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Michel de Bay,
en latin Baius est un théologien, le préparateur du jansénisme .
Il est né à Mélin (Hainaut) en 1513, et mort le 16 septembre 1589. Après
avoir enseigné la philosophie pendant six
ans, il obtint la charge de principal au Collège du pape, à Louvain (1549),
et, en cette même année, il prit sa licence en théologie ;
l'année suivante, il reçut le doctorat. En 1551, il fut nommé professeur
royal pour la chaire d'écriture sainte. De concert avec J. Hessels et
suivant une méthode qui s'éloignait grandement de la tradition scolastique,
il enseigna une doctrine qui donna lieu aux agitations théologiques, aux
censures et aux condamnations qui sont relatées ci-après. Néanmoins,
l'estime que son caractère inspirait, la déférence avec laquelle il
sut toujours se soumettre aux décisions de l'autorité ecclésiastique
le préservèrent jusqu'à la fin des disgrâces que ses opinions auraient
pu provoquer. En 1563, il fut un des théologiens que le cardinal de Granvelle
envoya au concile de Trente, au nom du roi
d'Espagne; en 1575, il obtint le doyenné de Saint-Pierre de Louvain; en
1577, on lui conféra la dignité de conservateur des privilèges de l'université
de Louvain. Son épitaphe porte qu'il fut chancelier de cette université
et inquisiteur général dans les Pays-Bas. Après avoir fondé à Louvain
un collège, qu'il mit sous le patronage de saint Augustin, il légua le
reste de ses biens aux pauvres.
Baius a composé divers ouvrages de théologie,
dont plusieurs furent publiés pendant sa vie, ainsi que des livres de
controverse contre les protestants : De meritis operum, libri II; De
prima hominis justitia et virtutibus impiorum, libre II; De Sacramentis
in genere contra Calvinum; De forma baptismi. Tous ces traités furent
imprimés ensemble à Louvain, 1565. L'année suivante on y imprima De
libero hominis arbitrio, liber I; De charitate, justitia et justificatione,
libri III, De sacrificio, liber I; De peccato originali, liber I; De indulgentiis,
liber I; De oratione pro defunctis, liber I. Ses adversaires lui reprochaient
la modération de sa controverse avec Philippe de
Marnix de Sainte-Aldegonde : Responsio ad quoestiones phil. Marnixii
de ecclesia Christi et sacramento altaris (Louvain, 1579); Apologies
pro Responsione contra objectiones ejusdem de veritate corporis Christi
in eucharistia (Louvain 1581). Autre ouvrage contre les protestants
: Epistola de Statuum lnferioris Germaniae unione cum iis qui se desertores
Romanoe Ecclesioe vocant et de juramento quod eorum jussu a clero et monachis
oxigitur (Louvain et Cologne, 1579). Il a été publié en 1696 une
édition des oeuvres de Baïus, préparée par Gerberon : Michaelis
Baii, celeberrimi in Lovaniensi academia theologi, opera, cum bullis pontificum
et aliis ejusdem causam spectanlibus.... : Studio A. P. theologi. Coloniae
Agrippinae, sumptibus Balthasaris ab Egmont et sociorum, 2 vol. in-4.
Le premier volume contient, outre les ouvrages déjà imprimés, sept ou
huit pièces inédites; le second est presque entièrement composé d'écrits
qui n'avaient point encore été publiés, et de documents fort intéressants
sur l'histoire du baïanisme. Cette édition, à tendance apologétique
et manifestement janséniste, a été condamnée par la Congrégation de
l'Index.
Le jansénisme tient dans la théologie,
dans la littérature et même dans l'histoire politique de la France une
telle place et, par son origine, il se rattache au baïanisme d'une manière
tellement intime, qu'il nous parait utile d'indiquer quelques-uns des traits
qui caractérisent l'oeuvre de Baius et d'essayer d'introduire, s'il se
peut, quelque clarté en ces matières dont il est souvent parlé, mais
qui sont généralement peu connues. L'importance que Baius eut en son
temps et l'ardente opposition qu'il rencontra doivent être rapportées
à deux causes : la méthode et les conclusions. Sa méthode est antiscolastique
et ses conclusions sont franchement augustiniennes.
