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L'histoire de la Guinée-Bissau

Le royaume du Kaabu

Avant l'arrivĂ©e des EuropĂ©ens, la rĂ©gion de l'actuelle GuinĂ©e-Bissau faisait partie de royaumes et d'empires locaux importants, comme l'Empire du Mali et plus tard le royaume du Kaabu  (KaabunkĂ©, Kabou, Gabou, Ngabou), un État mandingue, situĂ© dans la rĂ©gion actuelle de la GuinĂ©e-Bissau, du SĂ©nĂ©gal et de la Gambie. Le Kaabu trouve ses origines dans l'expansion de l'Empire du Mali au XIIIe siècle. Ă€ l'Ă©poque de l'empereur Soundiata KeĂŻta, le Mali s'Ă©tendait sur une grande partie de l'Afrique de l'Ouest, et comprenait la rĂ©gion qui allait devenir le Kaabu. Cette province Ă©tait alors gouvernĂ©e par des gĂ©nĂ©raux mandingues envoyĂ©s pour administrer les territoires conquis. Les premiers dirigeants de Kaabu ont Ă©tĂ© des descendants de ces gĂ©nĂ©raux, appelĂ©s les farim Kaabu. Ils Ă©taient chargĂ©s de maintenir l'ordre, de collecter les impĂ´ts et de s'assurer que la rĂ©gion reste loyale Ă  l'empereur de Mali.

Au fil du temps, le Royaume de Kaabu gagne donc en autonomie et en pouvoir, tout en maintenant des liens culturels et politiques avec l'Empire du Mali. La désintégration progressive du Mali à partir du XVe siècle permet au Kaabu de devenir une puissance indépendante. Le Kaabu devient un centre important de commerce, notamment d'esclaves, d'or, de sel et de noix de kola. Sa position stratégique entre le fleuve Gambie et l'océan Atlantique lui permet de contrôler les routes commerciales régionales. Le royaume est également caractérisé par son organisation militaire, dominée par une élite guerrière mandingue.

Le Kaabu est dirigé par un mansa, assisté par un conseil d'anciens et de chefs militaires. Le mansa du Kaabu a un pouvoir quasi absolu, mais il doit tenir compte des intérêts des élites locales, notamment des chefs de guerre (les nyancho) qui forment l'aristocratie. Socialement, le Kaabu est structuré autour d'une hiérarchie dans laquelle la classe dominante est composée des nyancho, descendants des premiers conquérants mandingues. La population locale comprend des agriculteurs, des artisans, des commerçants et des esclaves.

Le Kaabu étend son influence sur une grande partie de l'actuelle Guinée-Bissau, du sud du Sénégal et de la Gambie. Son influence culturelle se traduit par la diffusion des traditions mandingues, notamment la langue, les récits épiques et les structures sociales, dans toute la région. Le Kaabu joue également un rôle important dans la transmission de l'islam, bien que la majorité des populations locales continue à pratiquer des religions traditionnelles.

À partir du XVIIIe siècle, le Kaabu commence à décliner, affaibli par des conflits internes, des révoltes locales et l'émergence de nouvelles puissances dans la région. Les conflits dynastiques affaiblissent le royaume, tandis que les pressions extérieures augmentent, notamment avec l'arrivée des Européens qui cherchent à contrôler le commerce atlantique. Le coup fatal au royaume est porté au milieu du XIXe siècle par l'expansion du mouvement islamique des Fula dirigé par Alfa Yaya et les marabouts de Fouta Djallon. En 1867, après une longue guerre, les forces musulmanes dirigées par le chef Almamy Samori Touré et les marabouts vainquent définitivement les armées du Kaabu lors de la bataille de Kansala, la capitale du royaume. Cette défaite marque la fin du Kaabu en tant qu'entité politique indépendante.

