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Raphaël (Raffaello Santi) est appelé aussi quelquefois Sanzio, nom que lui donne Vasari et sous lequel ses contemporains le désignaient souvent, qui vient peut-être d'une déformation latine de Santi, Sanctius, redevenue en italien Sanzio. Il signait Raffael (ou Raphael) Urbinas. Cet homme, qui n'allait vivre que trente-sept ans et qui, mourant en sa pleine jeunesse, avait produit un nombre prodigieux d'oeuvres, est l'un des peintres les plus célèbres de tous les temps. L'un des plus merveilleux artistes de la Renaissance, peintre, architecte et sculpteur, il était né à Urbino en 1483, le 6 avril, si l'on s'en rapporte au texte de l'épitaphe que composa après sa mort, survenue le vendredi saint 6 avril 1520, son ami Bembo (vixit annos XXXVII integer integros); le 28 mars, si l'on croit Vasari qui le fait naître le vendredi saint de l'année 1483; ces deux dates, basées l'une et l'autre sur ce qu'il mourut le jour anniversaire de sa naissance, n'ont pas d'autre autorité; on ne peut s'empêcher toutefois de noter que Vasari a fait ailleurs de graves erreurs de dates à propos de la jeunesse de Raphaël. C'est celle du 6 avril qui a été inscrite sur la maison où il est né, dans la rue qui monte de la place du marché vers la campagne, la «-contrada del Monte », aujourd'hui « contrada di Raffaello ». Son bisaïeul, Perezzollo Santi, marchand, s'était établi à Urbino vers 1450, venant d'un bourg du duché, Colbodolo, que menaçaient les armes des Malatesta. Son père, Giovanni Santi, était peintre et poète, protégé du duc Federigo de Montefeltro; il avait offert en 1469 l'hospitalité à Piero della Francesca. Il devait avoir déjà un certain âge quand Raphaël naquit. Raphaël perdit sa mère Magia Ciarla, le 7 octobre 1491 : on croit la reconnaître dans une fresque de Giovanni qu'on voit dans sa maison. Giovanni se remaria le 25 mai suivant avec la fille d'un orfèvre, Bernardine Parti, mais mourut bientôt, le 1er aoüt 1494. Il avait quelquefois fait poser son fils pour ses Sante conversazioni, ainsi dans la Sainte Famille de l'église San Domenico, à Cagli. Avant de mourir, il donna pour tuteur à son fils son frère Bartolommeo, prêtre; mais Raphaël fut élevé aussi par le frère de sa mère, Simone di Battista Ciarla, et il lui garda toujours un très profond attachement. Il paraît certain que Raphaël ne se rendit à Pérouse qu'en 1499, puisque le Pérugin, voyageant de ville en ville, ne s'y fixa qu'à ce moment-là. Raphaël vécut donc à Urbin ses seize premières années, et l'on doit tenir compte de l'influence de milieu qu'eut sur son génie cette nature de petite ville intime et retirée sur sa hauteur, dans un pays de montagnes, divers et calme, avec ses grands horizons où la mer se laisse apercevoir; il avait assurément appris de son père à dessiner, et dans Urbin, où le duc Federigo di Montefeltro, qui mourut en 1482, avait vu terminé le beau palais de Laurana, il a connu au palais même la peinture de Melozzo da Forli et celle de Justus de Gand, et il a vu Signorelli peindre à San Spirito; il a pris des leçons de Timoteo della Vite, revenu à Urbin en 1495, élève de Francio. Dans son oeuvre de jeune homme, on ne peut attribuer à cette époque que quelques dessins du Livre de Venise : des têtes copiées sur le tableau de Justus de Gand et le Massacre des Innocents. Raphaël arrive en 1499 à Pérouse qui est alors une grande ville de 40 000 habitants, et il entre chez le Pérugin, de trente-sept ans plus âgé que lui, à l'atelier de la via Deliziosa, non pas comme apprenti, mais comme compagnon. Le Pérugin, qui commence les fresques du Cambio, en est au plus beau temps de sa vie; il entretient les meilleurs rapports avec son nouvel élève. Et en même temps il peint le Sposalizio du musée de Caen, en 1499 ou en 1500. On ne peut précisément déterminer la part de Raphaël dans les travaux que fit à ce moment Pérugin; l'on croit cependant quelquefois pouvoir reconnaître sa main : ainsi dans la Vierge de la Nativité ou dans telle figure de la Résurrection du Vatican. Le jeune homme, passionnément épris de l'art de son maître, à la beauté calme, reçoit la première et la plus forte de ces influences que son extrême impressionnabilité lui fera subir jusqu'en ses plus grands jours de puissance; et il étudie aussi le Pinturicchio, alors présent à Pérouse. A l'atelier, il a connu Giovanni di Pietro, dit lo Spagna, qui demeurera toujours son ami et qui, par sa précoce admiration pour lui, peut être considéré comme le premier de ses élèves, bien que l'influence de l'un sur l'autre ait été réciproque; et leurs deux manières sont à ce moment si semblables que l'on a pu souvent attribuer à Raphaël le Saint Etienne du Spagna de la galerie de Bergame. Raphaël a déjà copié dans son travail d'étude des morceaux du Pérugin, on a conservé dans la sacristie de San Pietro de Cassinensi, à Pérouse, la copie à la détrempe d'un fragment de la Famille de la sainte Vierge qui est au musée de Marseille, l'Enfant Jésus caressé par le petit saint Jean, et voici qu'à dix-huit ans il commence son oeuvre de peintre en composant, dans la convention du type ombrien, ces vierges à mi-corps, exquisement douces, les yeux baissés vers l'Enfant : de 1501 et de 1502 sont la Madone Solly, la Vierge entre saint Jérôme et saint François, du musée de Berlin, dont il existe des études à l'Albertine, et la Vierge au livre, de l'Ermitage. En 1503, Maddalena degli Oddi lui commanda pour l'église San Francesco le Couronnement de la Vierge, et il peint le beau tableau qui est aujourd'hui à la galerie du Vatican : dans la partie inférieure, les apôtres rangés autour du tombeau vide avec la symétrie ombrienne; dans la partie supérieure, le Christ couronnant la Vierge. Il avait fait pour ce tableau, comme d'ailleurs il le fit toujours par la suite, de nombreux dessins d'études : on en voit un à Lille, au musée Wicar, où l'on peut noter que Raphaël par le manque de modèles de femmes à Pérouse, était obligé de faire poser des jeunes gens. Le Vatican possède aussi les trois compartiments de la prédelle du Couronnement : l'Annonciation, dont le carton est au Louvre; l'Adoration des mages et la Présentation au temple, dont on voit des études à Oxford. En 1503, Raphaël, tandis que son maître est appelé à Florence, se rend à Città di Castello, ou son arrivée a été préparée par le duc Guidobaldo di Montefeltro qui s'y est réfugié pour échapper à César Borgia. Il y peint pendant son séjour une bannière pour l'église de la Trinité représentant sur ses deux faces la Trinité et la Création d'Eve, que possède le musée municipal de le ville, et trois grandes oeuvres : le Couronnement de saint Nicolas de Tolentino, pour le couvent des Augustins où il resta jusqu'en 1784, mais, cédé alors au pape Pie VI, il figura, mais en fragments, au Vatican, d'où il disparut en 1798 lors de l'entrée des Français : on ne le connaît plus que par les dessins de Lille et d'Oxford; le Christ en croix avec la Vierge, sainte Marie-Madeleine, saint Jean et saint Jérôme, et deux anges qui recueillent le sang des mains, pour une chapelle de la ville, et qui maintenant est à Londres, dans la galerie de Mond; enfin le Sposalizio de la Brera de Milan, daté de 1504 : il fut exécuté à Citta di Castello pour l'église San Francesco de Pérouse, dans la conception exacte de celui du Pérugin qui est au musée de Caen, mais, outre que Raphaël l'a transformé par la valeur de la pensée, il faut observer que le sujet du mariage de la Vierge était à cette époque compris par tous les peintres sous cette forme déterminée et habituelle, et l'on en trouve la trace jusque chez Albrecht Dürer. Raphaël se rendit aussi à Sienne, ou l'avait mandé le Pinturicchio, occupé à décorer le Libreria du Dôme; il est difficile de préciser la date, de son voyage, mais l'on est porté à croire qu'il fut antérieur à celui de Città, car, outre que le Pinturicchio avait commencé ses fresques dès 1502, en 1504 on trouve Raphaël à Città, à Urbin et à Florence. Au surplus le travail qu'il fit à Sienne est demeuré obscur; on a cru, à voir telle