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Voyer


Gilles Bizier
2007 
Joachin Ulric Voyer est un compositeur né à Québec (Canada) le 5 janvier 1892, et mort le 8 janvier 1935. Il étudie d'abord au Collège Saint-Roch, à Québec et prend  contact avec la musique d'abord chez Wallace, puis avec l'organiste de Saint-Roch et de Giffard, Lefrançois. En compagnie d'Edmond Trudel, il apprend le piano avec le professeur Hudson. Il étudiera l'orgue et l'harmonie à Montréal avec Léon Dessane et avec Descarries. L'orchestration, il la découvrira dans des livres qu'il fait venir directement d'Europe comme le Traité d'harmonie de Rimsky-Korsakoff, Technique de l'orchestration moderne de Widor ou le Traité pratique d'instrumentation et d'orchestration symphoniques de Ithier.

Premières oeuvres.
Mais la musique n'est pas sa seule passion. Dès sa jeunesse, Ulric Voyer est aussi un amoureux du théâtre, dont il manque peu de représentations à Québec, comme en fait mention son journal intime. Dès 1907-1908, il rédige La boisson, une pièce en trois actes et douze scènes. Cette oeuvre sera représentée plusieurs fois à Québec et même interprétée à la radio de CHRC après sa mort. Délaissant temporairement le théâtre pour se consacrer à l'étude et à l'enseignement de la musique, il ne rédigera une autre pièce qu'en 1923, Triste réalité, présentée en même temps que des extraits de l'opéraJean-Marie. Le synopsis pourrait laisser croire qu'il s'agit d'une adaptation de la pièce La boisson.

Les premières compositions musicales d'Ulric Voyer datent de la période 1911 à 1915. Ulric Voyer a entre 18 et 22 ans. Un manuscrit de cette période contient une Suite de valses composée par l'auteur et datée du 17 janvier 1911. En 1912, il compose une bluette musicale : Petite amie. En 1913 est publié Prends garde à l'amour - Valse chantée qui sera suivie de la publication aux États-Unis de Si tu savais, en 1914. Datent aussi de cette période À Mlle Alice Bédard : Je te dirais "je t'aime", valse chantée publiée à Montréal sous l'humoristique pseudonyme de Jean Canada (paroles), aux Éditions Le Passe-temps ainsi que À Mlle A. B. : Si vous voulez m'aimer un peu, publié aussi à Montréal.

C'est au début des années vingt que sont montés ses premiers opéras. La Duchesse en sabots, un opéra-comique en un acte mettant en scène 45 figurants, est représenté à Québec au profit de l'église paroissiale de Saint-François d'Assise, lundi et mardi, les 8 et 9 novembre 1920. On ne peut déterminer l'apport de l'auteur à cette oeuvre puisqu'elle est une adaptation de Les chaussons de la duchesse Anne, une opérette en un acte composée par Ch. Le Roy-Villars. La onzième édition du livret de cette oeuvre avait été publiée à Paris, en 1896, par André Lesot, libraire-éditeur. Vient ensuite Petit-mouton, opéra-comique en quatre actes.

L'année 1923 voit la représentation d'extraits de Jean-Marie, opéra en quatre actes. Deux représentations sont données à Québec les 10 et 11 avril 1923. Le programme de ces représentations et une quinzaine de partitions musicales particulières ont été conservées. La presse locale (Le Soleil et l'Action catholique) nous apprend que cette oeuvre « richement harmonisée », « d'une originalité et d'une vérité surprenante » fut fort bien accueillie. Le livret est l'oeuvre d'une collaboration avec Alfred Rousseau et les représentations étaient sous la direction de F.-X. Mercier. 

L'Intendant Bigot.
L'oeuvre la plus connue d'Ulric Voyer, L'Intendant Bigot, a été représentée cinq fois : deux fois à Montréal, les 5 et 7 février 1929 au Monument National, sous la direction d'Albert Roberval, et trois fois à Québec, les 22 et 23 mars 1929 à l'Auditorium de Québec, l'actuel Capitol, sous la direction d'Edmond Trudel et sous le patronage de L.-A. David. Initialement, l'oeuvre ne devait être représentée qu'à Montréal. C'est en raison des succès remportés dans cette ville qu'une représentation est planifiée à Québec. Finalement, trois représentations seront organisées avec sensiblement les mêmes artistes très connus et appréciés à l'époque : Arnold Becker dans le rôle titre, Louis Gravel, Paul Trottier, C. E. Brodeur, Marie-Rose Descarries et Caro Lamoureux.

