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La Géométrie
est un ouvrage de René Descartes, paru
en 1637. Descartes n'a publié en mathématiques
que ce traité de cent pages, aussi célèbre que mal
connu d'ordinaire, et dont nous allons donner une brève analyse.
Le premier des trois livres enseigne tout
d'abord comment toutes les opérations arithmétiques
peuvent être représentées en géométrie,
en prenant une certaine longueur pour unité (là était
la nouveauté); elles ne réclament que l'emploi de la ligne
droite et du cercle, donc les racines des équations à une
inconnue du second degré (expression qui provient de Viète,
mais que Descartes n'emploie pas) peuvent se
construire avec la règle et le compas; la construction n'est donnée
que pour les racines positives (que Descartes appelle vraies). Les équations
à une inconnue de degrés supérieurs nécessiteront
au contraire l'emploi de courbes d'un ordre plus élevé.
Dans le second livre, Descartes montre
comment on peut obtenir pratiquement des tracés continus de courbes
qu'il appelle géométriques (nous dirions algébriques)
par opposition aux mécaniques (transcendantes); comment en général
on peut représenter les courbes géométriques au moyen
d'une équation entre deux coordonnées; comment par suite
il convient de les classer d'après l'ordre de cette équation.
Le classement est fait par genres en sorte que le ne genre comprend les
degrés 2n-1 et 2n; ce fut Fermat qui montra
le premier la convenance d'adopter le classement par degrés. Reprenant
alors le célèbre problème du lieu à quatre
droites, indiqué par Pappus et dont la
solution était alors inconnue, Descartes le ramène à
l'équation complète du second degré, qu'il discute
et qui, suivant la valeur des coefficients, lui donne les différentes
coniques. Il est à remarquer que dans cette illustration de sa méthode,
comme dans toutes les autres applications, il ne considère jamais
les axes coordonnés indépendamment de la figure (comme nous
le faisons, à l'exemple de Fermat qui inventait alors, lui aussi
de son coté, la géométrie analytique); que, d'autre
part, la convention du signe des coordonnées suivant le sens n'est
nullement admise en principe.
Descartes continue
en montrant comment on peut trouver la tangente en un point d'une courbe
géométrique. Il cherche à cet effet la normale, en
coupant la courbe par un cercle ayant son centre sur cette normale et dont
il détermine le centre et le rayon, par la méthode des coefficients
indéterminés, et d'après la condition que l'équation
qui donne une coordonnée de l'intersection ait deux racines égales.
Il démontre, d'après ce procédé, la propriété
de ses ovales, qu'il a inventées pour sa Dioptrique (publiée
en même temps que sa Géométrie) et qui ramènent
à un même point de concours les rayons lumineux issus d'un
même foyer et se réfractant à la rencontre de ces courbes
Il reste, d'après le plan annoncé,
à traiter dans le troisième livre de la recherche des racines
des équations de degré supérieur par l'intersection
de courbes géométriques. Descartes commence par poser en
principe que toute équation peut avoir autant de racines différentes
qu'il y a d'unités dans le degré de l'équation. Ces
racines peuvent d'ailleurs être réelles ou imaginaires, c.-à-d.
n'existant pas, Descartes n'attache aucun autre
sens à ce terme, qu'il a employé le premier, mais auquel
nous donnons une signification très spéciale. Les réelles
sont vraies ou fausses (positives ou négatives); il peut y en avoir
autant de vraies qu'il y a de variations entre les signes + et - des termes
l'équation ordonnée, autant de fausses qu'il y a de permanences.
Cette célèbre règle de Descartes est énoncée
sans démonstration. Il est ensuite enseigné comment, sans
connaître les racines, on peut en augmenter ou en diminuer la valeur,
faire disparaître le second terme, rendre toutes les racines vraies,
etc.; comment on peut reconnaître si une équation du quatrième
degré peut se résoudre avec la règle et le compas,
comment en général on peut en construire les racines par
l'intersection d'un cercle et d'une parabole; comment enfin tous les problèmes
de cet ordre peuvent se ramener à l'invention de deux moyennes proportionnelles
ou à la trisection de l'angle. Descartes termine enfin en construisant
les racines de l'équation du sixième degré par l'intersection
d'un cercle et d'une courbe particulière du troisième degré,
et clôt son traité par ces mots que la postérité
a ratifiés :
«
J'espère que nos neveux me sauront gré, non seulement des
choses que j'ai ici expliquées, mais aussi de celles que j'ai omises
volontairement, afin de leur laisser le plaisir de les inventer. »
Jamais un ouvrage mathématique aussi
court n'avait eu un contenu aussi important, aussi suggestif. Descartes
fut immédiatement classé hors de pair comme géomètre;
les notations commodes qu'il avait adoptées (exposant et coefficients)
se substituèrent rapidement à celles de Viète.
Sa
Géométrie, publiée en français,
fut rééditée à part, traduite en latin
par Schooten, en 1649 (seconde édition préférable
en 1659), avec des notes de Florimond de Beaune
et des commentaires du traducteur. C'est sous cette forme qu'elle devint
classique dans toute l'Europe
et renouvela l'enseignement de l'algèbre
et de la géométrie. Sa méthode
des tangentes, trop compliquée de fait, conduisait déjà
Hudde, en 1659, à des procédés tout à fait
analogues à ceux du calcul des dérivées.
Les Lettres
de Descartes, publiées par Clersellier,
surtout celles du troisième volume (1667) permettent d'admirer,
peut-être plus encore que sa Géométrie, l'étonnant
génie mathématique du grand philosophe, par la promptitude
et l'élégance avec laquelle il résout les questions
les plus variées et les plus difficiles qui lui sont proposées;
mais son ardeur dans la polémique (en particulier contre Fermat,
dont il critiqua la méthode des tangentes, et contre Roberval,
sur la théorie des centres d'oscillation) fait moins estimer son
caractère entier et jaloux. C'est dans une de ces lettres qu'il
propose à Fermat de trouver la tangente à la courbe x3
+ y3 = axy, connue sous le nom de folium
de Descartes, mais dont il ne s'est pas occupé davantage, et
qui n'est désignée ainsi dans aucun des écrits du
temps. (Paul Tannery). |
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