feuille du Livre de Venise, qu'il avait seulement copié comme étude certains morceaux de fresques, mais le Pinturicchio n'a pu l'appeler à Sienne que pour s'y faire aider par lui, et d'ailleurs le dessin d'Aeneas Sylvius se prosternant devant le pape Eugène IV, de la collection du duc de Devonshire, et celui des Fiançailles de Frédéric III et d'Eléonore de Portugal, de la casa Baldeschi à Pérouse, établissent, par leur dissemblance même avec la fresque, que Raphaël fit pour son ami, de trente ans plus âgé que lui et qui était presque son maître, des études et des projets, mais non des cartons, comme l'insinue Vasari, qui n'aimant pas le Pinturicchio, s'efforce absurdement d'attribuer l'oeuvre presque entière à Raphaël. Le jeune maître avait entrevu déjà l'Antiquité à Pérouse, mais c'est à Sienne qu'il dut en avoir la révélation devant ces Trois Grâces dont il fit une étude. A Sienne, il connut le Sodoma, et ce fut là sans doute qu'il composa son premier sujet profane, cet exquis Songe du chevalier, autrefois au palais Borghèse, depuis 1847 à la National Gallery de Londres, allégorie renouvelée d'Hercule entre le Vice et la Vertu. Peut-être cependant le peignit-il à Urbin où il retourne au printemps de 1504 : il y est reçu à la cour des Montefeltro et y rencontre Balthasar Castiglione, qui écrit alors sur la cour son Cortegiano et qui sera l'un des plus fidèles amis du peintre. Le 1er octobre, la duchesse Giovanna della Rovere, soeur du duc, lui donne une lettre de recommandation pour le gonfalonier de Florence, Sodérini. On pense qu'il fit à Urbin le petit Saint Georges, si intéressant par la recherche nouvelle du mouvement, de l'ancienne collection de François Ier, et le petit Saint Michel, peint sur le revers d'un damier, acquis par Louis XIV des héritiers de Mazarin, tous les deux au Louvre; Schmarsov croit cependant qu'ils furent exécutés à Florence en même temps que le Saint Georges de l'Ermitage, inspiré d'un bas-relief de Donatello à Or San Michele dont il existe un dessin aux Offices et qui avait été commandé par le duc d'Urbin pour le roi Henri VII. Raphaël arrive à Florence pendant l'automne de 1504. Les derniers dessins du Livre de Venise datent de cette époque, de 1505 ou 1506. Le Livre d'esquisses, composé de cinquante-six feuillets dessinés au recto et au verso, attribué quelquefois au Pinturicchio, quelquefois à Girolamo Genga, et par Springer à une réunion de peintres ombriens, semble pouvoir être aujourd'hui considéré définitivement comme l'oeuvre de Raphael qui le commença vers 1497 : seul, d'ailleurs, Raphaël a pu subir les influences très diverses qu'on y rencontre. Ce livre précieux, acheté à Parme au commencement du siècle par un peintre de Milan, appartient maintenant à l'Académie de Venise, où il est exposé par feuillets séparés; on peut y noter les Trois Grâces, la Déposition de Croix d'après Mantegna, des études de têtes, un très joli portrait de jeune fille, un Ange jetant des fleurs sûr la tête d'un vieillard, des études de madones et le délicieux Massacre des Innocents. L'oeuvre principale de Raphaël à Florence fut la représentation de la Madone, dont tout son travail est alors comme une étude ininterrompue. L'apparence conventionnelle de ces tableaux d'autel, qu'on a pu attribuer au grand nombre des commandes faites au peintre pendant ces deux ou trois ans, s'atténue cependant à les beaucoup regarder. On y trouve qu'en répétant un sujet si habituel aux peintres qui l'ont précédé, il l'a simplifié en cherchant dans la répétition du sujet la nouveauté de l'expression, ce pendant que dans l'harmonie il s'efforçait vers la beauté, et il arrivait à la perfection virginale de ses Madones de Florence. C'est au reste cette perfection même qui fait de son art comme un modèle définitif, et lui donne cette forme académique dont la régularité parfois nous lasse, mais il faut dire que la convention de Raphaël est surtout faite pour nous des conventions qu'elle engendrera. Müntz a groupé ingénieusement les Madones de Florence, d'après les personnages qui figurent dans le tableau et qui par leur nombre déterminent une forme de groupement, en permettant ainsi de les mieux connaître. Dans une première catégorie, la Vierge est seule avec l'Enfant : après les premiers dessins très ombriens du Louvre, d'Oxford et celui de la collection Malcolm, où l'on a cru reconnaître la soeur de Raphaël, née du second mariage de son père, voici la première oeuvre florentine : la Vierge du grand-duc, du palais Pitti, dont un dessin est aux Offices; la Petite Madonede lord Cowper, peinte vers 1505, aujourd'hui au château de Panshanger; la Madone de la maison Tempi, à Munich, dont le carton est à Montpellier, au musée Fabre; la Petite Madone de la maison d'Orléans, autrefois au régent, rachetée de nos jours par le duc d'Aumale pour le château de Chantilly; la Madone de la maison Colonna, peinte vers 1507, au musée de Berlin, très proche de la Madone de la maison Nicolini, de 1508, appartenant à lord Cowper, au château de Panshanger. Dans une deuxième catégorie, à la Vierge et à l'Enfant viennent s'adjoindre le petit saint Jean ou d'autres personnages, et la composition des figures, devenues plus nombreuses, s'y présente ordinairement avec la forme d'une pyramide; voici la Madone du duc de Terranuova, avec saint Jean-Baptiste et un autre enfant, peinte vers 1505, demeurée longtemps à Gênes, puis à Naples où, en 1854, elle fut achetée 30 000 écus par le roi de Prusse pour le musée de Berlin; la belle Vierge dans la prairie du musée de Vienne, peinte pour Taddeo Taddi, devenue au XVIIe siècle la propriété des Habsbourg; la Vierge au chardonneret de la Tribune des Offices, dont il y a des desssins à Lille, à Oxford et à Vienne, peinte comme cadeau de noces pour Lorenzo Nasi, et qui, retrouvée en pièces dans l'éboulement du palais Nasi, en 1548, fut réparée avec un admirable soin; la Belle Jardinière du Louvre, signée et datée de 1507, qui faisait partie de la collection de François Ier, et qui par sa date précise ne peut être, comme on l'a cru souvent, le tableau laissé inachevé par Raphaël à son départ de Florence, et terminé par Ghirlandajo : il existe de ce tableau, où le maître merveilleux est arrivé à l'extrême pureté de la beauté, une esquisse au Louvre même et un dessin à la pierre noire au château de Holkam, et aussi de nombreuses copies, à Avignon, à Dresde, à l'Albertine; la Sainte Famille à l'agneau, du musée du Prado à Madrid, toute proche de Léonard, où avec saint Joseph la composition se modifie; la Sainte Famille au palmier, de la galerie Bridgewater, autrefois au régent, dont le Louvre a un dessin; la Sainte Famille de la maison Canigiani de Munich (études à Chantilly et à l'Albertine), où le groupement devient plus nombreux en restant intime, formé de la Vierge avec l'Enfant Jésus auprès de sainte Élisabeth et du petit saint Jean que, debout, saint Joseph domine; et, dans une composition plus grande encore, la Vierge au baldaquin du palais Pitti, commandée par les Dei, royalement solennelle, majestueuse et qui prépare à la composition des Vierges romaines : Raphaël s'est lié à ce moment avec Fra Bartolommeo, et il entrevoit par lui toutes les libertés de la peinture, apparues déjà dans cette oeuvre qu'il laissa inachevée en quittant Florence et qui fut terminée par plusieurs peintres. Il faut compter encore l'esquisse d'une Sainte Famille, au musée Wicar, donnée à Domenico Alfani, qui en fit un tableau, et la Madone avec l'Enfant Jésus endormi, qui a été perdue ainsi que la Vierge à l'oeillet dont il existe des copies anciennes au Louvre et au palais Spada, à Lucques. Raphaël avait aussi terminé la Madone Ansidei, datée de 1506, qui, de l'église San Fiorenzo de Pérouse, où elle fut remplacée par une copie, passa dans la galerie des ducs de Malborough et fut en 1885 achetée 1 750 000 F par le gouvernement anglais : les trois compartiments de la prédelle représentant la vie de saint Jean-Baptiste ont été dispersés l'un d'eux est la propriété du marquis de Lansdowne. Sainte Catherine d'Alexandrie de la National Gallery, également