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Livre (ou
Apocalypse) d'Hénoch. - Ce livre a eu ses jours de
défaveur après son heure de fortune. C'est dans le canon
des livres sacrés de l'Eglise d'Abyssinie
que l'Europe
savante a eu la chance de le retrouver au commencement du XIXe
siècle, après une longue éclipse, à laquelle
quelques fragments seuls avaient survécu. Parmi beaucoup de visions
et de rêveries, on remarque des images grandioses, une imagination
fougueuse, un coloris sombre et effrayant, qui rappellent parfois l'Apocalypse
de Saint Jean.
L'ouvrage se donne comme une révélation
du patriarche Hénoch, le septième homme à partir d'Adam,
sur le jugement à venir et les destinées de l'espèce
humaine. C'est, en réalité, une compilation assez confuse,
comme on en peut juger par l'analyse du contenu. Le livre a été
réparti en 110 chapitres de Iongueur inégale, formant eux-mêmes
cinq parties, en dehors d'une introduction et d'une conclusion.
Le livre Ier
(chap. VI à XXXVI) raconte d'abord la chute des anges, le commerce
qu'ils eurent avec les filles des humains et la propagation, par leur moyen,
de toutes les inventions et connaissances funestes. Dieu prépare
aux anges rebelles, aux géants nés de leur union avec les
femmes et à l'espèce humaine corrompue un terrible châtiment.
Le reste du livre Ier est consacré à la description de deux
voyages que fit Hénoch, sous la conduite d'anges, au travers du
ciel et de la terre, en même temps que des mystères du monde
tant visible qu'invisible qui lui furent alors dévoilés.
Le livre Il (chap. XXXVII à
LXXI), muni d'un titre spécial et d'une introduction particulière,
se compose de trois paraboles sur les choses du royaume céleste
et l'avenir messianique. Cette portion de l'oeuvre n'est certainement ni
de la même main ni du même temps que le reste, de telle façon
qu'on a cru pouvoir lui assigner une origine chrétienne.
Un troisième livre (chap.
LXXII à LXXXII) renferme des notions astronomiques et physiques.
Le livre IV (chap. LXXXIII à
XCI) a un caractère tout particulièrement apocalyptique;
il se compose de deux visions, qui donnent un aperçu général
de l'histoire du genre humain depuis ses origines jusqu'à l'avènement
des temps messianiques attendus.
Le livre V (ch. XCII à CV)
consista surtout en exhortations morales et religieuses.
La première et principale des deux
visions du livre IV est très curieuse par l'emploi soutenu de la
typologie animale. Voici, à titre de spécimen, quelques lignes
de son début :
"Hénoch
éleva la voix et dit à son fils Méthusalah : Je vais
te parler, mon fils; écoute mon discours et incline L'oreille à
la vision de ton père. Avant que je ne prisse ta mère Edna,
j'eus une vision étant sur ma couche. Voici : un jeune taureau sortit
de la terre; ce jeune taureau était blanc. Après lui vint
au monde une génisse, et ils donnèrent le jour à deux
taureaux. dont l'un était noir et l'autre rouge. Le taureau noir
frappa le taureau rouge et le poursuivit sur la terre, si bien que je cessai
de le voir. Mais le taureau noir grandit, une génisse vint à
lui, et je vis qu'ils donnaient le jour à plusieurs jeunes taureaux,
qui lui ressemblaient et le suivirent. Cependant la première vache
quitta le premier taureau pour aller chercher le taureau rouge, mais elle
ne le trouva pas. Alors elle poussa de grands cris de douleur et elle le
cherchait. Et je vis le premier taureau qui venait à elle et la
consolait; à partir de ce moment elle cessa de crier. Ensuite elle
mit au monde un autre taureau qui était blanc et, après lui,
elle mit au monde plusieurs taureaux et vaches noires. - Et, dans mon sommeil,
je vis le taureau grandir, il devint un grand taureau blanc et de lui sortirent
beaucoup de taureaux blancs qui lui ressemblaient [...]"