La colonisation portugaise

Les Portugais ont été les premiers Européens à arriver sur les côtes de la Guinée-Bissau au XVe siècle. Ils y établissent des comptoirs commerciaux pour participer à la traite des esclaves. Cependant, contrairement à d'autres puissances coloniales, les Portugais ont du mal à étendre leur contrôle au-delà de la côte en raison de la résistance des populations locales. Jusqu'au XIXe siècle, la présence portugaise restara limitée à quelques enclaves côtières. Les conflits entre les royaumes locaux et la résistance des populations autochtones entravent les tentatives d'expansion coloniale.

Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que le Portugal parvint à établir un contrôle effectif sur l'intérieur du pays après plusieurs guerres contre les royaumes locaux, dont le royaume du Kaabu. En 1915, le Portugal déclare la Guinée-Bissau comme une colonie officielle. Sous la domination portugaise, la Guinée-Bissau est administrée de manière répressive. L'économie coloniale était basée sur l'exploitation agricole (arachides, coton, etc.) et le travail forcé. Les indigènes sont soumis à des lois discriminatoires et à une exclusion systématique des processus politiques et économiques.

La rĂ©sistance Ă  la domination portugaise prend une forme organisĂ©e Ă  partir des annĂ©es 1950. En 1956, AmĂ­lcar Cabral, un ingĂ©nieur agronome fonde le Parti Africain pour l'IndĂ©pendance de la GuinĂ©e et du Cap-Vert (PAIGC). Ce mouvement devient le fer de lance de la lutte pour l'indĂ©pendance. Au dĂ©part pacifique, la lutte se transforme en une guerre de libĂ©ration Ă  partir de 1963. Le PAIGC lance  guĂ©rilla contre les forces coloniales portugaisesen utilisant des bases situĂ©es en GuinĂ©e (GuinĂ©e-Conakry) voisine et au SĂ©nĂ©gal. Le PAIGC, sous la direction d'AmĂ­lcar Cabral, organise des territoires libĂ©rĂ©s oĂą il Ă©tablit des structures administratives, des Ă©coles et des services de santĂ©. La stratĂ©gie de Cabral consiste Ă  mobiliser les populations locales tout en isolant militairement et politiquement les Portugais.

Le PAIGC réussit à contrôler une grande partie du territoire dès la fin des années 1960, malgré la répression violente des forces portugaises, qui utilisent des armes sophistiquées et des techniques de guerre modernes. Le 20 janvier 1973, Amílcar Cabral est assassiné à Conakry, vraisemblablement par des dissidents au sein du PAIGC avec l'appui des services secrets portugais. Malgré cette perte, la lutte se poursuit avec Arístides Pereira et Luís Cabral (le demi-frère d'Amílcar) qui prennent le leadership du mouvement.

Le 24 septembre 1973, le PAIGC déclare unilatéralement l'indépendance de la Guinée-Bissau dans les territoires sous son contrôle, une indépendance reconnue par plusieurs pays africains et le bloc soviétique. Cette déclaration se produit avant même la Révolution des Oeillets au Portugal en avril 1974, qui met fin à la dictature de Salazar et entraîna la chute de l'empire colonial portugais.

La Guinée-Bissau indépendante

Le nouveau gouvernement portugais accepte de négocier l'indépendance et le 10 septembre 1974, le Portugal reconnait officiellement l'indépendance de la Guinée-Bissau. Luís Cabral devient le premier président de la Guinée-Bissau. Le PAIGC, ayant mené la guerre de libération, devient le parti unique au pouvoir et gouverne à travers un régime socialiste.

Les premières années sont marquées par des tentatives d'unification politique avec le Cap-Vert, comme le prévoyait le projet initial du PAIGC. Cependant, des tensions internes apparaissent rapidement, notamment entre les élites d'origine capverdienne et les populations autochtones bissau-guinéennes. Luís Cabral est lui-même perçu comme représentant les intérêts capverdiens.