de 1507, première apparition de ce qui sera plus tard la Sainte Cécile de Bologne. A Florence, on dit que Raphaël eut pour modèle une marchande de fleurs, une fioraja, qui fut aimée de lui et qui donna son nom à la Belle Jardinière du Louvre, et il est intéressant de noter, à côté de celle de grands peintres, cette influence plus intime de la femme dont la suavité inspira ses oeuvres de tendresse, alors que bientôt à Rome la magnifique Fornarine allait servir de modèle à ses plus puissantes figures de femmes. Après l'exposition des cartons de la Guerre de Pise, il avait fait un premier dessin de la Déposition de Croix, où se traduit l'émotion ressentie à la vue de telles oeuvres, où se sent le désir d'égaler toute beauté : Atlanta Baglioni lui avait commandé, en mémoire de ses souffrances de mère, un tableau d'autel pour, l'église San Francesco de Conventuali de Pérouse; après avoir songé à une Déposition de Croix, Raphaël fit la Mise au tombeau, de la villa Borghèse, qu'il termina en 1507, oeuvre mouvementée à l'excès et violente, où l'on a vu l'influence de Mantegna, qui avait composé le même sujet copié autrefois par lui dans son cahier d'esquisse, à côté de celle de Michel-Ange : emporté d'admiration pour le tout-puissant maître florentin, Raphaël tenta d'exprimer l'effort physique, mais pour sentir d'une manière saisissante combien il en est incapable en sa délicatesse, il suffit de regarder les trois délicieux panneaux composant la prédelle de ce tableau même, qui sont aujourd'hui dans la galerie du Vatican, la Foi, l'Espérance et la Charité, et qui, rapprochées en pensée de l'oeuvre, lui donnent en leur exquise simplicité un aspect théâtral; de très nombreuses études, plus purement belles, avaient été faites de la Mise au tombeau, qui sont au Louvre, aux Offices, au British Museum, à Oxford, à l'Albertine; ce tympan du tableau d'autel, peint sans doute par un de ses élèves, est maintenant dans la galerie de Pérouse. En 1507, Raphaël se rendit à Pérouse pour la mise en place de son oeuvre, et aussi à Urbin, mais il ne doit pas y avoir séjourné. Et ce fut vers le milieu de 1508, qu'il reçut de Bramante, son compatriote et peut-être son parent, une lettre qui l'appelait à Rome; il dut y partir sans tarder; en tous cas, il y était installé au mois de septembre. A vingt-neuf ans, Raphaël arriva à Rome, et l'on peut assurer que jamais un autre homme n'eut à cet âge un tel passé derrière lui. Bramante, très puissant à la cour de Jules II, lui y a préparé une bienvenue, et aussitôt le pape, dans sa brusque admiration, commence à lui confier la décoration des Chambres. Dans cette Rome admirable où il entre, ainsi que Michel-Ange, pour en augmenter la splendeur, sa jeunesse glorieuse est fêtée par tous, et, sans jamais désirer la solitude où se complaît Buonarroti, dans ce milieu ardent de luxe et de beauté, il devient l'ami du savant Bembo, et d'Inghirami, et de l'élégant Bibbiena, tous prélats dont il fera les portraits, et des riches banquiers Chigi et Altoviti : Balthazar Castiglione viendra l'y rejoindre, l'Arioste passera auprès de lui, Erasme aussi. On a remarqué que dans cette pléiade, d'un éclat magnifique, d'artistes et d'amateurs, ni les uns ni les autres n'étaient de Rome, mais que tous ils étaient venus à Rome, de Florence ou de Mantoue, d'Urbin ou de Sienne; il faut noter cependant qu'on y trouve moins d'artistes qu'à Florence qui reste leur séjour naturel; Rome est leur lieu d'éclat. Raphaël, chargé par le pape de peindre à la fresque la chambre de la Signature (Stanza della Signatura), tout auprès de l'oratoire de Nicolas V où Fra Angelico avait travaillé et au-dessus de l'appartement Borgia que venait de décorer le Pinturicchio, s'y absorbe de 1508 à 1511 et il parfait là un ensemble de peintures qui va être, avec celui de la chapelle Sixtine, le plus beau du monde; Jules II, avec sa fougue d'enthousiasme et dans sa violence d'autoritaire, a congédié le Sodoma qui avait commencé à la peindre, le Pérugin et Signorelli, et, quand il aura vu la Dispute du Saint-Sacrement terminée, il donnera l'ordre de détruire tout ce que ces peintres ont fait pour que le,jeune maître puisse de son seul pinceau décorer les quatre chambres : Raphaël peut cependant conserver certains morceaux, de son maître surtout, et, lorsqu'il dut effacer une oeuvre de Piero della Francesca, il en fit auparavant faire une copie. Il est intéressant d'observer ici, comme phénomène psychologique de la vie de Raphaël, à l'heure où il commence les chambres, une surélévation subite de son génie causée par la sublimité de sa tâche et par le désir aussi de se montrer digne de la confiance qu'il inspire. L'Urbinate se mit à l'oeuvre, tandis que, tout voisin de lui, Michel-Ange peignait les voûtes de la Sixtine; il devait représenter, dans une synthèse de la pensée humaine, la théologie, la philosophie, la poésie et la jurisprudence. Certes la plus grande liberté lui fut laissée dans la composition de ses sujets, et il put à son gré créer des figures idéales, mais, bien que l'on ne soit à même de rien affirmer, il reçut vraisemblablement des conseils et des indications de quelque érudit de la cour de Jules II, comme Bembo ou Sadolet, on lit qu'il trouva dans leur habituelle conversation les éléments de ces sujets mêmes, ce qui semble résulter d'un rapprochement entre les fresques de la signature et l'habitude des écrivains de la Renaissance de fêter les grands hommes en en faisant des groupements. Cependant, les élèves de Giotto avaient peint autrefois à Florence des représentations semblables à Santa Maria Novella en mêlant les figures allégoriques aux personnages réels : Raphaël, lui, sépare des personnages réels les figures allégoriques qu'il place sur la voûte d'où elles dominent les scènes dont elles sont les symboles. Après de très nombreuses études souvent diverses, dont les plus importantes sont au Louvre, à Chantilly, à Windsor, à Oxford, à l'Albertine, à Francfort, il peignit, d'abord la Dispute du Saint-Sacrement, conçue encore, malgré sa puissance, dans la symétrie ombrienne, et dont la partie supérieure est un majestueux développement de la fresque de San Severo : c'est le triomphe de l'Eglise - et non une discussion ni une controverse - où, de deux côtés, des Pères de l'Eglise, suivis de moines et de laïques parmi lesquels se voient Dante et Savonarole, rendent gloire à l'hostie, tandis qu'au-dessus d'eux, célestement portés sur un nuage formé d'une multitude d'anges, des saints et des personnages de l'Ancien Testament à la suite de la Vierge et de Saint-Jean-Baptiste sont rangés autour du Christ, et qu'au sommet plane dominante la figure de Dieu le Père. Emporté par le succès, Raphaël, se libérant du passé, ose tout ce que son génie lui propose, et il peint alors avec la plus prodigieuse liberté l'École d'Athènes, poétique d'une académie ouverte à tous les penseurs, dont Aristote et Platon sont le centre, avec des groupements magnifiquement larges et divers de maîtres et d'élèves comme Diogène; il y multiplie les portraits, le duc de Mantoue, le duc d'Urbin, Bramante et Archimède et lui-même à côté du Pérugin; cette fresque, dont on peut voir le carton préparé dans l'architecture de l'Ambrosienne de Milan, est vraiment dans sa composition inattendue l'oeuvre nouvelle de la Renaissance; Raphaël y est arrivé tout à coup à l'apogée de son art, maître de ses facultés souveraines, ne pouvant plus la dépasser lui-même que par le pouvoir de l'émotion, ainsi qu'il le fera dans quelques-uns de ses cartons pour les tapisseries de la Sixtine. Puis, passant à une expression de l'enchantement poétique émané de l'enchantement féminin, il peint le Parnasse, dont il existe des études à Oxford, à l'Albertine et au musée Wicar (Apollon tenant une lyre), son oeuvre peut-être la plus rare par une extraordinaire union du charme et de la grâce, à laquelle rien ne peut être comparé : Apollon, parmi les blanches muses, jouant du violon, comme d'anciens peintres l'avaient représenté déjà, et Homère, maître de la poésie, Virgile et Dante encore, et Pétrarque et