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Maindron

Maurice Georges René Maindron est un voyageur et écrivain français né et mort à Paris (1857-1911). Il s'est fait connaître comme archéologue, naturaliste et romancier. 

Dans une série de missions et de voyages, d'où il a rapporté des collections intéressantes, il a visité la Malaisie et la Nouvelle-Guinée (1876-1877), le Sénégal (1879), le Coromandel et le Carnatic (1830-1881), Java et Sumatra (1884-1885), la baie de Tadjourah (1893), la côte du Sind et Mascate (1886), l'Inde française et la côte de Malabar (1901). 

Archéologue, Maurice Maindron s'est surtout occupé d'armes anciennes et a acquis sur ce sujet une autorité incontestée; littérateur, il a publié des romans remarquables par la précision et la sobriété du style, l'exactitude minutieuse des détails d'érudition, et par de vivantes évocations des moeurs françaises à l'époque des Valois et des Guerres de religion.

Nous citerons de lui : les Papillons (1887); les Armes (1890); les Hôtes d'une maison parisienne (1891); le Tournoi de Vauplassans (1895); le Naturaliste amateur (1897); Saint-Cendre (1898); l'Art indien (1899); Récits du temps passé (1899); Blancador l'avantageux (1900); Monsieur de Clérambon (1904); le Meilleur parti, comédie en quatre actes (1905); l'Arbre de science (1906); le Carquois (1907); Dans l'Inde du Sud, deux séries (1907-1909); Ce bon monsieur de Véraguss (1911); Dariolette (1911). (G.-F.).
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Une revue de reîtres au XVIe siècle

 « Saint-Cendre, tout armé, descendit pour gagner la première cour. Derrière lui on portait ses gantelets, sa bourguignotte, son épée et ses éperons. Pris du cou aux genoux dans son armure à longs cuissots, écaillée comme une queue d'écrevisse, il avançait, telle une haute et svelte statue de bronze noirci damasquiné d'or. Quand il eut chaussé ses éperons, ceint son épée de guerre à garnitures bleuies, mis ses gantelets et armé sa tête, il monta sur un cheval dont la sellerie était de velours, de cuir et de soie à ses couleurs, avec des chasse-mouches à clous argentés et un hausse-queue de clinquant. Un plumet s'épanouissait en gerbe sur le carrefour de sa têtière, une pissière de satin brodé habillait le poitrail, et l'arrière-train se cerclait d'une semblable croupière...

Suivant un trompette, dont le cheval blanc encensait en secouant son mors souillé d'écume, tant le savon avait été appliqué en épaisseur à l'embouchure, le marquis pénétra sous l'énorme porche cintré de la maîtresse tour, où cinq cavaliers pouvaient passer aisément de front. Il traversa trois cours
avant que d'atteindre la dernière porte qui donnait sur la vaste esplanade où, plus d'une fois, il avait assisté Clérambon dans la direction des exercices. Au milieu du grand terrain soigneusement battu, enclos de toutes parts par une chemise dont les créneaux surmontaient la banquette coupée de place en place par des bastions qui dépassaient comme des avants de galères, se dressait le maître de la Roche-Thulon. Monté sur un cheval d'armes noir bardé d'acier gravé et doré, le comte de Clérambon portait par-dessus son harnois de même travail une robe étroite de velours écarlate, insigne de commandement suprême, indiqué aussi par le démesuré plumet blanc qui recourbait ses pennes en crosse à trois pieds au-dessus de son armet, dont le bec pointu semblait celui d'un gigantesque passereau aveugle.

