|
. |
|
Nous avons été chargés par l'Académie, M. Fougeroux, M. Cadet et moi, de lui rendre compte d'une observation communiquée par M. l'abbé Bachelay, sur une pierre (Météorite)qu'on prétend être tombée du ciel pendant un orage. Il n'y a peut-être pas de pierres dont l'histoire fût aussi étendue que celle des pierres de tonnerre (Jacquart : Céraunies ou pierres de tonnerre), si l'on voulait rassembler tout ce qui a été écrit à ce sujet par les différents auteurs. On peut en juger par le grand nombre de substances qui portent ce nom. Cependant, malgré l'opinion accréditée parmi les anciens, les vrais physiciens ont toujours regardé comme fort douteuse l'existence de ces pierres. On peut consulter à ce sujet un mémoire de M. Lemery, imprimé parmi ceux de l'Académie, année 1700. Si l'existence des pierres de tonnerre a été regardée comme suspecte dans un temps où les physiciens n'avaient presque aucune idée de la nature du tonnerre (La Foudre et les éclairs), à plus forte raison doit-elle le paraître aujourd'hui que les physiciens modernes ont découvert que les effets de ce météore étaient les mêmes que ceux de l'électricité. Quoi qu'il en soit, nous allons rapporter fidèlement le fait qui a été communiqué par M. Bachelay; nous examinerons ensuite quelles sont les conséquences qu'on peut en tirer. Le 13 septembre 1768, sur les quatre heures et demie, du soir, il parut du côté du château de la Chevallerie, près de Lucé, petite ville du Maine, un nuage orageux, dans lequel se fit entendre un coup de tonnerre fort sec et à peu près semblable à un coup de canon. On entendit à la suite, dans un espace d'environ deux lieues et demie, sans apercevoir aucun feu, un sifflement considérable dans l'air, et qui imitait si bien le mugissement d'un boeuf que plusieurs personnes y furent trompées. Enfin plusieurs particuliers qui travaillaient à la récolte dans la paroisse du Périgué, à trois lieues environ de Lucé, ayant entendu le même bruit, regardèrent en haut et virent un corps opaque (Bolide) qui décrivait une courbe et qui alla tomber sur une pelouse dans le grand chemin du Mans, auprès duquel ils travaillaient. Tous y coururent promptement et trouvèrent une espèce de pierre dont environ la moitié était enfoncée dans la terre, mais elle était si chaude et si brûlante, qu'il n'était pas possible d'y toucher. Alors ils furent tous saisis de frayeur et prirent la fuite; mais, étant revenus quelque temps après, ils virent qu'elle n'avait pas changé de place, et ils la trouvèrent assez refroidie pour pouvoir la manier et l'examiner de plus près. Cette pierre pesait sept livres et demie, elle était de forme triangulaire, c'est-à-dire qu'elle présentait trois espèces de cornes arrondies, dont une, dans le moment de la chute, était entrée dans le gazon; toute la partie qui était entrée dans la terre était de couleur grise ou cendrée, tandis que le reste, qui était exposé à l'air, était extrêmement noir. M. l'abbé Bachelay, s'étant procuré un morceau de cette pierre, l'a présenté à l'Académie et a paru désirer en même temps qu'on en déterminât la nature. Nous allons rendre compte des expériences que nous avons faites dans cette vue; elles nous aideront à déterminer ce qu'on doit penser d'un fait aussi singulier. La substance de cette pierre est d'un gris de cendre pâle; lorsqu'on en regarde le grain à la loupe, on aperçoit qu'elle est parsemée d'une infinité de petits points brillants métalliques, d'un jaune pâle; sa surface extérieure, celle qui, suivant M. l'abbé Bachelay, n'était point engagée dans la terre, était couverte d'une petite couche très mince d'une matière noire, boursouflée dans des endroits, et qui paraissait avoir été fondue. Cette pierre, frappée dans l'intérieur avec l'acier, ne donnait aucune étincelle; si l'on frappait au contraire sur la petite couche extérieure, qui paraissait avoir été attaquée par le feu, on parvenait à en tirer quelques-unes. Nous avons d'abord soumis cette pierre à l'épreuve de la balance hydrostatique, et nous avons observé qu'elle perdait, à très peu près, dans l'eau les deux septièmes de son poids, ou, plus exactement, que sa pesanteur spécifique était à celle de l'eau, dans le rapport de 3535 à 1000. Cette pesanteur était déjà beaucoup supérieure à celle des pierres siliceuses; elle nous annonçait par conséquent une quantité de parties métalliques assez considérable. Cette pierre ayant
été réduite en poudre, elle a d'abord été
combinée à cru avec le flux noir, et nous avons obtenu un
verre noir tout à fait semblable, en apparence, à la croûte
qui recouvrait la surface de la pierre. Une portion de la même poudre
a été mise dans une écuelle à calciner; elle
a d'abord subi une chaleur beaucoup supérieure à l'eau bouillante,
sans qu'il se soit élevé aucune vapeur sulfureuse; mais lorsque
la matière a approché du point où elle commence à
rougir, alors le soufre s'est dégagé en abondance, et nous
sommes parvenus à en séparer la totalité sans être
obligés de hausser beaucoup le degré.