le monde des poètes, au milieu desquels se tient Sapho en qui l'on a cru voir le portrait de la célèbre courtisane Imperia; il s'y joue des difficultés qui lui sont créées par la disposition architecturale. En face du Parnasse, ayant des difficultés semblables à vaincre, il pose, avec une étonnante sûreté, la figure de la Prudence réunie par des anges aux figures de la Force et de la Modération, tandis que le droit canon et le droit civil sont marqués dans les panneaux inférieurs par deux tableaux historiques : Grégoire IX publiant les Décrétales, avec des portraits de Jules II et du futur Léon X, et Justinien promulguant les Pandectes. Au plafond de la Signature, d'une forme irrégulière, il a peint dans des médaillons, en un ton de tapisserie, les figures allégoriques de la Philosophie, de la science, de la Justice et de la Poésie, et a placé dans les angles Adam et Eve, Apollon et Marsyas, le Jugement de Salomon et l'Etude de la sphère céleste, maîtresse de science, conservant les petits panneaux où le Sodoma avait peint des scènes mythologiques. Les boiseries des soubassements ornées par Jean de Vérone furent remplacées par des grisailles de Perino del Vaga. On peut considérer, en suivant la théorie de Hettner sur l'idée des fresques du Vatican, que Raphaël, dans la chambre de la Signature, venait de faire apparaître le nouvel idéal de l'humanité dans une harmonie de l'art, de la science et de la religion et qu'il allait après cela représenter dans les autres chambres la glorification de l'Église et de la Papauté. En 1512, il commence la chambre d'Héliodore, peinte presque en entier de sa main, à l'exception de certaines parties du plafond, bien qu'il commence à s'adjoindre Jules Romain (Giulio Romano) : cependant qu'il s'oriente ici vers l'histoire dramatique, recherchant le mouvement tout en gardant intacte la représentation de l'idée, une nouvelle manière apparaît sous sa couleur qui, sous l'influence évidente de Sébastien del Piombo, devient plus foncée, prend des tons de brique et en même temps des duretés, qu'elle conservera, sauf peut-être dans les cartons des tapisseries et dans la Galatée, jusqu'en ses dernières oeuvres. Dans cette chambre d'Héliodore, où se note la préoccupation du pape de raconter sa propre histoire dans les victoires de l'Eglise et où se présente l'histoire allégorique par l'allusion du passé au présent, Raphaël, ayant à dire l'Eglise rendue victorieuse par le secours de Dieu, peint d'abord, en suivant le texte des Macchabées, Héliodore chassé du temple, sujet qui représente l'expulsion des Français des Etats de l'Eglise et auquel assiste, regardant, immobile, le magnifique emportement des figures de droite, Jules II porté sur la « sedia » dont un des porteurs, habillé de blanc, est le graveur Marc-Antoine : pour la première fois, on voit ici la Fornarine, dans le groupe des femmes agenouillées. Il exécuta la même année la Messe de Bolsène, peinte en arc comme le Parnasse, au-dessus d'une fenêtre qui n'est pas au milieu du mur, où les portraits prennent une importance considérable et qui figure la défaite des hérétiques et la réforme intérieure. Ce fut alors que Jules II mourut, le 20 février 1513. Raphaël, qui allait avoir trente ans, perdant un aussi grand protecteur, put trembler un instant pour l'avenir de l'oeuvre entreprise, mais le nouveau pape allait l'aimer, sinon avec plus d'enthousiasme encore, du moins avec un goût plus vif : c'était Léon X. Dès son arrivée à Rome jusqu'à la mort de Jules Il, si absorbé qu'il soit par ses fresques du Vatican, Raphaël a fait d'autres travaux, d'abord de nombreuses Madones. Sa peinture devient plus religieuse, et peu à peu il oublie la suavité pour s'en aller vers la grandeur; voici la seconde Madone de la galerie Bridgewater, dont il existe à la National Gallery une ancienne copie flamande, dans la manière de ses Vierges ombriennes : la Vierge au voile, du Louvre, appelée aussi le Sommeil de l'Enfant Jésus, achetée par Louis XV aux princes de Carignan en 1743, dont il existe des copies anciennes, chez le duc de Bridgewater et dans la sacristie de la cathédrale de Tolède; la Madone Aldobrandine avec l'Enfant Jésus et le petit saint Jean, sur un fond de ruines antiques, acquise par la National Gallery en 1865; la Madone de Lorette, commandée par le cardinal Riario pour l'église Santa Maria del Popolo, qui a été perdue, mais dont il existe de nombreuses copies anciennes, notamment au musée de Naples; la Vierge de la maison d'Albe, au musée de l'Ermitage (études au musée Wicar); la Vierge au poisson, du musée du Prado, avec Tobie présenté par l'archange Raphaël, peinte vers 1512 pour l'église San Domenico de Naples, transportée de Naples en Espagne par les vice-rois en 1656; la Sainte Famille du musée de Naples; une Madone avec l'Enfant debout, qui a été perdue; la Vierge de Foligno, commandée par Sigismond Conti pour l'église de l'Ara-Coeli, où, dans les airs, la Vierge apparaît glorieuse, tenant l'Enfant en ses bras, tandis que, sur terre, sont saint Jean-Baptiste et saint François d'Assise, et, près du donateur, saint Jérôme. Un bolide (Cronologies : Météorites) semble également représenté sur ce tableau célèbre, peint vers 1512 dans un chaud coloris, qui témoigne l'influence de Sébastien del Piombo (galerie du Vatican). Puis, des portraits. Raphaël n'a pas été un peintre de portraits : on peut s'en convaincre en remarquant qu'il n'a jamais fait que ceux de ses protecteurs ou de ses amis, mais il a le goût des portraits, les multipliant sur des fresques quand ils ne sont pas son sujet même, et il en fait des choses admirables. De cette époque sont le Portrait de Jules Il qu'il peignait, au dire de Passavant, trois fois de sa main : l'original est sans doute celui des Offices qui figura, autrefois, dans l'église Santa Maria del Popolo; celui du palais Pitti n'est peut-être qu'une copie vénitienne; celui de la National Gallery, autrefois au palais Falconieri, est donné par le catalogue comme authentique; celui de Berlin est une copie qui provient de l'ancienne collection Giustiniani: le carton est au palais Corsini, à Florence le Portrait de Bindo Altoviti, depuis 1806 à Munich, acheté alors 49 000 F; les deux portraits de Margherita, appelée la Fornarina, l'un, les seins nus, au palais Barberini, l'autre aux Offices, attribué souvent à Sébastien, peint assurément sous son influence, mais trop parfait pour être de lui-même, dont il existe une copie par Sassoferrato à la villa Borghèse; et celui de Frédéric de Gonzague, détruit sans doute dans le sac de Mantoue. En 1512. après avoir vu la Sixtine, Raphaël peint aussi sur un pilier de l'église Saut Agostino la fresque du Prophète Isaïe, que lui a commandée Jean Goritz, et qui a été fortement restaurée en 1555 par Daniel de Volterra. Il fait les dessins du Massacre des Innocents et de la Mort de Lucrèce qui, gravés, sont les premières oeuvres de Marc-Antoine. Et l'on trouve encore à cette époque des sonnets de lui écrits au revers d'études pour la Dispute du Saint-Sacrement. La faveur de Léon X, qui fut si dur à Michel-Ange, permet à Raphaël de suivre sa magnifique fortune. En 1515, il continue à peindre la chambre d'Héliodore et, substituant la gloire de Léon X à celle de Jules II, il compose Saint Léon le Grand vainqueur d'Attila (étude au Louvre), en souvenir de la victoire que le nouveau pape remporta jadis sur les Français à Novare, et la Délivrance de saint Pierre, en trois parties, avec de curieux effets de lumière, qui représente la délivrance du cardinal de Médicis, prisonnier des Français à Milan après la bataille de Ravenne. Les peintures de la voûte, Dieu apparaissant à Noé, le Sacrifice d'Abraham, le Songe de Jacob et le Buisson ardent, sont considérées aujourd'hui comme ayant été exécutées surtout par Jules Romain, dans une coloration de mosaïque. En 1514, il est chargé de la décoration d'une troisième chambre à la suite des deux premières, la Tour Borgia, appelée depuis la Chambre de l'Incendie. A partir de ce moment commencent à se montrer partout les élèves de Raphaël, et, le maître, surchargé