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La musique arabo-persane
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L'influence des Arabes sur la musique moderne se fait nettement sentir dans beaucoup d'instruments d'orchestre actuels. Leur système musical n'a cependant laissé aucune trace, car il s'agissait plutôt d'une spéculation philosophique et mathématique que d'un système pratique. 

Bien qu'au début, les Arabes aient eu des instruments primitifs et des mélodies caractéristiques, nous ne pouvons parler d'un système de musique spécifiquement arabe qu'après la conquête de la Perse par les Arabes au VIIe siècle. Très vite, les conquérants ont assimilé l'art musical de la population soumise, de sorte qu'en peu de temps les élèves s'élevèrent au rang de maîtres. Depuis lors, la musique de la Perse et celle de l'Arabie ont été comme deux grands fleuves coulant côte à côte et se mêlant fréquemment. Déjà au VIIIe siècle, nous trouvons des écrits théoriques sur la musique d'auteurs arabes. Quand Al Faraid, au Xe siècle, tenta de remplacer le système arabe par celui des Grecs, il échoua, car le système arabo-persan avait déjà atteint un haut développement. Le fondateur théorique de l'école arabo-persane est Ssafledin, un Arabe de naissance, qui a vécu au XIVe siècle. 
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Joueur de oud.
Un joueur de oud. - Détail d'une miniature illustrant un manuscrit
du Haft-Aurang ( = Les sept trônes) du poète Djâmi (mort à Hérat en 1492).

Le système arabe construisait une gamme qui joignait un tétracorde (ré, mi, fa#, sol) et un pentacorde (sol, la, la, mi, ré), de sorte que les demi-tons se situent entre les troisième et quatrième et le sixième et septième degrés. Chaque ton entier était divisé en trois tiers de ton, de sorte que l'octave contenait 17 tiers de ton. Ces tiers de ton n'étaient pas considérés comme des altérations chromatiques d'un ton fondamental, mais étaient désignés par les théoriciens par des nombres séparés, de sorte que le premier ton de la deuxième octave était 18, de la troisième octave 35. Les octaves et les quartes sont considérées comme des consonances, tierces et sixtes comme des dissonances. La quinte était un intervalle contesté.

Sur un nombre possible de 81 échelles, les théoriciens en ont sélectionné 12 comme étant praticables. Ceux-ci s'appelaient Makamat. En plus de ces gammes complètes, on reconnaissait six Awasat, combinaisons de cinq à neuf tiers-tons. qui étaient dans la même relation avec les gammes que les tropes du plain-chant avec leurs modes respectifs. Alors que le théoricien; introduisant continuellement de nouveaux systèmes d'une merveilleuse ingéniosité, les musiciens pratiques étaient guidés principalement par leur oreille, ce qui les conduisait à concevoir leurs mélodies dans une gamme correspondant exactement au ré majeur des Occidentaux.

La formation de la musique arabo-persane

La musique dans la Perse ancienne.
Les anciens Perses ne valorisaient pas la musique; ils la considéraient même comme une chose dangereuse et comme une cause de molesse. Ce n'est que dans quelques rares occasions qu'ils chantaient des hymnes solennels lors de cérémonies religieuses et dans les salons des rois. Ils avaient la même opinion de la danse et la croyaient, aussi, nuisible aux bonnes moeurs. Le mépris qu'ils avaient pour ces deux arts et qui rejaillissait nécessairement sur les musiciens et les danseurs, a passé à leurs descedants. Au XVIIe siècle, Chardin, dans son Voyage en Perse, avec leragrd de son temps, dit, en parlant des Persans : 
« On chante d'ordinaire chez eux avec le luth et la viole; les hommes ont les plus belles voix, mais il n'y en a guère qui sachent bien à chanter, par la raison que le chant comme la danse passent  pour déshonnêtes en Perse.-»
Toujours selon Chardin, les Persans septentrionaux de son temps, qui vivaient dans montagnes de l'Elbrouz, avait un goût pour le chant :
« Cependant, dit-il ainsi, le peuple a une telle pente au chant, qu'en plusieurs professions ils chantent tout le jour, quelque fois lentement, pour s'animer et s'exercer. »
Des Mèdes aux Perses.
Les Perses anciens, d'abord pasteurs vivant dans de montagnes inaccessibles, reçurent des Mèdes qu'ils conquirent une grande partie des arts qu'ils qu'ils cultivèrent ensuite. Les conquérants reçurent ainsi de leurs maîtres en civilisation, la musique et les autres arts analogues; car la musique était l'occupation favorite des Mèdes. Les plaisirs de la table s'accrurent du charme de la musique; les monarques, eux-mêmes, voulurent prendre part à ces jouissances et à toutes celles qui pouvaient animer les festins, comme la danse. Il semble qu'ils firent même de grands progrès en musique, et si nous pouvons nous en rapporter aux témoignages de Strabon, Athénée, Suidas, Quinte-Curce, etc., ils ne l'exercèrent seulement pas comme un art auxiliaire, subordonné à la poésie et à la partie mimique, mais comme un art indépendant et absolu; dans cette période nous trouvons déjà des intermèdes, des fantaisies et des préludes qui partageaient avec le chant vocal l'attention des auditeurs, afin de donner plus de variété à la mélodie. Ils avaient beaucoup d'instruments de différents genres, et en les comparant aux instruments des Persans modernes, on pense que ce sont les mêmes conservés chez eux depuis l'antiquité la plus reculée. Nous savons, d'ailleurs, que les Chinois, les Indiens et la plus grande partie des peuples orientaux n'ont amélioré, ni le système musical qu'ils eurent originairement, ni leurs instruments primitifs. La musique des Mèdes fut abandonnée aux femmes; ils eurent des chanteuses et des joueuses de lyre, faisant partie du cortège ou plutôt du harem de leurs rois, usage qui, d'après ce que dit Chardin, existait encore de son temps.

