| Les dernières années Le tombeau de Jules II allait être terminé. Comme Léon X, Clément VII, occupé de la gloire des Médicis, l'avait interrompu. Mais, sur les réclamations du duc d'Urbin, neveu de Jules II, Michel-Ange passa en 1531 un nouveau contrat, s'engageant à faire six figures de sa main pour le monument diminué qui ne devait plus être placé maintenant qu'à Saint-Pierre aux Liens. Puis, par un dernier traité du 20 août 1542, Montelupo devait achever les statues de Lia et de Rachel et faire les autres figures d'après les dessins de Michel-Ange. Le tombeau fut fini et placé à Saint-Pierre aux Liens après 1545 : Michel-Ange avait terminé lui-même la Lia et la Rachel ou la Vie active et la Vie contemplative qui sont aux côtés de ce prodigieux Moïse qui apparaît comme une chose extra-humaine dans son symbole même de l'humanité : la Vierge, le Prophète et la Sibylle étaient de Montelupo et la figure couchée de Jules II de Maso del Bosco, mais ne semblaient que des accessoires sans intérêt de la figure sublime qui ne laisse rien voir autour d'elle. Ainsi finit la Tragoedia della sepultura les deux admirables Prisonniers du Louvre, qui primitivement avaient dû faire partie du monument, avaient été donnés par Michel-Ange à son ami Roberto Strozzi qui en fit hommage à François Ier, puis offerts par François Ier, au connétable de Montmorency pour son château d'Ecouen, ils appartinrent plus tard à Richelieu qui, après avoir fait décapiter Henri de Montmorency et confisqué ses biens, les envoya à son château de Poitou : le dernier maréchal de Richelieu les plaça dans son hôtel du Roule; enfin, en 1793, Alexandre Lenoir les ayant trouvés dans une écurie les acheta pour le compte de la nation et ils sont aujourd'hui un des trésors du Louvre; les quatre Prisonniers qui avaient été ébauchés seulement sont à Florence au jardin Boboli et le Génie de la Victoire, destiné aussi au tombeau, est à Florence aussi au Musée national. - Michel-Ange : le Tombeau de Jules II; à droite : le Moïse. Ce fut vers 1538, pendant qu'il était absorbé par son Jugement dernier, que Michel-Ange rencontra la marquise de Pescaïre, cette exquise Vittoria Colonna, qui fut pour lui l'objet d'une tendresse infiniment respectueuse et douce où il reposa son âme lassée. Veuve à trente-cinq ans du marquis de Pescaïre mort en 1525 des suites d'une blessure reçue à Pavie et qu'elle avait aimé passionnément, Vittoria, pleine de son souvenir, avait vécu d'abord à Naples et à Ischia, puis elle était partie pour Ferrare dont le climat fut dangereux pour elle et d'où elle revenait quand elle rencontra Michel-Ange à Rome. Depuis lors, qu'elle fût à Rome ou qu'elle s'éloignât jusqu'à Viterbe, elle vécut dans une constante intimité d'intelligence et de coeur avec le grand artiste; d'une haute culture intellectuelle et d'une profonde érudition qu'elle savait faire aimable, elle était poète, elle aussi, et souvent l'un pour l'autre ils mettaient en vers leurs pensées : c'est l'époque, avec celle du David, où Michel-Ange écrivit le plus de vers; mais les vers de ses trente ans, composés dans un temps où il n'avait pas souffert encore, étaient surtout un exercice littéraire où se délassait son intelligence, tandis que ceux de ses soixante, qui sont les meilleurs, larges, puissants, écrits sur des idées, vers philosophiques ou religieux, sont une expression de sa pensée et de sa vie. La mort de Vittoria Colonna en 1547 fut pour Michel-Ange la suprême douleur. Il existe un portrait d'elle dessiné par lui et peint sans doute par Bronzino dans la collection de Campanari, à Londres. En 1542, Paul III, qui avait fait construire au Vatican la chapelle Pauline, voulut la faire décorer par Michel-Ange, qu'il affectionnait et dont la gloire était immense; Michel-Ange supplia le pape de le laisser terminer d'abord le tombeau de Jules Il; mais, malgré ses prières, il dut commencer dès lors ses fresques de la Conversion de saint Paul et du Crucifiement de saint Pierre qui sont ses dernières oeuvres peintes, tourmentées mais encore belles - et que le temps à partiellement effacées - et qui furent finies seulement vers 1549, au moment de la mort du pape. Cependant Michel-Ange qui, à la mort de Clément VII en 1534, s'était complètement détaché