de travaux, s'en fait aider de plus en plus, laissant envahir son oeuvre par eux : on doit remarquer cependant qu'il y eut toujours entre ses élèves et lui une extraordinaire union intellectuelle et qu'il faisait d'eux, par la fascination qu'il exerçait, de véritables expressions de lui-même, ce qui explique que sa part d'exécution soit parfois difficile à établir. Dans la Tour Borgia, il laisse au plafond les jolies peintures du Pérugin, et, commençant ses études, il envoie en 1515 à Albrecht Dürer le carton de la Bataille d'Ostie, qui est à l'Albertine : il ne peint de sa main que l'Incendie du Bourg, où le pape Léon IV, sur les marches de Saint-Pierre, éteint un incendie par l'élévation de la croix, dont les Offices et l'Albertine possèdent des études, et il abandonne à Perino del Vaga et à Jean d'Udine l'exécution de la Bataille dOstie, du Serment de Léon III et du Couronnement de Charlemagne, où le pape et l'empereur sont représentés sous les traits de Léon X et de François Ier. Les figures des soubassements - ce sont ici des princes ayant rendu des services à l'Église - peintes par Jules Romain sur les dessins de Raphaël, ont été plus tard, ainsi que ceux des deux chambres précédentes, complètement repeintes par Carlo Maratta. La Chambre de !'Incendie terminée en 1547, Raphaël se préoccupa de décorer la quatrième chambre, la plus vaste de toutes, où il devait représenter, avec le triomphe de Constantin, la fondation du christianisme d'État. Après avoir peint les autres chambres à la fresque et y avoir essayé des procédés divers, il avait le projet de peindre cette grande salle à l'huile; mais il ne peut en commencer les dessins qu'en 1520, composant l'énorme carton de la Bataille de Constantin, magnifique apparition de foule remuée (il en existe un dessin au Louvre), qui ne fut exécuté qu'après sa mort par Jules Romain; il dessina aussi les figures des Vertus, et l'on croit que celles de la Douceur et de la Justice, peintes à l'huile sur une préparation à la chaux, d'après le procédé de Sébastien del Piombo, furent peintes sous ses yeux; il dessina peut-être aussi des figures de papes; mais il est étranger à tout le reste de la décoration qui fut faite bien plus tard par Francesco Penni et Raffaello del Colle. Cependant, en 1515, à la mort de Bramante, il était devenu, désigné par Bramante lui-même, directeur des constructions du Vatican. Raphaël, qui avait suivi les leçons de son ami et dont le goût pour l'architecture s'était souvent montré dans ses oeuvres peintes, avait déjà construit, dès son arrivée à Rome, la petite église Sant Éligio degli Orefici, près du Tibre et non loin du palais Farnèse, avec les coupoles latérales que Bramante avait projetées pour Saint-Pierre. Différant là comme ailleurs de Michel-Ange par une soumission constante à des lois, il arrive sans audace à une grande beauté; il s'était adonné, du reste, à une étude approfondie de l'architecture, se faisant faire pour son usage une traduction de Vitruve. Architecte du Vatican, il termina les galeries de la cour Saint Damase, en trois étages de loggie, dont on peut à peine imaginer la beauté depuis un siècle qu'elles ont été fermées par des vitres pour la conservation de leurs ornements, et il décora, probablement à partir de 1515, la galerie supérieure, contiguë à la salle de Constantin. C'est dans la voussure de ces loges que sont peintes les scènes de l'Ancien Testament qu'on a appelées la Bible de Raphaël; mais il faut bien noter que Raphaël ici fait une oeuvre d'architecte et qu'il y est, plus que nulle part ailleurs, directeur de travaux; il donne des dessins pour la décoration en stuc, qu'exécute Jean d'Udine, leurs innombrables motifs inspirés souvent des Thermes de Titus, comme pour les sujets peints de la voussure. On doit douter même qu'il ait, ainsi que le dit Vasari, donné des dessins pour toutes les peintures des loges qui commencent - il y en a quatre dans chacune des treize arcades - par Dieu séparant la lumière des ténèbres, où se retrouve le mouvement du Dieu Créateur de Michel-Ange, se terminent par la Sainte Cène, tandis que se déroulent l'histoire d'Adam et d'Eve, celles de Noé, d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, de Joseph, de Moïse, la conquête de la Palestine, l'histoire de David et celle de Salomon; les scènes du Nouveau Testamentn'occupent que la treizième arcade. Dans les trois dernières loges, l'inspiration même de Raphaël ne peut pas se reconnaître : il donna des esquisses pour les dix premières jusqu'à l'histoire de Josué, peignant peut-être lui-même, comme indication, le premier sujet, Dieu séparant la lumière des ténèbres, peut-être aussi l'Éve du Péché originel. Mais dans ce magnifique ensemble où, parmi la beauté des paysages, la petitesse et l'éloignement du sujet, comme le remarque Burckhardt, gardent leur valeur par la simplification du mouvement, on sent la main trop lourde des élèves, de Jules Romain, de Francesco Penni, de Perino del Vaga, de Raffaelle del Colle, de Pellegrino de Modène, de Polidoro, de Vincenzo de San Gimignano. Nommé, en 1515, architecte de la fabrique de Saint-Pierre, en 1516, surintendant des édifices antiques, il est chargé de la surveillance générale des fouilles.et il fait des restitutions, qui ont été perdues, de la plupart des monuments antiques de Rome. Comme architecte de Saint-Pierre, il fit surtout des travaux de consolidation, et il substitua sur les plans, au moyen d'arcades ajoutées, la croix latine à la croix grecque de Bramante que devait reprendre encore Michel-Ange. Il avait, en 1515, suivi Léon X à Florence et pris part à un concours pour la façade de San Lorenzo, avec San Gallo, les Sansovino, peut-être Léonard, et Michel-Ange, qui l'emporta; ce fut sans doute alors qu'il donna les plans du palais florentin Panidolfini-Nencini. En 1516, il dirige la continuation de la villa Madama, élevée près de Rome pour le cardinalJules de Médicis, plus tard Clément VII, aujourd'hui ruinée, et dont il confie l'exécution à Jules Romain et aux San Gallo; il fait les plans du palais Vidoni, près de Sant Andrea del Valle, qu'exécute Lorenzetto, et il restaure sur le mont Coelius l'église de la Navicella. Ses travaux pour Agostino Chigi datent du même temps. Quant au palais du Borgo, qu'il allait habiter près de Saint-Pierre, sur la place Scossa Cavalli, et où il devait mourir, c'est par Bramante qu'il avait été construit. Pendant le travail des loges, et tout auprès d'elles, Raphaël s'était occupé de la décoration de la chambre de bains du cardinal Bibbiena, qu'on ne voit plus depuis soixante ans; il y avait raconté, avec l'idée conductrice de la toute-puissance de l'amour, l'histoire de Vénus et de Cupidon en six compositions peintes par ses élèves : la Naissance de Vénus, Vénus et l'Amour assis sur des dauphins, Vénus blessée se plaignant à l'Amour, Jupiter et Antiope, Vénus retirant une épine de son pied et Vénus et Adonis, le septième tableau, Vulcain et l'Amour, ne devant pas lui être attribué sous chacun d'eux était un triomphe de l'Amour conduit par des cygnes, par des tortues, par des serpents; il en existe à l'Ermitage des copies anciennes. Il peignit aussi des divinités planétaires sur la voûte de la grande salle des Pontifes de l'appartement Borgia. On peut placer ici les dessins des Douze Apôtres dont l'exécution a disparu sous d'autres peintures (ceux qui figurent aux piliers de San Vincenzo et Anastasio ont été faits d'après les gravures de Marc-Antoine), et les fragments d'Alexandre et Roxane (dessins au Louvre, au British Museum et à Budapest; copie à la sanguine par Sodoma à l'Albertine), transportés à la villa Borghèse de la villa située près de la porte du Peuple, maintenant en ruines, et qu'on avait nommée villa de Raphaël. Pour le Tir des dieux, le dessin en est assurément de Michel-Ange, ainsi que le prouve un dessin de Windsor, dont Raphaël possédait une copie, peut-être faite par lui, sur laquelle il avait écrit à Michele Angelo, Buonarroti, et qui se trouve à Milan. Quant aux fresques qu'il peignit ou qu'il prépara entre 1515 et 1518 pour