Cet opéra fut considéré par la Société canadienne d'opérette qui l'a monté, comme le premier grand opéra canadien. Dans une lettre adressée à l'auteur et reproduite dans le programme des représentations, Honoré Vaillancourt, écrivant au nom de cette Société en tant que son directeur-général, considère qu'Ulric Voyer est 

« le premier canadien qui ait produit une oeuvre lyrique mise à la scène sous la forme d'un opéra. » 
L'Encyclopédie de la musique canadienne, publiée chez Fides en 1993, en fait mention sans toutefois considérer L'Intendant Bigot comme le premier opéra canadien.

Il existe un enregistrement sonore sur 78 tours d'extraits de L'Intendant Bigot : Romance du Marquis chantée par C. E. Brodeur et Dans un petit village chanté par Jeanne Maubourg-Roberval. Plusieurs exemplaires de la musique en feuille de cet extrait ainsi que plusieurs partitions sont conservées dans les archives, dont la partition du chef d'orchestre écrite pour soprano, flûte, hautbois, clarinettes en Si bémol, basson, cors en Fa, trompettes en Si bémol, trombone, et violon. Un second enregistrement sonore dont mille copies ont été rapidement vendues a été gravé sur 78 tours par Marie-Rose Descarries.

La revue La Lyre soulignait dans son édition de mai 1929 qu'il s'agit d'un 

« record de vente qui n'a jamais été atteint par une oeuvre canadienne dans ce laps de temps. »
Ce même extrait, Dans un petit village, a été publié à Montréal, ce qui a favorisé son interprétation le 30 octobre 1930 par Audrie Rubanni au Steinway Concert Hall de New-York. Ce récital où figurait des oeuvres de Debussy, Fauré et Rupès a été annoncé dans le New York Times le 30 octobre 1929 et a bénéficié d'une critique élogieuse le lendemain dans le même journal. Un exemplaire du programme de ce récital est conservé dans les archives familiales.

Ajoutons encore qu'un opéra inédit est conservé dans les archives de la famille d'Ulric Voyer : Mademoiselle de Lanaudière, opéra-comique en trois actes et quatre tableaux. Les deux manuscrits reliés de l'orchestration de 685 pages établie en collaboration avec G.E. Lefebvre, sont conservés intégralement, ainsi que la réduction piano-voix, des épreuves d'imprimerie du livret et 36 partitions : ténors, barytons, basses et sopranos ainsi que clarinettes, cornet à pistons, violons, flûtes, bassons, trombones, contrebasses, violoncelle, cors, et hautbois.

Cette oeuvre dont le livret a été composé en collaboration avec Henri Deyglun, était à la veille d'être montée lorsque le compositeur mourut prématurément. En atteste une note manuscrite estimant le « revenu de chaque participant aux représentations de Mademoiselle de Lanaudière sous la direction de Mercier-Gingras ». Un projet d'entente avec Athanase Guy, signé à Québec le 20 octobre 1931, stipulait que le rôle titre devait être tenu par Marthe Lapointe, le rôle de Salaberry, par Antonio Lamontagne et que la direction artistique devait en être confiée à Jean Riddez. Une convention a par ailleurs été signée le 4 juin 1932 par G. E. Lefebvre qui reconnaît avoir fait l'orchestration et la vérification de l'ensemble de l'oeuvre.