Il prétendait réduire l'étude de la
théologie à Ia Bible
et aux anciens Pères de l'Église ,
principalement à saint Augustin. Cette méthode,
qui répudiait les procédés scolastiques, devait déplaire à beaucoup
de théologiens, dont elle contrariait les habitudes ou dont elle alarmait
la timidité et, peut-être, la paresse. On lai reprochait d'imiter les
protestants et de recourir aux mêmes autorités. A quoi Baius et ses partisans
répondaient qui, c'était pour mieux combattre ces hérétiques, en les
attaquant sur leur propre terrain. Il suffit de lire les titres de ses
ouvrages pour se convaincre qu'il avait réellement formé ce projet :
les sujets traités par lui correspondent aux principaux points de la doctrine
des réformateurs. Baius fit donc de saint Augustin l'étude de toute sa
vie; il avait lu, dit-on, tous les écrits de ce docteur neuf fois, et
soixante-dix fois ceux qui concernent la grâce. Or, il y a beaucoup de
choses, de choses différentes et même contraires, dans saint Augustin,
qui a rédigé lui-même d'abondantes rétractations de ses propres opinions
et dont l'autorité a été alléguée tour à tour par les catholiques
et par les hérétiques. Quand il combat les manichéens
qui estimaient essentiellement mauvaise la nature de l'humain, il laisse
à la liberté et aux facultés humaines une part qui peut être accommodée
à la doctrine traditionnelle du catholicisme .
Mais, quand il combat les pélagiens ( Pélage)
qui lui opposaient la liberté de l'humain, et généralement toutes les
fois qu'il exprime ingénument son propre sentiment, tout en gardant le
nom de liberté, il réduit l'homme à une impuissance telle, qu'elle rend
vains tous les efforts de sa volonté et qu'elle l'asservit à une grâce
nécessaire, fort voisine de la fatalité. En fait, l'Église
catholique n'a jamais admis cette doctrine, parce qu'elle atténue désastreusement
la valeur des oeuvres et que cette valeur constitue le plus riche
trésor de l'Église. Quand l'Augustinisme
lui est présenté en la personne de saint Augustin, elle s'incline; mais
quand il est représenté par des docteurs moins inviolables, elle le condamne
sévèrement.
Saint-Augustin avait enseigné, non seulement
que l'humain est dans l'impossibilité absolue de faire son salut sans
le secours de la grâce, mais qu'Adam
même, sans ce secours, ne pouvait persévérer dans la justice originelle
et, par conséquent, que l'impuissance humaine est devenue beaucoup plus
grande depuis la chute; il avait démontré le péché originel et la corruption
radicale de l'humain par la concupiscence, à laquelle il est asservi dès
sa naissance. Baius ne nie pas, plus qu'Augustin, la liberté; mais, comme
lui, la possibilité de l'exercer. Dieu ,
suivant Baius, a créé le premier homme innocent et pourvu des grâces
et des perfections de l'état d'innocence. Cependant la justice d'Adam
n'était pas essentielle à l'humain, en ce sens qu'elle soit une propriété
de la nature humaine. Depuis la chute, ces attributs sont devenus pour
l'humanité ce que les yeux ou les oreilles sont pour l'aveugle ou le sourd
de naissance. Par suite du péché originel, l'humain a-été privé de
l'intégrité de sa nature; il est l'esclave de la concupiscence et il
n'a plus de force que pour pécher. Sa volonté n'est point violentée
par une contrainte extérieure, mais elle est complètement, universellement
et continuellement entraînée par son propre penchant. (Baius, De prima
hominis justitia; De bono justitiae; De libero arbitrio). La déchéance
résultant de la chute est si profonde que nul n'échappe à l'état de
péché qui en est la conséquence, ni les saints, ni même la sainte Vierge .
Personne ne naît sans péché originel les peines que la Vierge et les
saints ont souffertes sont des punitions du péché originel ou actuel.
Depuis le péché d'Adam, toutes les actions des hommes faites sans la
grâce sont des péchés. On ne doit pas dire que l'homme satisfait par
des oeuvres de pénitence; mais que c'est en vue de ces oeuvres que la
satisfaction de Jésus
est appliquée.
Les franciscains furent et devaient être
les premiers adversaires de Baius : ils s'étaient voués depuis longtemps
à la prédication de l'Immaculée-Conception et ils défendaient comme
un héritage de leur ordre, la doctrine de Duns
Scot, revendiquant la dignité de la nature humaine et affirmant que,
pour que l'homme reçoive une assistance divine, il faut qu'il subsiste
entre celui qui reçoit et ce qui est reçu une affinité qui est incompatible
avec une déchéance complète. L'humain est resté capable de bonnes oeuvres,
et c'est par ses bonnes oeuvres qu'il se dispose à la grâce. En 1560,
les franciscains envoyèrent à la faculté de Paris dix-huit propositions
avancées par Baius ou par ses disciples. La faculté les condamna toutes;
trois comme fausses et contraires à l'Écriture; les autres comme
hérétiques. Baius les défendit pour la plupart. Le cardinal de Granvelle,
gouverneur, des Pays-Bas, voyant la querelle s'échauffer, obtint du pape
un bref l'autorisant à faire tout ce qu'il jugerait nécessaire pour l'apaiser.