la Magliana, qui était une maison de campagne des papes aux environs de Rome, elles se, composaient du Martyre de sainte Cécile ou de sainte Félicité, qui a été détruit, et du Père Eternel bénissant le monde, non peint de sa main, qui a été acquis, en 1883, par le Louvre, 207 000 F. Dès 1540, Raphaël était entré en relation avec le riche banquier Agostino Chigi, pour lequel il allait faire ses oeuvres de la Farnésine, de Santa Maria della Pace et de Santa Maria del Popolo. Aussitôt il s'occupe de la villa que se faisait élever Chigi par Baldassare Peruzzi, villa dont le Tibre baignait les jardins, et, outre qu'il construisit une loggia qui donnait directement sur le fleuve et des écuries pour 100 chevaux qu'une rectification du Tibre a fait disparaître, on doit lui attribuer une part de collaboration dans la délicieuse Farnésine elle-même. Et, en 1513, tandis qu'il peint la chambre d'Héliodore, il peint aussi pour un des panneaux de la villa de Chigi, le Triomphe de Galatée, ouvre merveilleuse de légèreté. Puis il fait, en 1514, cet autre morceau capital des Sibylles de la Pace (études à Chantilly), fresque grandiose où apparaissent, inspirées par des anges, la Tiburtine, la Cuméenne, la Phrygienne et la Persique : l'influence ressentie de Michel-Ange laisse éclater le génie propre de Raphaël. Timoteo Viti, le maître de son enfance, devenu son disciple, peignit au-dessous d'elles les Prophètes. Ce fut en 1546 qu'il donna les plans: de la chapelle Chigi, placée dans la nef gauche de Santa Maria del Popolo, et qui devait être la chapelle funéraire du banquier; il en fit la décoration, composant le carton de la coupole, Dieu le Père entouré de planètes, que traduisit en mosaïque de verre un artiste de Venise, Luigi della Pace, et même prépara le modèle de la statue de Jonas et des bas-reliefs de l'autel qu'exécuta son élève Lorenzetto. Enfin, en 1518, il entreprit, pour la grande loggia inférieure de la Farnésine, les dessins de l'Histoire de Psyché, dont il prend le sujet, en l'adaptant à son idée; dans les Métamorphoses d'Apulée que Béroalde le jeune vient de traduire. Jules Romain et Francesco Penni peignirent, souvent avec lourdeur, ces compositions exquises où la forme semble plus belle que jamais, tandis que Jean d'Udine était chargé des parties décoratives. Sur le long plafond droit, divisé par le milieu, furent représentés en deux grands tableaux Psyché dans l'Olympe et le Banquet des dieux aux noces de Psyché, et, sur les voussures tombantes du plafond, en dix pendentifs Vénus désignant Psyché aux traits de l'Amour, l'Amour montrant Psyché aux Trois Grâces; Vénus reprochant à Junon et à Cérès de protéger Psyché, Vénus traversant les airs sur un char attelé de colombes; Vénus implorant Jupiter, Mercureenvoyé à la poursuite de Psyché (qui a été copié par Ingres), Psyché revenant des enfers, Psyché aux genoux de Vénus, Jupiter embrassant l'Amour, Psyché montant au ciel avec Mercure; dans les lunettes, au-dessous des pendentifs, furent peints quatorze Amours avec les attributs des dieux. Raphaël; ayant terminé ses dessins en 1549, commença à composer une suite de l'Histoire de Psyché, sans doute pour les murs de la loggia, qui ne nous est connue que par des gravures et que plus tard Michel Coxie compléta ou développa. Pendant les travaux, le plus souvent il habitait la. Farnésine, et l'on raconté que, patte l'y retenir davantage, Chigi y avait donné un appartement à sa Fornarina si aimée. Au milieu de tant de travaux dont la multiplicité nous semble prodigieuse autant que la diversité, le puissant artiste au corps délicat fait encore en 1515 et 1516 une de ses plus grandes oeuvres; les cartons que Léon X lui a demandés pour faire exécuter en Flandre des tapisseries qui, placées au-dessous des fresques latérales, devront compléter la décoration de la Sixtine. Il composa les dix cartons de la première série avec des sujets tirés des Actes des Apôtres : la Pêche miraculeuse, la Vocation de saint Pierre (« Pais mes brebis! »); la Guérison du boiteux, le Châtiment d'Ananie; le Martyre de saint Etienne, la Conversion de saint Paul, l'Eblouissernent du magicien Elymas, le Sacrifice de Lystra, Saint Paul en prison et la Prédication de saint Paul à Athènes. Les peignant lui-même, Raphaël en fit ses étonnants tableaux ou la beauté de l'École d'Athènes paraît dépassée encore : dans ces scènes dramatiques ou profondes, se détachant sur des fonds du paysage ou d'architecture; toutes empreintes de sublimité religieuse, il est arrivé au plus haut degré de l'émotion par la simplicité du geste, et il a peut-être peint, dans le Christ, de la Vocation de saint Pierre, sa figure la plus admirable. Aussitôt exécutées à Bruxelles, probablement dans l'atelier de Pieter van Aelst, sept des tapisseries furent mises en place aux murs de la Sixtine le 26 décembre 1518, jour de la fête de saint Etienne; les trois autres furent prêtes l'année suivante. Las belles bordures, composées en partie par Raphaël aidé de Francesco Penni et de Jean d'Udine, représentaient dés scènes de la vie de Léon X et des sujets païens et chrétiens. On a retrouvé au Vatican, en 1869, une onzième tapisserie, le Couronnement de la Vierge, qui avait orné l'autel de la Sixtine, faite seulement d'après une esquisse de Raphaël, peut-être celle d'Oxford, et qui n'était arrivée à Rome que sous Paul Ill. D'autres copies des cartons furent faites au XVIe siècle par les tapissiers de Bruxelles : ainsi les suites de Madrid, de Berlin et de Vienne; François Ier en avait une, qui a été détruite à la fin du XVIIIe siècle; Charles Ier, en avait fait copier à la fabrique de Mortlake une suite qui est aujourd'hui au Garde-Meuble, et Louis XIV en fit tisser une aux Gobelins; la suite de Dresde provient aussi de la fabrique de Mortlake; celle qu'on voyait autrefois à Lorette avait dû être tissée à Urbin. Léon X lui avait commandé une autre suite de cartons qui devaient représenter des scènes de l'enfance et de la mort du Christ, mais Raphaël ne fit que de petits dessins : les tapisseries nouvelles, exécutées seulement en 1530, font face aux autres dans la galerie des « Arazzi ». Le pape n'avait pas réclamé aux tapissiers de Bruxelles les cartons qui, après avoir été découpés pour la facilité du travail, furent dispersés : la Conversion de saint Paul et saint Paul en prison, qui, au reste, avaient été exécutés sans doute par ses élèves, furent perdus ainsi que la Lapidation de saint Étienne. Rubenstrouva les autres et engagea Charles Il, à les acheter; après la mort du roi, Cromwell les fit acquérir par le gouvernement; réparés seulement sous Guillaume III, ils furent alors placés à Hampton-Court où ils restèrent jusqu'en ces dernières années et ou ils furent copiés par Baudry ils fout aujourd'hui la gloire du musée de Kensington. Raphaël qui avait fait des dessins pour les bordures de ses tapisseries, comme aussi pour des mosaïques, en fit encore pour des pièces d'orfèvrerie et pour des travaux de marqueterie, comme aussi pour le carrelage des loges. Il avait, dès 1540, dessiné deux plats pour Agostino Chigi, qu'on croit reconnaître dans deux dessins de Dresde et d'Oxford, qui furent exécutés en bronze par un orfèvre de Pérouse, Cesarino di Francesco. Mais, si l'on a quelquefois fait de lui un peintre de majoliques, c'est en le confondant avec Raffaello Ciarla d'Urbin, sans doute son parent, bien qu'il ait pu fournir des esquisses pour la céramique. Il donna, en outre; des dessins pour un vase à parfums qui devait être offert à François Ier, pour un coin de monnaie que voulait faire frapper Laurent de Médicis; duc d'Urbino, et pour une de ces médailles que l'on attachait au chapeau, et il composa les décors pour les Suppositi de l'Arioste; on ne croit plus que la jolie fontaine des Tortues à Rome soit de lui. Quant aux ouvrages de sculpture, en dehors de ceux de la chapelle Chigi, l'invention du groupe de l'Enfant mort porté par un dauphin, et meme une partie de son exécution sont vraisemblablement de lui. Et cependant, de 1513 à 1520, si constamment occupé qu'il soit par Léon X et par Agostino