce sont les Montagnards qui furent désormais, aux yeux du peuple, les véritables champions de la république. Est-il vrai qu'il y eût entre les Montagnards une solidarité du crime? Est-il vrai qu'ils fussent les auteurs on les complices des massacres de septembre? Oui, disaient les Girondins, et ils harcelaient leurs adversaires du souvenir de septembre, sans cesse évoqué. Seul Marat avait une responsabilité dans les massacres. Robespierre en était innocent. Danton, alors ministre de la justice, avait fait tout ce qui était humainement possible pour en empêcher l'extension. Mais Robespierre et Danton, au fort de leur lutte contre la Gironde, eurent pour allié Marat : c'était une des nécessités de leur politique parisienne. Bientôt il arriva ceci : c'est qu'exaspérés de s'entendre reprocher les journées de septembre par des hommes qui les avaient hautement excusées, beaucoup d'entre eux en vinrent, par colère et par politique, à louer ces massacres, qu'ils avaient jusqu'alors déplorés. C'est le 5 novembre 1792, aux Jacobins, qu'eut lieu ce revirement. Manuel ayant dit qu'en septembre le peuple, méchant comme un roi, avait voulu faire sa Saint-Barthélemy, Collot d'Herbois protesta, et il déclara que, tout en gémissant sur les maux particuliers, tout en « donnant à l'humanité les regrets qu'elle exige », il fallait reconnaître « que, sans le 2 septembre, il n'y aurait pas de liberté, il n'y aurait pas de Convention nationale ». Il déclara même que c'était là « le grand article du credo de notre liberté ». Barère, alors hésitant entre les deux partis et accusé par Merlin (de Thionville) d'avoir blâmé les massacres, vint dire : « Cette journée, dont il ne faudrait plus parler, car il ne faut pas faire le procès à la Révolution, présente aux yeux de l'homme vulgaire un crime, car il y a eu violation des lois, mais aux yeux de l'homme d'État elle présente deux grands effets : 1° de faire disparaître ces conspirateurs que le glaive de la loi semblait ne pouvoir atteindre; 2° d'anéantir tous les projets désastreux enfantés par l'hydre du feuiltantisme, du royalisme et de l'aristocratie, qui levait sa tète hideuse derrière les remparts de Verdun et de Longwy-».Fabre d'Églantine déclara que « ce sont les hommes du 18 août qui ont enfoncé les prisons de l'Abbaye, et celles d'Orléans, et celles de Versailles ». Sur sa motion, la Société arrêta « qu'il serait rédigé un mémoire historique de tous les événements de la Révolution jusqu'à ce jour », et, à cet effet, elle nomma pour commissaires Fabre d'Églantine, Panis, Tallien, Danton, Chabot, Basire et Collot d'Herbois. Ce « mémoire historique » ne fut point fait; mais, le 30 novembre 1792, la Société adopta une circulaire aux sociétés affiliées, rédigée par Robert et Chabot, où elle répondait à diverses accusations formulées par les Girondins contre les Montagnards, entre autres à l'accusation de triumvirat, de dictature, et où elle parlait honorablement de la journée du 2 septembre, « journée si dénaturée, si calomniée dans les départements ; journée cependant si essentiellement liée avec celle du 10 août qu'elle a non moins contribué que celle ci à sauver la république ». Que s'est-il donc passé dans cette journée, d'après les Jacobins? Il y a eu deux choses : 1° les enrôlements volontaires; 2° les massacres. Les enrôlements volontaires sont beaux, les massacres sont excusables. Les deux événements sont, en fait, inséparables. En somme, c'est une apologie assez douteuse, peu franche. Mais désormais les Jacobins déclarent que faire le procès aux journées de septembre, c'est faire le procès à la Révolution. Quand les Girondins eurent fait voter des poursuites contre les auteurs des massacres (20 janvier 1793), les Jacobins accentuèrent leur apologie de ces massacres. Le 10 