Influences indiennes.
L'introduction de la musique des Grecs en Perse, sous Alexandre et ses successeurs, aurait pu avoir une influence, si on eût cherché à en appliquer les règles aux chants nationaux; au lieu de cela, les Perses, égarés dans les disputes d'écoles des harmonistes grecs, préféraient l'étude de l'acoustique aux charmes de la modulation, et traitaient la musique, non comme un des beaux arts, mais comme une science spéculative. On ne sait pas d'une manière certaine si le système musical des Indiens était à cette époque connu des Persans, ou s'il ne le fut que plus tard; on peut conjecturer cependant qu'il existait bien anciennement des relations entre les deux peuples, puisque les rois persans de la tribu de Pishdad conquirent à diverses reprises quelques parties de l'Inde, et que les monarques de l'Inde firent souvent des irruptions dans Iran; on en peut conclure avec vraisemblance, qu'il y eut entre eux un échange de connaissances musicales. Cela expliquerait ce que dit Jones, dans son Traité sur la mutique indienne, que l'on trouve les gammes persanes dans les livres écrits sur la musique en langue sanscrite, et la théorie musicale des Indiens dans les livres persans qui traitent de la musique.
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Danseur derviche accompagné par trois musiciens.
Illustration d'un divan ( = recueil de poèmes) d'Urfi (XVIe s.)

Les débuts de la musique arabo-persane.
Une nouvelle époque pour la musique commença en Perse avec les Arabes. Lorsque le calife Omar détruisit ce royaume (Les Sassanides) et planta sur ses ruines la bannière de l'islam, la lutte fut terrible; les premières années qui suivirent cette révolution furent pleines de meurtres, de sang et de désolation; mais il composa lui-même plusieurs morceaux de musique connus aujourd'hui encore chez les Arabes et les Iraniens. Le calife Abunassar Mohamed el-Farabi, qui était en même temps poète, philosophe, philologue et physicien, obtint avec justice le nom d'Orphée des arabes. L'exemple des souverains, leur amour pour les sciences, les récompenses qu'ils accordaient aux artistes, en firent naître bientôt en Perse. La langue, mêlée de mots et de phrases arabes, acquit une douceur toute particulière; les poètes persans luttèrent avec les poètes arabes; beaucoup, la plus grande partie même étaient à la fois joueurs d'instruments et compositeurs de musique. La poésie persane est lyrique dans la véritable acception du mot; les odes (gazzet) sont toujours accompagnées par une espèce de harpe (chenk) et des chanteurs ambulants appelés mutreb les portaient dan les maisons ou sur les places publiques. Si donc la poésie et la musique persanes ont été perfectionnées par les Arabes, ceux-ci, en revanche, ont formé leur système musical en Perse, et ont même donné à leurs gammes des noms de provinces et de villes persanes.

Le système musical arabo-persan

La musique arabo-persane est divisée en deux parties : le telif ( = composition), ou la musique considérée relativement à la mélodie, et l'ikâa (  = cadence) qui est la terminaison mesurée d'un chant, et qui regarde seulement la musique instrumentale.

Les modes.
Les modes principaux sont : 

• Le rast, ou mode droit; 

• L'irak, ou mode des Chaldéens; 

• Le zirafkend;

• L'isfehan, ou mode de l'ancienne capitale de la Perse (Ispahan). 