Chigi, il peint un grand nombre de tableaux religieux et de portraits : d'abord l'admirable portrait du pape lui-même; Léon X avec les cardinaux Jules de Médicis et Louis de Rossi, peint vers 1548, exposé à Paris en 1797, aujourd'hui au palais Pitti, dont il existe une copie par André del Sarte au musée de Naples; puis celui du prélat Fedra Inghirami, avec un strabisme fortement indiqué dans une curieuse poursuite de la réalité, dont l'original est au palais Inghirami à Volterra et dont l'exemplaire du palais Pitti n'est qu'une copie contemporaine; ceux de Navagero et Beazzano, qui ont été perdus, et dont la belle copie ancienne du palais Doria peut être de Polidoro; le Cardinal Bibbiena, du palais Pitti, et le Portrait du cardinal Alidosi, de Madrid, qui n'est, comme on l'a cru longtemps, ni l'original ni la réplique du Bibbiena de Florence; les portraits, qui ont été perdus, de Tebaldeo et de Laurent de Médicis, neveu du pape (il existe de celui-ci une très belle copie ancienne au musée Fabre de Montpellier), et celui de Julien de Médicis, que l'on a cru reconnaître dans un portrait acheté par la cour de Russie et dont il existe aux Offices une copie par Bronzino; celui de Balthasar Castiglione, au Louvre, peint en 1546, qui appartint à Charles Ier, puis passa à Amsterdam, fut copié par Rubens, et dont Rembrandt fit un dessin qui est à l'Albertine : venu ensuite dans la collection de Mazarin, il passa dans celle de Louis XIV; Castiglione fut peint une seconde fois par son ami, en 1549; l'original en est sans doute au palais Torlonia, à Rome; le Portrait de Jeune homme accoudé, du Louvre, qui passait autrefois pour un portrait du peintre; celui de Jeanne d'Aragon, vice-reine de Naples, au Louvre, demandé par le cardinal Bibbiena pour François Ier, dont une partie doit avoir été peinte par Jules Romain, et qui fut apporté à Paris en 1518 (copié par Sassoferrato à la National Gallery et copie hollandaise au palais Doria) : transporté sur toile, le Primatice le nettoya en 1540; celui du Joueur de violon (collection Alph. de Rothschild), daté de 1518, portrait d'un improvisateur de la cour de Léon X, qu'on pense pouvoir être Andrea Marone de Brescia. La Dame au voile, du palais Pitti, n'est qu'un ouvrage bolonais, considéré comme la copie d'un original perdu du maître; quant aux Portraits d'hommes, du Louvre, qui ne représentent ni Raphaël ni son maître d'armes, ils sont attribués maintenant à Sébastien del Pombio ou à Pontormo; le beau Portrait de jeune homme, du musée Fabre, est donné par Passavant comme étant de Ghirlandajo. Dans le même temps, Raphaël continue la série de ses Madones, sollicité de les composer, mais y prenant toujours un grand goût, tandis qu'il modifie son idéal religieux. Citons : la Madonna del l'Impannata, du palais Pitti, commandée par Altoviti, peinte en grande partie par deux de ses élèves; il en existe une esquisse dans la collection royale d'Angleterre; la Madone della Tenda, de Munich, autrefois en Angleterre, dont le duc de Devonshire possedait l'esquisse (copie à Turin); le Couronnement de la Vierge, du Vatican, pour le couvent de Monte-Luce, près de Pérouse, préparé par Raphaël et peint seulement après sa mort par ses élèves; la Vierge, Sainte Élisabeth, l'Enfant Jésus caressant le jeune saint Jean, appelé aussi la Vierge au berceau, et la petite Sainte Famille du Louvre, donnée par Raphaël au cardinal de Boissy, et achetée par Louis XIV à Loménie de Brienne, peinte, croit-on, par le Garofalo ou Jules Romain vers 1517 : il était autrefois recouvert par un volet qui en a été détaché et sur lequel est peinte en grisaille une figure de l'Abondance; la Sainte Famille sous le chêne, qui semble peinte en partie par Francesco Penni, bien qu'elle soit signée, et qui est au musée du Prado ainsi que la Vierge à la rose et la Visitation; la Vierge aux candélabres, autrefois au palais Borghèse et qui, après avoir appartenu à M. Munro, à Londres, est maintenant à New York, avec deux anges qui ont été ajoutés. De plus en plus il représente la Vierge puissante et glorieuse, la magnifiant jusqu'à la beauté surnaturelle de la Madone de Saint-Sixte. Il peint la Sainte Famille de François Ier, signée « Raphaël Urbinas pingebat Romae » et datée de 1518, qui est au Louvre, offerte en présent à lamine de France, par le second Laurent de Médicis, lors de son mariage, et payée par le pape elle était recouverte de volets peints doublés de velours vert qui ont été détruits pendant la Révolution; transportée sur toile, elle fut nettoyée par le Primatice en 1540, ainsi que le portrait de Jeanne d'Aragon et la Sainte Marguerite; Mignard la copia : le carton, donné par Raphaël au duc de Ferrare, a été perdu. Le maître, comme on le voit à certaines lourdeurs de couleurs, s'y était fait aider par Jules Romain, ainsi qu'il le fit aussi dans la Sainte Famille, dite la Perle, du musée du Prado, autrefois dans la collection de Charles Ier. Ils firent la Vierge à la chaise, du palais Pitti, dont le musée Wicar possède deux esquisses; et Raphaël arrive à cette oeuvre suprême de la Madone de Saint-Sixte, apparue au ciel, tenant l'Enfant en ses bras, tandis que sur terre sont agenouillés le pape saint Sixte II et sainte Barbe et que deux petits anges, accoudés à une balustrade, levant la tête, la contemplent : tableau surhumain, exécuté d'un seul jet - on n'en connaît ni étude ni esquisse - et entièrement de la main de Raphaël; il l'avait peint sur toile, ce qui lui était exceptionnel, pour le couvent de Saint-Sixte à Plaisance, où ce tableau fut remplacé dans le cadre original par une copie du XVIIIe siècle, quand Auguste III l'acheta - 60 000 florins - en 1753 pour le musée de Dresde dont elle est le trésor, bien qu'un érudit de la ville, le Dr Ludwig Zelinck, ait cru pouvoir se permettre d'en contester l'authenticité. Il composa, dans une réminiscence pérugine, l'esquisse appelée les Cinq Saints, le Christ entre la Vierge et saint Jean-Baptiste avec saint Paul et sainte Catherine, qui est au Louvre et dont l'exécution, faite par ses élèves, se trouve au musée de Parme; le Saint Jean dans le désert, des Offices, commandé par le cardinal Colonna et que dut achever Jules Romain : il en existe une réplique au Louvre qui, ayant été prêtée à l'église de Longport, figura par erreur dans la vente du duc de Maillé et, achetée 59 F par un marchand, dut être revendiquée par l'État; la Sainte Marguerite, du Louvre, de la collection de François Ier, dont le musée du Belvédère a une réplique; le Saint Michel terrassant le démon, au Louvre aussi, signé et daté de 1518, offert à François Ier, par Laurent de Médicis, où l'on a vu une allusion à la puissance royale combattant le protestantisme, et qui rappelle le petit Saint Michel de 1507, dans une de ces répétitions. En 1517, il peint un de ses tableaux les plus dramatiques, le Portement de Croix, du musée du Prado, appelé la Spasimo di Sicilia, du nom du couvent de Palerme pour lequel il avait été commandé : transporté par un navire qui fit naufrage, il fut rejeté par la mer dans le port de Gênes; Philippe IV le fit enlever de Palerme, donnant en échange une rente perpétuelle de 1 000 écus, et apporter à Madrid: il a été restauré à Parisen 1815 (belles copies anciennes au musée du Belvédère et à Catane). Raphaël donne enfin, dans une représentation du surnaturel, trois oeuvres de visions resplendissantes : la Sainte Cécile, de la Pinacothèque de Bologne, entourée de saints, avec un groupe d'anges au ciel, commandée en 1516 par donna Élena Duglioli pour l'église San Giovanni in Monte de Bologne, dont les accessoires furent peints par Jean d'Udine et qu'il chargea son ami Francia de mettre en place (copiés par Guèdre à Saint-Louis des Français, à Rome, et par Denys Calvaert à la National Gallery); la Vision d'Ézéchiel, du palais Pitti, prodigieuse esquisse peinte, composée pour le comte Ércolani, de Bologne; et complétée sans doute par Jules Romain : une copie en avait été achetée à Bologne par Nicolas Poussin pour M. de Chantelou; après avoir passé dans la galerie du duc d'Orléans, elle est