A la sonnerie du trompette, il leva son mézail, et sa face blême apparut, encadrée dans le fer étincelant chargé de bandes dorées et dans le velours cramoisi de la coiffe qui dépassait à border les joues. S'avançant avec sa suite de dix officiers et cinquante pages qui formaient un groupe où l'éclat des métaux se confondait avec le chatoiement des soies et des plumes, des brocarts et des damas, il salua le marquis de l'épée. Puis, quand celui-ci l'eut rejoint, Clérambon le prit par la main et le mena devant le front des troupes qui portèrent les armes. Cent cinquante cavaliers divisés en deux masses flanquaient de leurs escadrons profonds la triple ligne des gens de pied, rangés sur un déploiement de soixante hommes. Tous ces fantassins avaient les corselets et les movrions suivant le modèle de Pise, une manche de velours noir et vert, des bras de mailles; la plupart avaient des arquebuses et des mousquets, quelques autres des piques, et leurs épées, leurs dagues étaient engainées dans des fourreaux de velours. Mais les reîtres étaient tous pris dans des armures noires et blanches, leurs chevaux étaient gris de fer, et de tous ces soldats, les plumets et les aigrettes étaient noirs, uniformément.

- Messieurs, - clama M. de Clérambon d'une voix haute et vibrante, - je vous présente en ce jour le marquis de Saint-Cendre, mestre de camp de Messieurs les Princes, qui va vous mener à la guerre avec moi.

Les exclamations des gens de pied se mêlèrent aux rauques vivats des Allemands, car tous connaissaient le fameux marquis, et chacun se réjouissait à l'idée de marcher sous ses ordres, tant on savait qu'il y aurait à gagner...

Après une pirouette, mettant son cheval au galop sur deux pistes, M. de Clérambon recula pour laisser aux troupes l'espace nécessaire à leurs manoeuvres. Au milieu de la musique des trompettes, des hautbois et des fifres, du roulement des tambours, du grincement des violons, les corps se mêlèrent, tourbillonnèrent avec art, et reprirent leur place comme des objets emportés par le remous d'un fleuve se tassent, accumulés dans un bief, suivant leur ordre de naturelle densité.

Sous les yeux attentifs de Clérambon et de Saint-Cendre, la petite armée défila sans qu'une pointe de pied dépassât une autre, et les muserolles des chevaux étaient alignées de telle sorte que les serre-file se laissaient seuls voir par le flanc et que les jambes des chevaux indiquaient par leur nombre la profondeur des rangs. Quand un gros passait, le rittmestre, trottant de côté, se détachait, venait saluer le colonel, - car M. de Clérambon faisait porter à ce titre, derrière lui, la grande enseigne blanche, et aussi son guidon coupé de sable et de sinople sur quoi était figuré un moine pendu, - et demeurait à sa droite, à trois longueurs en avant, jusqu'à ce que ses hommes fussent passés.

Et tous les cavaliers d'Allemagne, quel que fût le rang où ils combattissent, montraient sous leurs armures à longs cuissots en écrevisse, noirs striés d'argent, des manches et des chausses démesurément vastes, à crevés, à taillades, par où passaient des doublures de soie claire; et ces vêtements s'étranglaient sous les courroies reliant les diverses pièces des harnois. Les reîtres défilèrent par rangs de quinze hommes sur une profondeur de dix cavaliers par file, et à leur tête marchaient des timbaliers empanachés, comme des coqs, faisant résonner leurs cuves de cuivre voilées par des tabliers de cendal brodé, couleur de tan, avec l'aigle de Brandebourg étalé. Et les mêmes armoiries marquaient les sayes des hommes qui levaient haut leurs courtes baguettes. Elles descendaient et montaient à la cadence de la marche, soulevant le son âpre des cuivres. Derrière, en queue, les valets, armés plus à l'aventure, avaient des airs de maîtres, tant leurs bêtes de bât ou de selle étaient bien tenues; beaucoup menaient des chevaux de main, des faucons et des chiens. Les vivandières, les femmes et les enfants gardaient une tenue militaire, et ils ne se confondaient pas comme les bêtes d'un troupeau pressé. Des bas officiers qui les surveillaient de près, Clérambon admirait l'exacte police; car, sans souci des personnes, ils donnaient à propos de la canne sur ceux qui semblaient entrer en désordre. Et toutes ces femmes passèrent sur leurs mules, leurs courtauds ou leurs sommiers; beaucoup tenaient des petits nouveau-nés dans leurs bras, et l'on se réjouit à voir une d'elles qui portait un singe, une autre qui, sous son manteau, avait un renard à collier d'orfèvrerie. »
 

(M. Maindron,extrait de Saint-Cendre).
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Dictionnaire biographique
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