Chacun de ces modes est supposé avoir une propriété différente. Ainsi, par exemple , l'irak agiterait les émotions; le zirafkend ferait naître l'amour, etc. 

Les dérivés de ces modes, appelés furoû (rameaux) sont au nombre de huit. Leurs noms sont presque tous empruntés à quelque ville, à quelque pays, à quelque prince ou à quelque grand homme. Après les huit modes nommés furoû, viennent les six modes appelés évarzat, ou composés et dérivés; puis sept autres modes, nommés bohar ( = mers), qui sont autant de phrases musicales commençant chacune par un des sept intervalles qui forment la gamme.

Les intervalles.
Les Arabes ont pris chez les Persans le nom général de ces intervalles, ghia, ainsi que les noms des nombres qui servent à les désigner chacun en particulier. Ces noms sont-:

 
iek du si tciar penj scesc heft
un deux trois quatre cinq six sept
Ils appellent donc iekghia le mode commençant par le premier intervalle; dughia celui qui commence par le second, etc. La musique est notée en traçan un rectangle, traversé par sept lignes droites, qui forment avec les lignes des deux extrémités huit intervalles. Le plus élevé s'appelle : El boûd bil kul, c'est-à-dire, intervalle dans tous les tons; les sept autres, en commençant par le plus bas, portent les noms des sept nombres persans.
el boûd bil kul
7 - heft
6 - scesc
5 - penj
4 - tciar
3 - si
2 - du
1 - iek

Chacune de ces lignes ainsi que son numéro respectif sont d'une couleur différente, ce qui n'est pas moins important à retenir que le nom et l'intervalle.

Malgré l'origine persane de leur musique, les musiciens arabes on employé quelquefois pour indiquer les intervalles, les lettres de l'alphabet arabe au lieu des noms de nombre persans. Les lettres dont ils se servaient sont : alif, be, gim, dal, he, waw, zain, qui correspondent aux notes : la, si, do, ré, mi, fa, sol. Un tel rapport avec la gamme occidentale surprend et doit surprendre encore davantage lorsqu'on examine les trois différents caractères dont on se sert pour noter les intervalles de cette espèce de gamme, et que les musiciens arabes appellent dur mofassat ( = perles séparées).

Alif mim lam - A mi la,
Be fe sin - B fa si, 
Gim sait dal - C sol do, 
Dal lam re - D la ré, 
He sin mim - E si mi, 
Waw dal fe - Fa do fa,
Zain re sad - G ré sol.
On inventa pour la lecture de la musique les signes d'abréviation qui suivent :
Makhadz. - Intervalle de la première note. 
Tertib. - Degré ou note. 
Soûd. - Monter.
Soûd bil esra. - Monter avec vivacité. 
Hubuth. - Descendre.
Hubuth bil esra. - Descendre avec vivacité. 
Hubuth bil tertib.- Descendre par degré. 
Serian. - Vite.
Thafr. - Saut.
Afk. - Mouvement vif.
Rikz. - Dernière note de l'air.
La lettre on le caractère qui sert à exprimer ces mots par abréviations, est toujours de la même couleur que la ligne qu'elle occupe.
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Musicien à la cour de Jahanjir.
La musique et les plaisirs de la table faisaient partie 
de l'agrément de la vie sociale des riches jusqu'aux confins
de l'empire moghol. Aquarelle attribuée au peintre persan 
Muhammad-Ali (début du XVIIe siècle).
qui travaillait à la cour de l'empereur Jahângîr.

La « science des cercles ».
Les Arabes appellent la musique, Ilm el-odavar (= science des cercles), parce qu'ils placent dans un cercle le carré de leurs modes. Voici un exemple d'un morceau de musique du mode zirafkend :


Le cercle du mode zirkafend.

Dans le premier intervalle est placé le titre commun à tous les modes : El boûd bil kul. Intervalles dans tous les tons.

On trouve à droite, dans chacun des intervalles, les noms de nombre persans qui correspondent aux notes marquées en dehors du rectangle.

Les autres signes dispersés dans les intervalles indiquent les notes que l'on doit chanter, et comment on doit passer de l'une à l'autre.

D'après ce qu'on a dit précédemment, makhadz signifie la première note, et à l'exception de celle-ci et de la dernière note appelée rikz, toutes celles sur lesquelles on doit s'arrêter sont marquées avec le mot tertib = note.

Afin de faciliter la lecture de ce mode, chaque note est marquée avec un chiffre qui indique l'ordre dans lequel elle doit être chantée. Ce chiffre n'existe pas dans l'original
arabe.