février, Billaud-Varenne vint dire à leur tribune que cette « vengeance terrible » avait contribué au salut de la patrie, en « arrêtant le roi de Prusse pendant six jours », et le club décida d'envoyer ce discours aux sociétés affiliées. La société de Lisieux ayant fait une manifestation que nous n'avons pas retrouvée, en faveur de la politique girondine, le Comité de correspondance des Jacobins de Paris lui écrivit, le 14 février, une lettre où cette fois, sans ambages et sans réserve, les massacres étaient approuvés. On y lisait, à propos du projet de garde départementale pour protéger la Convention contre Paris « Le prétexte adroit de cette insidieuse demande était fondé sur l'insurrection des 2 et 3 septembre, insurrection qu'ils ont lâchement calomniée, ne pouvant le faire de celle du 10 août, insurrection qui, il est temps de le dire, a sauvé la patrie et la liberté. Ils l'ont calomniée en éludant ou controuvant les faits qui l'ont produite. Ils se sont empressés de répandre, quelque temps après l'événement, que c'était un massacre excité par des vengeances particulières, et exécuté par quelques hommes : ils n'ont pas senti, les scélérats, que, si ce massacre n'eût pas été général, eux et les fonctionnaires publics étaient coupables de ne l'avoir pas empêché; ils se sont bien gardés de faire savoir que les fédérés des 83 départements y ont aussi coopéré, que les Parisiens, forcés de quitter leurs foyers pour aller combattre l'ennemi qu'ils n'étaient pas sûrs d'empêcher de pénétrer jusqu'à Paris, où ils laissaient leurs femmes et leurs enfants sous le poignard des conspirateurs du dedans, se voyaient entre deux grands dangers; que le complot d'armer les prisonniers détenus depuis la journée du 10 août fut découvert. que les tribunaux, paralysés, ne jugeaient plus ces conspirateurs, les absolvaient, ou les laissaient échapper, témoins Montmorin. Narbonne et le ci-devant prince de Poix, tous suppôts de l'aristocratie, qui avaient été soustraits à la justice du peuple souverain en retenant sa vengeance par la promesse expresse de faire tomber les coupables sous le hache des lois. Les personnes faibles d'entre les patriotes ont été induites en erreur sur ces faits; les modérés, les aristocrates. les feuillants ont jeté les hauts cris sur ce massacre, qui a fait reculer leur cher Brunswick et le roi de Prusse (tremblant que les prisonniers du Temple ne fussent aussi égorgés, s'ils faisaient un pas de plus); ils ont voilé la grande terreur dont ils étaient saisis de l'indignation de leur prétendue sensibilité, et ils se sont rangés du côté de ceux qui, pour vous mettre aussi de leur bord, ont voté avec les patriotes la république et l'abolissement de la royauté. »C'est ainsi que les Jacobins ou Montagnards (ces deux mots sont alors synonymes), presque tous étrangers aux massacres de septembre, en vinrent « se charger eux-mêmes de la responsabilité de ces massacres ». Sans doute ni Robespierre ni Danton n'acceptèrent cette responsabilité. Mais Robespierre eut beau montrer par son silence qu'il n'approuvait pas l'attitude rétrospective des Jacobins à propos des massacres; Danton eut beau, à la tribune de la Convention, le 10 mars 1793, regretter « ces journées sanglantes, sur lesquelles tout bon citoyen a gémi » : le parti montagnard se présenta à la postérité les mains tachées du sang de septembre, comme le voulaient les Girondins, et l'idée républicaine en fut longtemps discréditée. Les Montagnards avaient ils alors une politique religieuse commune? Non : Rohespierre n'avait pas encore imposé à ses amis le culte de l'être suprême. Les Montagnards étaient déistes, comme les Girondins, les uns à la Voltaire, les autres à la Jean-Jacques Rousseau. Peut-être s'indignaient-ils plus contre l'athéisme que ces Girondins qui