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Le droit
qui régit certains Etats musulmans
ou qui en inspire d'autres tire ses principes de trois sources principales
: le Coran,
la Sunna et l'Idjmâ. La science
du droit est une de celles que les musulmans cultivent de préférence
à cause de son caractère à la fois religieux et utilitaire;
c'est par centaines que l'on compte le nombre des ouvrages de droit, et
l'on peut dire que c'est la seule branche des connaissances humaines que
les musulmans n'aient pas délaissée; sunnites
et chiites y rivalisent de zèle tout
en maintenant, bien entendu, les divergences qui les séparent.
En vue de maintenir l'unité politique
parmi les habitants de la péninsule Arabique,
Mahomet, qui vraisemblablement n'espérait
pas voir sa religion adoptée par d'autres peuples que les Arabes,
résolut de fixer en termes généraux les bases les
plus essentielles de la législation
que devaient suivre ses adeptes. Toutefois, sauf sur le droit criminel,
les droits successoraux et quelques autres questions de moindre importance,
le Coran ne contient pas de dispositions formelles offrant une sorte
de code à un magistrat. Mais, sa vie durant, Mahomet, en sa qualité
de représentant de Dieu
sur la terre, eut à juger les contestations de toute nature qui
s'élevèrent parmi les musulmans; toutes les sentences qu'il
prononça furent pieusement conservées et servirent de règle
à l'avenir. La Sunna (c'est le nom que l'on donne à
l'ensemble de ces décisions ou hadits) compléta sur
bien des points les dispositions un peu vagues contenues dans le Coran
et forma en réalité le premier code des musulmans. Malheureusement
ces décisions ne furent point écrites à l'origine
et, soit que la mémoire des traditionnistes fût en défaut,
soit que Mahomet eût été entraîné par
les circonstances à ne pas appliquer toujours les mêmes règles,
on s'aperçut bientôt que de nombreuses divergences se manifestaient
sur bien des points. Il faut ajouter, d'une part, que les quatre premiers
califes, dits orthodoxes, avaient usé
du privilège attribué à Mahomet, ce qui naturellement
ne pouvait avoir fait qu'empirer l'état des choses et, d'autre
part, que la lutte entre les Alides et les Omeyyades avait apporté
un nouvel élément de discordance.
Quatre célèbres docteurs,
Abou Hanifa (mort en 150 de l'hégire), Malek (mort en 177), Chaféi
(mort en 204) et Hanbal (mort en 241) essayèrent chacun de son côté
de fixer les bases certaines du droit musulman; ils ne furent pas absolument
d'accord sur tous les points; néanmoins ils sont tous regardés
comme orthodoxes et aujourd'hui encore leurs théories sont admises,
et chacune d'elles compte des partisans qu'on appelle hanéfites,
malékites, chaféiites ou hanbalites. Toutes les décisions
acceptées par ces docteurs et par leurs principaux disciples ont
force de loi, mêmes si elles ne reposent point sur un hadits précis,
à cause de l'accord ou idjmâ qui s'est établi entre
ces illustres juristes.
Il est bien certain, cependant, que
l'extension prodigieuse que prit l'Islam
dans des contrées de natures diverses devait donner lieu à
des litiges dont ni le Coran,
ni la Sunna, ni l'Idjmâ ne pouvaient soupçonner
l'existence. Pour suppléer à cette insuffisance de leur législation,
les musulmans ont fait appel aux docteurs célèbres et ceux-ci
se fondant, tantôt sur l'analogie, tantôt sur des usages locaux,
ont donné des solutions qui ont été acceptées
au même titre que celles fournies par les premiers fondateurs du
droit musulman.
Enfin, à l'époque moderne,
lorsqu'une espèce nouvelle se produit, c'est le mufti qui est chargé
de rechercher dans les textes anciens les motifs qu'on peut invoquer en
faveur de la décision à prendre, sans cependant que cette
décision devienne obligatoire en dehors de sa circonscription ou
postérieurement au temps pendant lequel il a exercé sa fonction.
Ainsi, malgré son immobilité apparente, la loi musulmane
est donc susceptible d'élargir son cadre au fur et à mesure
de ses besoins. Les différentes écoles hanéfite, malékite,
chaféite et hanbalite ont donné successivement, tantôt
sous le nom de modawwana (digeste), tantôt sous des titres
plus ou moins parlants, des codes véritables qui servent de guide
aux magistrats musulmans. Ces ouvrages ont conservé la trace des
divergences qui s'étaient produites entre les docteurs à
l'occasion de certains cas, et formulent souvent plusieurs solutions différentes
pour une même espèce; cet inconvénient, auquel la centralisation
eût seule pu remédier, a surtout pour origine des théories
un peu différentes professées par les écoles rivales
de Médine et de l'Irak sur certains principes du droit musulman.
Le droit criminel n'a pas été
l'objet d'une codification rigoureuse parce qu'il n'est pas appliqué
par des magistrats, mais par le chef de l'Etat ou
son représentant politique et que souvent, dans le passé,
ces personnages ne savaient ni lire, ni écrire. En matière
civile, au contraire, la loi est appliquée par un magistrat unique,
appelé cadi, qui a fait des études assez complètes
et peut, par conséquent, chercher dans les livres les renseignements
qui lui sont nécessaires pour juger avec équité.
Ce qui préoccupe avant tout le législateur
musulman, c'est de ne pas être en contradiction
avec le Coran
et la Sunna. C'est ainsi que la crainte de l'usure a fait interdire
des contrats qui paraissent tout naturels aux Occidentaux et dans lesquels
il n'y a en réalité qu'une redevance très légitime
pour un service rendu. Les règles si compliquées de la vente
des comestibles et des métaux précieux n'ont pas d'autre
cause. Toutefois la nécessité a contraint le musulman à
accepter, par exemple, la commandite dans des conditions telles que le
commanditaire reçoit un intérêt énorme du capital
qu'il fournit. Aussi, bien que les coutumes locales, antérieures
à la conversion des populations à la foi islamique, aient
déjà contribué dans une certaine mesure à faire
fléchir la rigueur de quelques-uns des principes de la loi musulmane,
il ne serait pas impossible à l'heure actuelle d'y introduire encore
bien des tempéraments.
On le voit, dans sa trame générale,
le droit musulman n'a rien qui heurte les conceptions modernes du droit.
A Mayotte,
le droit civil musuman est d'ailleurs appliqué conjointement au
droit français. On peut porter un jugement différent là
où il s'applique dans sa forme la plus traditionnelle. Ainsi, le
droit canonique, qui tient une large place dans les traités des
auteurs musulmans, est rempli de prescriptions méticuleuses qui
ont pour objet d'accroître la solennité des actes religieux
et souvent aussi d'obliger les fidèles à des précautions
hygiéniques que l'autorité civile n'aurait pu lui imposer.
Cette réglementation minutieuse a ses inconvénients; elle
attribue une grande importance à des faits insignifiants et fait
un vrai coupable d'un musulman qui aura, par exemple, mangé du porc
ou de la chair d'un animal égorgé autrement que selon les
rites. Plus graves sont les pratiques qui subsistent dans les Etats
qui appliquent aujourd'hui le droit musulman dans sa forme la plus conservatrice
: droit pénal archaïque (loi du talion, châtiments corporels,
mutilations, peine de mort); discrimination des femmes. (O.
Houdas). |
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