Il imposa le silence aux deux partis; mais celte trêve dura peu. Les hostilités
furent reprises par les adversaires de Baius. En 1561, ils présentèrent
au cardinal de Granvelle un mémoire contenant plusieurs propositions qu'ils
dénonçaient comme étant presque toutes suspectes d'erreur ou d'hérésie.
Baius en désavoua une partie et soutint que les autres, étaient faussées
:
«
Entre ces propositions, il y en avait quelques-unes fort éloignées de
nos sentiments; d'autres que nous n'avons jamais soutenues ni traitées
en aucun sens; mais toutes, ou du moins la plupart, étaient exprimées
ou tournées d'une manière si maligne, que les seules expressions les
pouvaient rendre suspectes, principalement dans l'esprit de ceux qui n'avaient
point étudié spécialement ces questions ».
La contestation ne fut point poussée alors
plus loin, et Baius fut député au concile de Trente avec Hessels (1563).
A son retour, il acheva de faire imprimer ses ouvrages et la lutte recommença
plus vive. Des écrits de Baius on tira des articles qu'on envoya en Espagne,
pour les faire condamner; puis avec ses écrits, ses discours et ceux de
ses disciples on forma une liste de LXXVI propositions qui furent déférées
au pape. Par la bulle Ex omnibus afflictionibus (15 octobre 1567), Pie
V les condamna en ces termes :
«
Nous les condamnons dans la rigueur et dans le sens propre des mots visé
par les auteurs, quoiqu'il y en ait plusieurs qui puissent être soutenues
par quelque accommodation. »
Quas
quidem sententias stricto coram nabis examine pon deratas quanquam nonnullae
aliquo pacto sustineri possint, in rigore et proprio verborum sensu ab
auctoribus intento damnamus.
En déplaçant la virgule mise après le point
et en la reportant après intento, le sens de la bulle se trouve
ainsi changé, elle dirait :
«
Quoiqu'il y en ait plusieurs qui puissent être soutenues à la rigueur
et dans le sens propre des mots visé par les auteurs. »
C'est ce que firent les baïanistes. Afin
de ménager l'honneur de Baius, la bulle ne le nommait pas.
Pour mettre fin aux équivoques et aux
arguties des baïanistes, un concile des évêques des Pays-Bas, tenu Ã
Malines, ordonna que la bulle serait notifiée solennellement à la faculté
de théologie de Louvain, avec injonction aux docteurs de se soumettre.
Cette notification eut lieu le 16 novembre 1570 et Baius se soumit. L'année
suivante, la faculté fit un décret portant que les LXXVI propositions
seraient tenues pour condamnées, que tous les membres de la faculté s'abstiendraient
de les enseigner et que tous les livres ou elles se trouveraient soutenues
seraient ôtés aux étudiants.
Comme Morillon, chargé de la notification
de la bulle, n'en avait point laissé copie à la faculté, quelques-uns
soutinrent qu'elle était fausse ou qu'ayant été obtenue subrepticement,
elle serait révoquée. Il fallait mettre fin à ces contestations. Grégoire
XIII, sollicité par l'ambassadeur d'Espagne, donna (28 janvier 1579)
une bulle dans laquelle il inséra la bulle entière de Pie V sans la confirmer
expressément, ni condamner à nouveau les LXXVI propositions; mais en
énonçant seulement qu'il l'avait trouvée dans les registres de Pie V
et n 'on devait y prêter foi. Baius déclara qu'il condamnait les articles
portés dans la bulle, qu'il les condamnait selon les intentions de la
bulle et de la même manière. Le 24 mars 1580, il signa même un écrit
par lequel il reconnaissait qu'il avait soutenu quelques-unes des LXXVI
propositions et qu'elles étaient censurées dans se sens suivant lequel
il les avait enseignées. En récompense de cette complète soumission,
il obtint de Grégoire XIII un bref très obligeant (juin 1580).
Enfin, l'évêque de Verceil, nonce du
pape en Flandre, fit dresser un corps de doctrine opposé aux tendances
censurées par Pie V, et toute la faculté de Louvain s'engagea par Serment
à le prendre pour règle de son enseignement. La paix semblait ainsi rétablie
pour toujours, lorsque les doctrines des théologiens jésuites
Lessius et Hamélius sur la grâce suffisante et sur la prédestination
vinrent offrir au baïanisme l'occasion d'une revanche. (E.-H.
Vollet). |
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