maintenant en Angleterre. Vient ensuite la Transfiguration. Ce célèbre tableau avait été commandé en 1519 par le cardinal Jules de Médicis pour l'église de Narbonne dont il avait obtenu le titre épiscopal de François Ier Raphaël devait d'abord peindre la Résurrection, puis, ayant beaucoup hésité, et après de nombreuses études, dont on en voit plusieurs à l'Albertine, au Louvre et à Oxford, il composa la Transfiguration, la représentant en deux groupes, l'un céleste, l'autre terrestre, opposant au calme d'en haut l'agitation d'en bas. Il la laissa inachevée. Jules Romain devait la terminer - et l'on est tenté encore, pour ne pas toucher à la gloire de l'exquis Urbinate, attribuant à l'élève ce qu'il y a de dur dans toute la coloration en brique du groupe inférieur, de lui attribuer aussi ce qu'il y a de conventionnel en de certains arrangements - et toucher pour son travail 224 ducats d'or (Raphaël en avait reçu 655) : le cardinal de Médicis, en voyant une telle oeuvre et Raphaël étant mort, ne voulut pas en priver Rome, et, tandis qu'il envoyait à sa place, à l'église de Narbonne, la Résurrection de Lazare de Sébastien del Piombo, pour laquelle Michel-Ange avait donné des dessins et qui est aujourd'hui à la National Gallery, il offrit la Transfiguration à l'église San Pietro in Monterio, où elle resta jusqu'en 1797. Apportée alors à Paris, elle y demeura sous l'Empire et fut soigneusement restaurée; elle est depuis 1815 dans la galerie de peinture du Vatican, auprès de la Madone de Foligno. Quand on ouvrit en 1833 le cercueil de Raphaël, on fit un moulage de son crâne dont les exemplaires furent donnés à la ville d'Urbin, à l'Académie de Saint-Luc, à l'empereur d'Autriche et au roi de Prusse; et son squelette fut dessiné par Camuccini. Raphaël était de taille moyenne, ayant 1,68 m, bien proportionné, bien que son cou fût long; il était châtain avec de très beaux yeux noirs, et avait la mâchoire inférieure légèrement avancée. Ses portraits sont nombreux : par son père, lorsqu'il était tout enfant, à Urbin et à Cagli; par Timoteo Viti, à l'âge de douze ans, à la villa Borghèse; par lui-même, à vingt-trois ans, aux Offices: c'est son portrait le plus connu et, en quelque sorte, le plus authentique; par lui-même, à vingt-six ans, à mi-corps, avec un manteau de fourrure : ce joli portrait, qu'il avait envoyé à Francia, n'est connu que par la gravure et par un tableau de la collection Czartorisky; par lui-même encore, dans l'École d'Athènes; par Marc-Antoine, dans les dernières années fatiguées de sa vie; on en voit aussi à Oxford, au palais Barberini et au musée de Budapest. Raphaël menait à Rome une vie de grand seigneur, mais il était modeste et affable, toujours bienveillant avec ses élèves, généreux, comme il le témoigna au vieux Fabius de Ravenne qu'il avait recueilli chez lui, lui faisant traduire Vitruve, et resté assez simple pour lui demander des conseils. Il était devenu fort riche : quand il mourut, il avait une fortune d'environ 46 000 ducats d'or qu'il laissa à ses parents, d'Urbin et surtout à ses élèves. A la vérité, ceux-ci avaient occupé dans sa vie et dans son oeuvre une place immense: Jules Romain, Paria del Vaga, Jean d'Udine, Bagna Cavallo, Francesco Penni, Polidoro, qui avait commencé par porter son mortier pour écraser les couleurs, Innocenzo da Imola, Andrea da Salerno et tant d'autres. Jamais maître n'eut un aussi grand nombre d'élèves et surtout ne fut aussi véritablement leur maître : ils ne vivaient que par lui, et, comme leur vie était une dépendance de la sienne, il existait une grande harmonie entre eux. Son exceptionnelle situation lui avait attiré des élèves de toutes les villes italiennes (de Rome il n'avait que Jules Romain), et elle lui avait permis, satisfaisant ce goût ardent pour l'Antiquité qu'il tenait de Bramante, d'envoyer des dessinateurs par toute l'Italie et en Grèce même, lui chercher des documents; il s'était composé de la sorte un riche portefeuille; et, ainsi entouré d'aides, il avait pu entreprendre une restitution complète de la Rome antique ( Antiguae urbis Romae cum regionibus simulachrum; Rome, 1532). Depuis le XVIe siècle, tous les graveurs de tous les temps et de tous les pays ont gravé Raphaël : on citera seulement en France, comme oeuvres d'ensemble, les Loges de Nicolas Chapron et celles de Calamatta. Alors qu'ils étaient l'un et l'autre en pleine gloire, l'on avait opposé naturellement Raphaël à Michel-Ange : rarement d'ailleurs une opposition fut plus caractérisée. Aussi différents dans leur vie que dans leur art, jamais ils ne sentirent le besoin de s'aimer, mais l'on a faussé violemment la vérité en faisant d'eux des ennemis. dans la lutte qu'on engagea entre eux, Michel-Ange, qui était le plus fort et le moins fêté, se crut persécuté par Raphaël et par Bramante et, dans sa volontaire solitude, il prit pour allié ce Sébastien de qui Raphaël devait tant apprendre comme de Michel-Ange lui-même. Mais il faut noter que, appelé comme expert devant les Sibylles de la Pace, Buonarroti en fut le plus noble admirateur, et que Raphaël s'estimait heureux d'être né dans un temps où Buonarroti vivait. Michel-Ange, qui ne devait presque rien à personne, disait que le génie de l'Urbinate tenait plus de l'étude que de la nature: Raphaël, en effet, absorbé dans un travail incessant, s'efforçait constamment, d'un effort prodigieux, vers une perfection plus grande, s'inspirant de tout ce qui lui apparaissait comme un témoignage nouveau de la beauté; aussi subit-il de très nombreuses influences, mais l'on doit remarquer que, reçues par sa nature impressionnable, il les transforma toutes dans sa conception personnelle - qui était géniale - de la beauté dans l'harmonie. Ces influences sont, avec la part excessive qu'il laissa prendre à- ses élèves dans son oeuvre, les deux points les plus curieusement caractéristiques de sa vie. C'est seulement d'ailleurs par une telle participation que l'on peut arriver à comprendre l'immensité de la production de ses vingt années de travail. Passavant, dans son remarquable catalogue, compte 248 oeuvres de peinture authentiques, dont est riche toute l'Europe, et une centaine d'autres qui, pour quelques-unes, sont aussi de lui; quant à ses dessins, dont on voit de si riches collections au Louvre, au musée Wicar, au British Museum, à Chantilly, à Oxford, à Venise, aux Offices, à l'Ambrosienne, à l'Albertine, à Windsor, chez le duc de Devonshire, ils sont presque innombrables, et une grande quantité en a été perdue : parfois l'on en retrouve, ainsi une feuille d'études pour la Dispute du Saint-.Sacrement dans le Codex du P. Resta à l'Ambrosienne (la Gazette des beaux-arts du 1er janvier 1900). Il se plaisait infiniment à dessiner, le faisant avec une grande conscience, étudiant la figure nue avant de l'habiller, toujours amoureux de la forme; sans doute il fut aussi maître de la couleur, bien qu'il eût eu tort, après avoir peint le Parnasse, de vouloir ressembler aux Vénitiens; mais il est davantage le maître de la forme qu'il a conquise jusqu'en sa plus entière beauté, arrivant à ce point de perfection qui devient le « modèle », modèle que suivront passionnément, sans se préoccuper de la nature, des myriades de peintres, qui sera la source de toutes les conventions, et dont se réclameront avec un abus indiscret toutes les renaissances académiques. Lui cependant fut toujours sincère, inquiet sans cesse de la vérité, quoiqu'il eût en lui-même cet idéal et il écrivait à Castiglione: « Il y a si peu de bons juges et de beaux modèles que je travaille d'après une certaine idée que j'ai dans l'esprit ».Il fut sincère en son art comme en sa pensée, et alors qu'il représentait surtout dans son oeuvre des sujets sacrés, il était non un peintre pieux, mais bien un peintre religieux, touché par la sublimité religieuse et cherchant dans sa croyance à se rapprocher de plus en plus de l'idée chrétienne; au reste, si constamment épris d'idéal qu'on l'a nommé dans toutes les langues le divin Raphaël. (Etienne Bricon, c. 1900).
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