N'ayant pu parvenir à séparer la partie métallique., par la voie sèche, nous avons eu recours à la voie humide; nous avons observé d'abord, en général, ainsi que M. l'abbé Bachelay l'annonce, que l'acide nitreux n'avait presque point d'action sur cette pierre, que l'acide vitriolique et l'acide marin en avaient au contraire une beaucoup plus grande; qu'elle y excitait une petite effervescence accompagnée d'un dégagement d'odeur de foie de soufre, mais beaucoup plus considérable lorsque l'expérience, a été faite par l'acide marin que par l'acide vitriolique; enfin que cette pierre, mise en morceaux dans ces deux acides, y divisait et se réduisait en parties extrêmement fines, qui, mêlées avec de petites bulles d'air qui s'étaient dégagées, donnaient à la liqueur surnageante une apparence gélatineuse : ce phénomène s'observe dans un grand nombre de dissolutions, et surtout dans celles qui se font par l'acide marin. Nous étant ainsi assurés que les acides agissaient sur cette pierre, nous avons cru devoir profiter de cette circonstance pour séparer, par la voie humide, les différentes substances dont elle était composée, et, pour compléter ce qui nous avait manqué par la voie sèche. Nous avons pris, en conséquence, deux gros de cette pierre en poudre, nous avons versé dessus de l'acide vitriolique; il s'est excité d'abord une effervescence assez vive, mais bientôt elle s'est ralentie, et a duré ainsi pendant plusieurs jours; lorsqu'elle a été entièrement passée, nous avons décanté la liqueur surnageante, et l'ayant mise à évaporer, nous en avons retiré des cristaux de vitriol martial en losanges assez réguliers, imprégnés d'une quantité d'eau mère assez considérable; le résidu ayant été pesé et lavé, il s'est trouvé diminué de 52 grains, c'est-à-dire qu'il ne pesait plus que 1 gros 20 grains. Le vitriol que nous avions obtenu de cette opération, ayant été redissous dans l'eau et combiné avec de l'alcali fixe saturé de matière colorante par la méthode de M. Macquer, nous en avons retiré 1 gros 40 grains de bleu de Prusse; la liqueur surnageante nous a paru contenir quelques vestiges d'alun. |
||||||
Il
nous restait à examiner ensuite quelle était la nature de
la terre restant après que le fer en avait été séparé
: nous l'avons calcinée, à cet effet, à petit feu;
il s'est séparé pendant cette opération beaucoup de
vapeurs sulfureuses. Après quoi, ayant pesé la matière,
il ne s'est plus trouvé que 1 gros 8 grains; ce résidu ne
nous a paru être autre chose qu'une terre vitrifiable très
divisée. Nous concluons de la comparaison de ces différentes
expériences, que 100 grains de la pierre présentée
à l'Académie par M. Bachelay contiennent :
Il nous reste maintenant à examiner ce qui résulte des connaissances que nous avons acquises par cette analyse; il nous a paru d'abord que cette pierre n'avait pas été exposée à un degré de chaleur bien considérable ni bien longtemps continué. Nous avons vu, en effet, qu'elle se décomposait à un degré de chaleur inférieur à celui qui la faisait rougir. Si donc elle avait été fortement échauffée, elle aurait dû nous parvenir dans un état de décomposition et dépouillée de tout son soufre. Nous croyons donc pouvoir conclure, d'après la seule analyse et indépendamment d'un grand nombre d'autres raisons qu'il serait inutile de détailler, que la pierre présentée par M. Bachelay ne doit point son origine au tonnerre, qu'elle n'est point tombée du ciel, qu'elle n'a pas été formée non plus par des matières minérales mises en fusion par le feu du tonnerre, comme on aurait pu le présumer; que cette pierre n'est autre chose qu'une espèce de grès pyriteux qui n'a rien de particulier, si ce n'est l'odeur hépatique qui s'en exhale pendant la dissolution par l'acide marin; ce phénomène, en effet, n'a pas lieu dans la dissolution des pyrites ordinaires. L'opinion qui nous paraît la plus probable, celle qui cadre le mieux avec les principes reçus en physique, avec les faits rapportés par M. l'abbé Bachelay et avec nos propres expériences, c'est que cette pierre, qui peut-être était couverte d'une petite couche de terre ou de gazon, aura été frappée par la foudre et qu'elle aura été ainsi mise en évidence; la chaleur aura été assez grande pour fondre la superficie de la partie frappée, mais elle n'aura pas été assez longtemps continuée pour pouvoir pénétrer dans l'intérieur : c'est ce qui fait que la pierre n'a point été décomposée. La quantité considérable de matières métalliques qu'elle contenait, en opposant moins de résistance qu'un autre corps au courant de matière électrique, aura peut-être pu contribuer même à déterminer la direction de la foudre; on observe, en effet, qu'elle se porte plus volontiers vers les corps qui sont les plus électrisables par communication. Nous ne devons pas laisser ignorer ici une circonstance assez singulière : M. Morand fils nous ayant remis un fragment de pierre des environs de Coutances, qu'on prétendait également être tombée du ciel, elle s'est trouvée à très peu de chose près de la même nature que celle de M. l'abbé Bachelay; c'est de même un grès parsemé de points de pyrite martiale, et elle ne diffère de l'autre qu'en ce qu'elle ne donne point d'odeur de foie de soufre avec l'esprit de sel. Nous ne croyons pas qu'on puisse conclure autre chose de cette ressemblance, sinon que le tonnerre tombe de préférence sur les substances métalliques, et peut-être encore plus sur les matières pyriteuses. Au reste, quelque fabuleux que puissent paraître ces sortes de faits, comme en les rapprochant des expériences et des réflexions que nous venons de rapporter ils peuvent contribuer à éclaircir l'histoire des pierres de tonnerre, nous pensons qu'il sera à propos d'en faire mention dans l'Histoire de l'Académie. (Lavoisier, 1793). |
. |
|
|
||||||||
|