applaudissaient l'alliée Jacob Dupont. Mais c'était, chez ceux là comme chez ceux ci, affaire de tactique politique. Aucune différence religieuse essentielle ne se remarquait alors entre les Girondins et les Montagnards. La vraie différence entre les deux partis, ce qui faisait qu'il y avait deux partis - on ne saurait trop le répéter, parce que cette vérité a été longtemps obscurcie -, c'est que les Montagnards voulaient que, dans cette crise de la défense nationale, Paris fût la capitale dirigeante, tandis que les Girondins s'opposaient à cette prépondérance de Paris. Mais si les Montagnards tenaient pour la dictature de Paris, est-il vrai qu'ils voulussent alors transformer peu à peu cette dictature de la capitale en la dictature d'un homme? C'est Marat qui demandait cette dictature d'un homme, et il était seul ou presque seul à la demander. Les Montagnards voulaient-ils établir un triumvirat? Les prétendus triumvirs, Robespierre, Danton et Marat, n'étaient pas d'accord. Cependant ces fables girondines ne furent pas sans crédit, parce que vraiment ces trois hommes ne furent pas sans influence. Ils parurent diriger la Montagne vers un même but, parce que les événements aboutirent au triomphe de la Montagne sur la Gironde; mais ils ne s'accordaient ni sur le but ni sur la méthode, quoiqu'ils fissent alors semblant d'être d'accord. (Aulard). Les Montagnards eurent presque tous une vertu civile, le désintéressement, qui si elle ne rachète ni leurs excès ni leurs crimes, rappelle à un plus juste appréciation le sens qu'ils donnèrent à leurs actes. Robespierre ne laissa pas un sou après sa mort. Saint-Just, noble et riche, avait abandonné tout son bien à la commune de Blérancourt. Envoyé en mission, l'abbé Grégoire réduisait ses dépenses pour ménager les deniers de l'État. « Devinez, écrivait il à Mme Dubois, combien mon souper de chaque jour coûte à la nation : juste deux sous; car je soupe avec deux oranges. »Il rapporta au trésor public le fruit de ses économies, une petite somme épargnée sur ses frais de voyage, et nouée dans un coin de son mouchoir. Cahors, père d'une nombreuse famille, et membre de la Convention, à l'époque la plus florissante de cette assemblée, mourut, sans rien dire, de misère... Les montagnards qui survécurent à la terreur thermidorienne parvinrent presque tous à l'extrême vieillesse. Aucun d'eux ne se reprocha d'avoir versé le sang de Louis XVI; mais beaucoup auraient voulu racheter la faute qu'ils commirent en abandonnant Robespierre. Écoutons Billaud-Varennes, l'un des plus énergiques montagnards Nous avions besoin de la dictature du Comité de salut public pour sauver la France. Aucun de nous n'a vu alors les faits, les accidents, très affligeants sans doute, que l'on nous reproche! Nous avions les regards portés trop haut pour voir que nous marchions sur un sol couvert de sang. Parmi ceux que nos lois condamnèrent, vous ne comptez donc que des innocents? Attaquaient-ils, oui ou non, la Révolution, la République? Oui! Eh bien ! nous les avons écrasés comme des égoïstes, comme des infâmes. Nous avons été hommes d'État, en mettant au-dessus de toutes considérations le sort de la cause qui nous était confiée [...]. Nous, du moins, nous n'avons pas laissé la France humiliée et nous avons été grands au milieu d'une noble pauvreté. N'avez-vous pas retrouvé au trésor public toutes nos confiscations?(On a donné aussi les noms de Montagne et de Montagnards sous la seconde République, aux membres du parti démocratique. C'est aussi le nom par lequel on désigna, pendant les premiers jours de la révolution de Février 1848, une garde populaire dont le service était surtout affecté à la préfecture de police. Les montagnards du préfet de police Caussidière). |
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