Alors que L'Intendant Bigot évoquait l'abandon du Canada français par la mère patrie, cette oeuvre inédite traduit l'impossible mariage entre deux Canada... En témoigne cette réplique de Madame de Lanaudière : 

« Nous voisinons, rendons visite, Anglais ni Français ne s'évitent, car de nos bonnes relations surgira puissante nation. » 
Mais Peltier, un personnage de la pièce revenant sur scène sitôt le rideau tombé, précise :
« Je suis revenu pour vous dire que l'auteur aurait pu vraiment, marier les coeurs qui soupirent et nous serions partis contents. Mais l'histoire n'a pas voulu que Marguerite de Lanaudière se maria [...] l'on a conclu qu'il était trop tard pour le faire. »
Les trente-six métiers de J. Ulric Voyer.
Ulric Voyer avait épousé en 1913 Alice Bédard qui lui avait donné dix-huit enfants en vingt-et-un ans de mariage. Trois de ses enfants étaient morts en bas âge. Progressivement, dès qu'ils avaient été assez âgés, les enfants s'étaient initiés à la musique : Madeleine avait appris le chant, Gaston la clarinette et le hautbois, Françoise le piano, Gemma le violon. Pour assurer la sécurité matérielle de sa nombreuse famille, Ulric Voyer avait dû exercer quantité de métiers : professeur de piano, greffier à la Cour municipale de Québec, premier organiste à l'église Saint-François d'Assise, professeur de sténographie, dramaturge et gérant de publicité de la Compagnie J.-B. Renaud.

Mais la musique était restée au centre de la vie d'Ulric Voyer. Des amis musiciens venaient régulièrement jouer et discuter musique à la maison : Edmond Trudel, chef d'orchestre qui dirigera L'Intendant Bigot à Québec, F.-X. Mercier, chef d'orchestre qui avait dirigé la représentation d'extraits de l'opéraJean-Marie, G.-E. Lefebvre, chef d'orchestre et directeur du Cercle Philharmonique Haydn qui revisera l'orchestration de l'opéra Mademoiselle de Lanaudière, Jean Riddez de l'Opéra de Paris, ses librettistes Henri Deyglun de la Société des auteurs dramatiques de Paris et l'animateur radiophonique Alfred Rousseau qui avait aussi écrit le livret de l'opérette Coup d'soleil d'Omer Létourneau, Honoré Vaillancourt de la Société canadienne d'opérette. Et combien d'autres chanteurs et musiciens de Québec? Certains soirs au début des années 30, c'était un véritable concert sur la 13e rue à Québec et les Frères du Collège de Saint-François d'Assise sortaient dans la cour pour écouter avec tout le voisinage. Ces soirs-là résonnait davantage le magnifique piano qui faisait l'orgueil et la fierté d'Ulric Voyer, un piano qui avait appartenu au compositeur et chef d'orchestre Joseph Vézina.

Ulric Voyer s'est également impliqué dans le milieu radiophonique de Québec : il a été co-fondateur du poste CHRC avec Narcisse Thivierge puis directeur musical dès 1931. Une fois par mois il montait en direct une opérette ou une oeuvre classique d'une heure et procèdait aux choix musicaux, initiant les auditeurs de la station à la «-grande musique-». Il était tant épris de musique, si habité par elle qu'il écrivait en 1913 avoir décidé d'y consacrer sa vie, ce qui n'était pas une mince affaire à cette époque, à Québec. Il avait toujours dû cependant se contenter de ne consacrer que tous ses loisirs à la composition d'oeuvres musicales d'envergure, car c'était là sa passion, malgré une santé fragile qui lui causait des étourdissements et troubles cardiaques depuis sa jeunesse. Le 8 janvier 1935, le compositeur mourut. Il n'avait que 42 ans. Comme l'écrira un éditorialiste du quotidien Le Soleil sous le pseudonyme de L'oncle Gaspar, 

« la mort d'Ulric Voyer devait causer en ville un émoi facile à comprendre. Tous les Québécois, comme moi, écrit-il, étaient ses amis. Sur la rue, quelqu'un avait toujours à lui parler, soit d'affaires, soit de musique. Les affaires, il fallait bien qu'il s'en occupât puisque, depuis plus de vingt ans, il était l'un des meilleurs employés de la Maison J.-B. Renaud. Mais la musique, il l'aimait encore mieux, c'est certain, et son regret était de ne pas avoir pu lui consacrer toute sa vie. » 


Sur le web - Gilles Bizier, auteur de cet article et petit-fils 
d'Ulric Voyer, publie un site consacré à son grand-père : http://ulricvoyercompositeurdoperacanadien.qc.ca/
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Dictionnaire biographique
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