En novembre 1980, João Bernardo Vieira, surnommé "Nino", alors Premier ministre, renverse Luís Cabral lors d'un coup d'État militaire. Ce coup met fin au projet d'unification avec le Cap-Vert, et les relations entre les deux pays se détériorent. Vieira instaura un régime autoritaire sous le contrôle du PAIGC. Sous sa direction, le pays se tourne vers une économie plus libérale à partir des années 1980, abandonnant progressivement le modèle socialiste. Cependant, la Guinée-Bissau reste politiquement instable, marquée par des purges internes, une corruption endémique et une économie en difficulté.

Dans les annĂ©es 1990, sous la pression internationale et interne, Vieira introduit un système multipartite. En 1994, il remporte les premières Ă©lections dĂ©mocratiques, mais son rĂ©gime demeure autoritaire et marquĂ© par des tensions ethniques et politiques. L'opposition a Ă©tĂ© rĂ©duite au silence, les rivaux politiques Ă©liminĂ©s.Plusieurs tentatives de coup dans les annĂ©es 1980 et dĂ©but des annĂ©es 1990 ont Ă©chouĂ© Ă  le dĂ©trĂ´ner. En 1994, Vieira a Ă©tĂ© Ă©lu prĂ©sident lors des premières Ă©lĂ©ctions supposĂ©ment libres du pays. 

En 1998, une mutinerie militaire dirigée par le général Ansumane Mané, un ancien allié de Vieira, dégénère en une guerre civile. Mané accuse Vieira de corruption et de mauvaise gestion, notamment en relation avec le trafic d'armes. Le conflit plonge le pays dans le chaos pendant plus d'un an, causant des milliers de morts et de déplacés. En mai 1999, les forces rebelles de Mané prennent le contrôle de la capitale Bissau et forcent Vieira à fuir le pays. Le conflit laisse une nation dévastée, politiquement fragmentée et économiquement ruinée.

En fĂ©vrier 2000, un gouvernement de transition remis le pouvoir au chef de l'opposition Kumba Yala, Ă©lu prĂ©sident de façon transparente. En septembre 2003, après seulement trois annĂ©es Ă  la tĂŞte du pays, Yala a Ă©tĂ© renversĂ© par les militaires lors d'une nouveau coup d'Etat sans effusion de sang : un homme d'affaires, Henrique Rosa, a Ă©tĂ© assermentĂ© Ă  titre de prĂ©sident par intĂ©rim. En 2005, l'ancien prĂ©sident Vieira revient au pouvoir après des Ă©lections prĂ©sidentielles. Cependant, son retour est marquĂ© par de fortes tensions avec l'armĂ©e, en particulier avec le chef d'Ă©tat-major, le gĂ©nĂ©ral Batista Tagme Na Waie. En mars 2009, Tagme Na Waie est assassinĂ©,  ce qui dĂ©clencheune vague de violences. Quelques heures plus tard, Vieira lui-mĂŞme est assassinĂ© par des soldats. Malam Bacai Sanha est Ă©lu Ă  la suite d'une Ă©lection prĂ©cipitĂ©e, tenue en juin 2009, mais il meurt le 9 janvier 2012. En avril, un coup d'État militaire interrompt les Ă©lections prĂ©sidentielles.

En 2014, Jose Mario Vaz a Ă©tĂ© Ă©lu prĂ©sident après une Ă©lection libre et Ă©quitable. En juin 2019, Vaz est devenu le premier prĂ©sident de l'histoire de la GuinĂ©e-Bissau Ă  terminer un mandat prĂ©sidentiel complet. Umaro Sissoco Embalo a Ă©tĂ© Ă©lu prĂ©sident en dĂ©cembre 2019, mais il n'a pris ses fonctions qu'en fĂ©vrier 2020 en raison d'une contestation prolongĂ©e des rĂ©sultats des Ă©lections. 

Aujourd'hui, en plus des crises politiques, la Guinée-Bissau reste ouchée par des problèmes de gouvernance, une corruption généralisée et le trafic de drogue. Le pays est devenu un point de transit pour le trafic de cocaïne entre l'Amérique du Sud et l'Europe, renforçant l'instabilité et affaiblissant davantage les institutions de l'État.

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