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Laozi, Lao-Tse
ou
Lao-tseu est un philosophe chinois,
dont les enseignements sont regardés comme l'une des sources les
plus importantes pour l'étude de la doctrine appelée taoïsme.
Lao-tse est un personnage sur lequel nous ne possédons que des renseignements
vagues et contradictoires. Parmi les auteurs qui nous ont raconté
sa vie, on ne peut ajouter foi à ceux qui sont taoïstes; en
effet, un des dogmes essentiels du taoïsme est que ses adeptes jouissent
de l'immortalité; c'est pourquoi les maîtres de cette doctrine
passent pour avoir vécu sous divers noms pendant des centaines et
même des milliers d'années. Le seul écrivain non-taoïste
auquel nous puissions nous adresser est Se-ma Tsien qui nous donne au 63e
chapitre de ses Mémoires historiques une courte notice sur Lao-tse.
Se-ma Tsien raconte une entrevue qu'eut
Confucius,
alors dans la force de l'âge, avec Lao-tse déjà vieux,
ce qui semblerait prouver que Lao-tse est un peu plus ancien que Confucius
(551-479 av. J.-C.). Mais certains auteurs, ajoute l'historien chinois,
identifient Lao-tse avec Lao-lai-tse; or, si Lao-lai-tse passe aussi pour
être contemporain de Confucius, les légendes qui se sont formées
autour de son nom sont fort différentes des traditions relatives
à Lao-tse; voilà donc une première cause d'incertitude.
Bien plus, Se-ma Tsien dit que Lao-tse vécut cent soixante ans,
suivant les uns, et, d'après les autres, plus de deux cents ans;
ni l'une ni l'autre de ces longévités n'est recevable. En
outre les textes historiques rapportent que, plus de cent ans après
la mort de Confucius, en 374 av. J.-C., le grand astrologue des Zhou,
Tan, eut une entrevue avec le duc Hien, de Tsin, et lui fit une prédiction
touchant la grandeur future de sa maison; ce Tan n'est autre que Lao-tse,
disent quelques auteurs; d'autres le nient, et, ajoute Se-ma Tsien, on
ne peut savoir qui a raison ou tort, car Lao-tse fut un sage caché.
Le récit que Se-ma Tsien nous fait
de la manière dont Lao-tse disparut vers la fin de sa vie n'est
pas moins sujet à caution. Lao-tse, dit l'historien, renonça
à la charge qu'il occupait à la cour des Zhou pour aller
vivre dans la retraite; à son arrivée à une passe
célèbre du Ho-nan, il fut retenu quelque temps par le gardien
de ce passage, Yn Hi, à la requête de qui il écrivit
un livre en deux parties dans lequel il traitait, en cinq mille mots environ,
de la Voie et de la Vertu; telle aurait été l'origine
du fameux ouvrage intitulé Tao-te-king. Puis le sage s'éloigna
et personne n'a pu connaître où ni quand il mourut. Les bouddhistes
chinois ont recueilli précieusement cette vague indication; ils
ont prétendu que Lao-tse s'était rendu dans les pays d'Occident
et que c'étaient ses doctrines qui avaient donné naissance
en Inde
au bouddhisme lui-même. L'iconographie taoïste
représente volontiers Lao-tse assis sur un buffle, parce que c'est
ainsi, d'après la légende, qu'il apparut à Yn Hi.
-
Lao
Tse.
Lao-tse n'est qu'un surnom qui signifie,
suivant l'interprétation la plus vulgaire, le vieil enfant
: sa mère l'aurait en effet porté soixante-douze ans dans
son sein et il serait né avec les cheveux tout blancs. D'après
Se-ma Tsien, son nom de baptême aurait été Li, son
nom personnel Eul, son appellation Po-yang et son titre posthume Tan. Il
aurait vu le jour dans un hameau dépendant de la sous-préfecture
de Kou (laquelle était à 5 kilomètres environ à
l'Est de la sous-préfecture de Lou-i, préfecture de Koei-té,
province de Ho-nan).
Ce personnage étant si légendaire,
peut-on lui attribuer avec quelque certitude la paternité du livre
qui porte son nom? En 1888, Giles l'a contesté avec une grande vivacité
dans un article (The Remains of Lao-tze, Re-translated) qui a suscité
une longue polémique entre, les sinologues; d'après Giles,
tout ce qui ne serait pas cité comme étant de Lao-tse par
des auteurs antérieurs au premier siècle avant notre ère
aurait été un pathos inintelligible ou sans valeur; en partant
de ce principe, il rejetait les neuf dixièmes du livre comme apocryphes
et n'y voyait qu'une compilation maladroite faite dans les environs du
commencement de l'ère chrétienne. Ce procédé
de critique ne saurait être admis. On a fort bien prouvé à
Giles qu'il n'avait pas su trouver plusieurs citations de Lao-tse dans
les textes mêmes dont il invoquait le témoignage et que d'ailleurs
aucun ouvrage ne résisterait à un examen qui prétendrait
ne reconnaître comme authentiques que les seuls passages qui sont
expressément attribués à l'auteur par d'autres écrivains.