Sous cette symbolique suffisamment transparente,
on reconnaît sans peine Adam , Ève, Caïn et Abel, Seth
et sa descendance. L'histoire se continue de la sorte. Seulement, à
partir de Jacob, le peuple élu est représentée, non
plus sous la figure de taureaux, mais sous celle d'agneaux et de moutons,
tandis que les Edomites ou Iduméens
sont des sangliers et les peuples ennemis d'lsraël des oiseaux de
proie. Nous descendons ainsi jusqu'à l'époque de l'insurrection
des Macchabées. Le troupeau des brebis fidèles est attaqué
par une volée d'oiseaux méchants, particulièrement
des corbeaux (les Syriens); mais il résiste, grâce au courage
d'un jeune bélier qui se met à la tête des autres.
Ce jeune bélier désigne évidemment un des chefs de
la révolte nationale, grâce à laquelle les juifs secouèrent
le joug de la dynastie syrienne, sans doute Jean Hyrcan. L'auteur nous
le montre lui et ses compagnons subissant, de la part de l'ennemi, un dernier
et suprême assaut.
«
Tous les aigles, dit Hénoch, les vautours, les corbeaux, les milans
se rassemblèrent, amenant avec eux toutes les brebis de la terre
(les Juifs apostats) et ils vinrent tous ensemble en se prêtant main-forte
pour briser la corne du jeune bélier (Jean Hyrcan). »
Ici intervint le maître des brebis,
Dieu lui-même.
«
Je vis, continue l'écrivain, le maître des brebis venir à
eux, prendre en sa main le bâton de sa colère et frapper la
terre de manière à la briser. Et toutes les bêtes et
les oiseaux du ciel cessèrent d'attaquer les brebis et furent engloutis
dans la terre, qui se referma sur eux. Et je vis qu'une grande épée
était donnée aux brebis, et les brebis sortirent contre les
bêtes des champs afin de les tuer, et toutes les bêtes et les
oiseaux du ciel s'enfuirent à leur aspect. »
Après que les Juifs ont ainsi triomphé
de leurs adversaires, a lieu jugement dernier. A la Jérusalem
terrestre, enlevée de sa place et transportée dans le sud
du pays, est substituée « une maison plus grande et plus haute
que la première ». Non seulement les Juifs infidèles
reviennent à la pure croyance de leur peuple, mais les païens
s'empressent dans la nouvelle « maison ». A la tête du
troupeau des élus marche désormais un jeune taureau blanc
avec de grandes cornes noires. Les temps messianiques sont ainsi accomplis,
sans qu'on puisse affirmer si, par le chef désigné comme
un taureau blanc aux cornes noires, l'auteur a voulu indiquer l'un des
princes de la famille hasmonéenne ou bien le personnage idéal
du Messie.
C'est aux dernières années
du IIe siècle avant notre ère (vers 110 av. J.-C que l'on
rapporte généralement la composition du Livre d'Hénoch.
sauf la seconde partie, qui pourrait bien émaner d'une plume chrétienne.
Cet ouvrage n'est pas seulement intéressant
par la manière dont il figure le passé de l'histoire juive
et par les espérances d'avenir qu'il exprime; il l'est encore par
l'ensemble de ses idées théologiques et morales, par l'état
général des connaissances et des préoccupations qu'il
révèle. Un écrivain du Nouveau Testament (Epître
de saint Jude, versets 14 et 15) le cite comme une autorité reconnue
de tous.
Le Livre d'Hénoch est considéré
par les Chrétiens comme un des livres apocryphes
de la Bible.
Objet de respect pour Tertullien, traité
moins favorablement par Origène, Saint
Jérôme et St Augustin; comme on
l'a dit en commençant, on n'en connut longtemps que quelques citations
grecques. Bruce en rapporta d'Abyssinie
trois copies en langue éthiopienne,
et en donna une à la Bibliothèque royale de Paris; la langue
originale semble avoir été l'hébreu ou l'araméen
et le lieu d'origine la Palestine. Dillmann en a donné une excellente
traduction en allemand, accompagnée de notes explicatives (Des
Buch Henoch übertsetz und erklärt). Silvestre
de Sacy traduisit de cette copie plusieurs chapitres en latin, et publia
sur le tout une notice dans le Magasin encyclopédique en
1795. Les deux autres copies, placées à la Bibliothèque
bodléienne d'Oxford, servirent à la publication d'une double
traduction latine et anglaise par H. Laurence, en 1821. Enfin, en 1833,
J. Murray publia un Enoch restitutus, dans lequel il essaye de distinguer
ce qui, dans ce livre, est antérieur à Moïse, et ce
qui appartient à des temps plus récents. (B.
/ M. V.) |
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