des Médicis et qui depuis avait sculpté son admirable buste de Brutus, recevait les offres les plus séduisantes du grand-duc Cosme désireux de ramener sa gloire à Florence et de voir terminée par lui la sacristie de San Lorenzo, et, comme il les refusait en s'excusant de ne pouvoir quitter Rome, en 1558 le grand-duc vint l'y voir. Michel-Ange pourtant désirait revenir à Florence avant de mourir, mais ses travaux toujours renouvelés devaient jusqu'à son extrême vieillesse le garder à Rome. A soixante-douze ans, il est chargé d'une oeuvre énorme qui, plus que toute autre peut-être, allait lui attirer des contrariétés et des ennemis : San Gallo étant mort, Paul III nomme Michel-Ange architecte de Saint-Pierre, le 1er janvier 1547, avec la faculté pour lui d'en modifier le plan à son gré. Michel-Ange accepta la charge en refusant le traitement et en commençant par mettre fin à tous les trafics qui s'agitaient autour de cette colossale entreprise : le plan primitif de Saint-Pierre, celui de Bramante, était une croix grecque; Raphaël en avait fait une croix latine; Baldassare Peruzzi avait repris le plan de Bramante et San Gallo celui de Raphaël en le compliquant; Michel-Ange simplifia tout et revint à la croix grecque. Le 10 novembre 1549, Paul III mourut et les san-gallistes s'efforcèrent d'éloigner Michel-Ange de Saint-Pierre, mais le nouveau pape Jules III sut le maintenir dans sa charge et le défendre contre ses ennemis. Vers cette époque, Michel-Ange construit aussi les palais et la terrasse du Capitole et il compose la belle et fameuse corniche du palais Farnèse; il travaille en outre à une Déposition de Croix qui fut, avec une petite Pietà indiquée par Vasari, sa dernière oeuvre sculptée et qui est aujourd'hui au dôme de Florence, derrière le maître-autel : vieux de quatre-vingts ans déjà, il en taillait le marbre pour être placé sur son tombeau, mais, après des années de travail, mécontent, il commençait à le briser quand son élevé Calcagni le sauva en lui demandant, la permission de le reprendre et de le terminer. En 1556, Marcel III, ami des san-gallistes, succède à Jules III, mais il meurt au bout de vingt et un jours, et son successeur Paul IV, qui fait habiller des figures du Jugement dernier par Daniel de Volterre, d'où son surnom de Culottier (braghettone), laisse à Michel-Ange la direction des travaux de Saint-Pierre. Michel-Ange, après avoir renforcé les piliers du dôme qui ont définitivement 17 m d'épaisseur, donne en 1558, à quatre-vingt-trois ans, le modèle en relief de la coupole de Saint-Pierre ; tourmenté encore par ses ennemis qui osent lui reprocher sa vieillesse après une telle oeuvre, il travaille toujours. Il ne devait pas voir sa coupole terminée, mais assez avancée cependant pour qu'il pût espérer qu'on ne la changeât pas. Pie IV, sous le pontificat duquel il allait mourir, devait en effet le défendre jusqu'au bout contre les menées des sangallistes. Depuis longtemps tous les maîtres de la Renaissance étaient morts; seul le plus grand, Michel-Ange, avait survécu, grand jusqu'à la fin. Ses derniers ouvrages furent l'église San Giovanni de' Fiorentini à Rome, la porte Pia de Rome et la transformation d'une salle des Thermes de Dioclétien en l'église Santa Maria degli Angeli. Michel-Ange souffrait de la pierre; le lundi 14 février, se trouvant fatigué, il ne put monter à cheval comme il en avait l'habitude; puis se sentant plus malade, il demanda à Daniel de Volterre d'écrire à son neveu Leonardo de venir auprès de lui et il dicta à Daniel de Volterre et à Tomaso de Cavalieri ce bref testament : « Je donne mon âme à Dieu, mon corps à la terre et mes biens à mes plus proches parents-». Il mourut - dans la maison qu'il habitait au pied du Capitole, via delle tre pile - le vendredi 17 février. 1564. L'émotion fut grande à Rome et l'on s'apprêta à l'enterrer en grande pompe à Saint-Pierre, mais Michel-Ange avait demandé à reposer à Florence, et Leonardo dut, pour ne pas soulever les Romains, emmener son corps à la dérobée; à Florence des funérailles magnifiques, retardées jusqu'au 14 juillet, lui furent faites à San Lorenzo et son mausolée fut élevé à Santa Croce sur les dessins de Vasari par Giovanni dell' Opera, Cioli et Lorenzi. (Étienne Bricon). | |