Malgré ces objections, Giles nous paraît avoir eu raison d'appeler
l'attention sur le peu de garanties qu'on a de l'authenticité du
livre De la Voie et de la Vertu; ce livre est un recueil d'aphorismes
qui portent la marque d'une école, mais non celle d'un individu;
si on lui donne pour auteur Lao-tse, c'est parce que ce personnage mythique
est regardé comme le patron du taoïsme; mais on ne saurait
fournir aucune preuve décisive que Lao-tse l'ait écrit.
Abel Rémusat
fut le premier en Europe qui attira l'attention sur Lao-tse, en publiant
en 1823 son célèbre Mémoire sur la vie et les opinions
de Lao-tseu, philosophe chinois du VIe
siècle avant notre ère. Abel Rémusat rapprochait
les idées du penseur chinois de celles de Pythagore
et de Platon; il avançait, en outre, une
hypothèse qui fit un bruit considérable. Au chapitre XIV
du Tao-te-king, on lit :
«
Celui qu'on ne voit pas quand on le regarde est appelé I; celui
qu'on n'entend pas quand on l'écoute est appelé Hi; celui
qu'on ne touche pas quand on le palpe est appelé Wei. »
Rémusat était
d'avis que les trois mots I-hi-wei n'avaient aucun sens en chinois
et il crut y retrouver une transcription du nom de Jéhova.
Stanislas Julien, le disciple et le successeur d'Abel Rémusat au
Collège de France, donna en 1842 une traduction intégrale
du livre De la Voie et de la Vertu; en se fondant sur l'autorité
des commentateurs chinois, il traduisit les trois mots I-hi-wei
comme signifiant «-incolore-»,
« aphone » et « incorporel ». Quoique l'identification
des trois mots I-hi-wei avec Jéhova ait vite été
reconnue comme fausse, il s'est trouvé des sinologues qui ont refusé
de les traduire littéralement comme le faisait Julien et qui prétendent
y reconnaître la transcription des noms de quelque trinité
babylonienne
ou indienne
(Edkins, On I-hi-wei in the Tao-teh king, Chinese Recorder, vol.
XVII, pp. 306 et suiv.; Terrien de Lacouperie, Western Origin of Chinese
civilization, p.123). Personne aujourd'hui ne défend plus le
point de vue d'une origine occidentale de la civilisation chinoise.
La doctrine du Tao-té-king
est difficile à bien comprendre parce qu'il faudrait, au préalable,
avoir pénétré le sens du mot tao. Stanislas
Julien traduisait les deux mots Tao-té comme signifiant la
voie et la vertu; il n'y a pas d'hésitation possible sur le sens
du second mot : té est la vertu qui n'est autre pour l'humain
que la conformité au tao. Mais qu'est-ce que le tao
lui-même? Le mot « voie » qu'a choisi Stanislas Julien
nous paraît, malgré les critiques dont il a été
l'objet, être l'équivalent le plus exact de l'expression chinoise
si l'on considère que dans la transposition des termes métaphysiques
dans une langue formée par une pensée étrangère,
on devra toujours se contenter d'une approximation. Le tao est cette
entité mystérieuse de laquelle tout émane, qui est
antérieur à toute chose, qu'on ne peut exprimer par aucun
mot; en l'appelant le tao, la « voie », on ne fait que
symboliser son action; elle est ce qui imprime aux êtres la direction
suivant laquelle ils se développent; elle est au fond ce qui cause
leur marche en avant; elle est le principe même de leur évolution.
La morale taoïste enseigne la conformité
au tao; le tao étant la loi qui régit la vie
universelle, la règle que l'humain devra suivre sera de ne pas obéir
à des motifs d'intérêt personnel, mais d'identifier
son activité avec celle de la nature immense et divine. Il sera
donc humble, se pliant aux circonstances et ne cherchant à imposer
sa volonté à aucun être; il méprisera les connaissances
qui ne sont qu'un moyen de domination et trouvera le bonheur dans la non-science;
enfin, comme il fera de plus en plus abstraction de sa personnalité
pour se confondre avec les lois directrices du monde, on pourra dire qu'il
pratique le non-agir. Le Tao-te-king prêche donc l'inaction,
l'ignorance et l'humilité; mais ces trois vertus, qui ne sont que
des négations au regard de la morale égoïste des humains,
sont, au contraire, celles qui identifient le sage avec la seule réalité
positive, à savoir le tao, qui renferme éminemment
action, science et puissance dans son unique perfection.
(Ed. Chavannes). |
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