Le mot makhadz se trouve dans l'intervalle tciar (= quatre), qui correspond à notre ; le mode zirafkend commence donc par un .

Au-dessous, dans l'intervalle si (= trois), on lit hubuth ( = descendre), et plus bas tertib (= note); ce qui veut dire descendez à la note de l'intervalle si ( = trois) qui correspond à notre do; la seconde est donc un do.

Après tertib et dans la même ligne, est écrit afk ( = passsage rapide) qui veut dire : passez rapidement où conduit la ligne ascendante qui s'élève jusqu'à l'intervalle scesc ( = six); vous trouverez tertib (= note) qui, placé dans cet intervalle, indique un fa. Dans l'intervalle qui est au-dessous on lit hubuth-bil esra ( = descendre avec vivacité). 

Descendez donc rapidement jusqu'à l'extrémité de la ligne perpendiculaire qui s'arrête à l'intervalle du (= deux) qui correspond à notre si, où se trouve le mot tertib ( = note ).

Soûd bil esra ( = montez avec vivacité) écrit dans le même intervalle, indique qu'on doit monter rapidement à tertib qui se trouve dans l'intervalle si ( = trois) correspondant à notre do.

Bien que le signe kubuth (= descendre) ne soit pas sous cette note, on voit pourtant qu'il faut descendre au dernier signe rikz placé dans l'intervalle du qu'on vient de laisser. C'est donc, sur cette note qui correspond à notre si, que finit le mode zirafkend.

Les Arabes et les Orientaux ne passent jamais d'un intervalle à un autre, soit en montant, soit en descendant, sans parcourir et faire sentir tous les intervalles intermédiaires. Cette manière de faire glisser la voix est considérée comme l'agrément de la musique et la grâce du chant. La musique arabe ne connaît pas l'harmonie , et, dans les concerts, toutes les parties chantent à l'unisson ou à l'octave. 

Les instruments.
Le nombre des instruments employés dans la musique arabo-persane est considérable; voici les plus connus :

•  Le rebab ou rebic, espèce de pandore de forme torse, qui a un manche rond et des cordes de crin, et dont on joue avec un archet comme de notre violon dont il peut être vu comme l'ancêtre. C'est le principal des  instruments  arabo-persans rabotés à archet. 

Le tanbûr, est une espèce de mandoline au corps circulaire ou ovale, un manche très long qu'on pince avec de l'écorce d'arbre ou avec une plume. Il y en a de deux espèces : le grand tanbûr qui a deux cordes de laiton tressées, accordées en quintes, avec des touches pour former les tons; et le petit tanbûr, dont les deux cordes sont composées de trois fils de laiton non tressés. 

Le duff est, comme le tambour de basque, un cercle sur lequel est tendu une peau, entouré de petites cloches de cuivre. Les Arabes en sont les Inventeurs.

Le nakarich est similaire à la timbale-tambour. 

Le sanj est de forme triangulaire; il ressemble à notre psaltérion et se pince avec les doigts.

Le kanun ressemble au précédent. C'était une sorte de clavecin à 75 cordes en boyau (trois pour chaque ton) sur un résonateur carré.

Le zamr , ghaita ou zurna est le principal instrument à vent. C'est une sorte de hautbois. 

Le nai  est une flute qui a une petite embouchure de corne. C'est au son de cet instrument que dansent les derviches (Soufisme). Deux ou trois joueurs de nai sont dans une galerie; l'iman placé au milieu de ses derviches donne le signal. Les nai se font entendre et les derviches se mettent à faire des pirouettes avec la plus grande vivacité, jusqu'à ce que l'iman leur fasse signe de s'arrêter. 

L'oûd ou aûd est un véritable luth; c'est l'instrument favori des musiciens arabes qu'ils ont adopté des Perses; ils attribuent à chacune de ses quatre cordes un effet particulier. On croit que c'est à cet instrument que luth des Occidentaux doit son origine. 

Le kemangeh était fait d'une noix de coco recouverte d'une membrane tendue. Les cordes étaient fixées sur un manche excessivement long et fin. 

Le nombre d'instruments utilisés traditionnellement par les musiciens arabes et persans est énorme. Il existe 32 sortes de luths, 12 sortes de kanuns. 14 instruments joués avec un archet. 3 sortes de Iyres, 28 sortes de flûtes, 22 sortes de hautbois, 8 sortes de trompettes, et une abondance de tambours (toutes tailles) et d'autres instruments de percussion. (P. Lichtenthal, D. Mondo).
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Tanbur.
Tanbûr (XIXe siècle). Origine : Syrie ou Turquie.
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