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Le théâtre
de l'absurde est un mouvement théâtral qui a émergé au milieu du
XXe siècle. Ce style de théâtre
est caractérisé par sa mise en évidence de l'absurdité de la condition
humaine, de la déraison, et du manque de sens de la vie. Il a révolutionné
le théâtre en rejetant les conventions traditionnelles. Ses dramaturges
ont créé des oeuvres qui restent puissantes et provocantes, invitant
le spectateur à réfléchir sur la condition humaine dans un monde dénué
de sens apparent.
La
plupart des pièces et des auteurs représentatifs du théâtre de l'absurde
sont européens. Mais ce théâtre s'est aussi développé bien au-delà ,
en Asie comme en Amérique. Il reprend les thèmes principaux du mouvement
européen : l'aliénation, l'absurdité de la condition humaine, et la
communication fragmentée, et y ajoute le filtré des contextes culturels
spécifiques de chaque région. En Asie, le théâtre de l'absurde a intégré
des éléments de la culture traditionnelle et des réalités sociopolitiques
contemporaines. Au Japon, l'influence du zen et des philosophies orientales
peut se retrouver dans l'approche minimaliste et introspective de certaines
oeuvres. En Chine, le théâtre de l'absurde a été utilisé pour critiquer
les régimes politiques et la répression. En Amérique, le théâtre de
l'absurde a été utilisé pour traiter des thèmes de la solitude, de
l'aliénation urbaine et des dynamiques de pouvoir, avec une attention
particulière aux questions sociales et politiques contemporaines.
Le théâtre de l'absurde prend ses racines
dans le climat intellectuel et culturel d'après-guerre, particulièrement
après la Seconde Guerre mondiale, une époque marquée
par un sentiment de désillusion et de chaos. La dévastation de la guerre,
l'Holocauste, et la menace de la guerre nucléaire
ont contribué à une vision pessimiste de l'existence humaine. Les dramaturges
de ce mouvement ont rejeté les structures narratives traditionnelles et
les conventions théâtrales pour refléter cette vision. Ils ont choisi
de se concentrer sur la condition humaine, à travers des situations dénuées
de sens apparent. Les oeuvres du théâtre de l'absurde cherchent à provoquer
une prise de conscience chez le spectateur. Elles l'invitent à réfléchir
sur la condition humaine, la communication et l'absurdité de la vie.
Le mouvement a été influencé par les
philosophies existentialistes et nihilistes,
en particulier par les Å“uvres d'Albert Camus
et Jean-Paul Sartre. Camus, dans son essai Le
Mythe de Sisyphe (1942), a exploré l'idée de l'absurdité de la condition
humaine, une idée qui résonne profondément dans le théâtre de l'absurde.
Dans les pièces qui relèvent du théâtre
de l'absurde, les dialogues sont déstructurés, répétitifs, et illogiques,
reflétant l'incommunicabilité et l'absurdité du langage humain. Les
pièces elles-mêmes n'ont pas de structure narrative traditionnelle avec
un début, un milieu et une fin clairs. Elles peuvent sembler incohérentes
et désordonnées. Les personnages sont volontiers des archétypes ou des
figures symboliques plutôt que des individus pleinement développés.
Ils peuvent sembler dépourvus de but ou de motivation.
Les thèmes centraux incluent l'absurdité
de la vie, la futilité de l'effort humain, l'aliénation. Les pièces
abordent souvent la quête de sens dans un monde insensé. L'humour dans
le théâtre de l'absurde est souvent noir et grotesque. Il souligne l'incohérence
et la déraison du monde.
Quelques auteurs
et oeuvres emblématiques-
Europe
• Samuel
Beckett (1906-1989). - En attendant Godot (1953)
: deux personnages, Vladimir et Estragon, attendent un certain Godot qui
ne vient jamais. La pièce aborde le thème de l'attente et de l'inutilité.
Fin
de partie (1957) : cette pièce met en scène des personnages enfermés
dans un cycle de dépendance et de destruction, questionnant la finitude
et la stérilité de l'existence.
• Eugène
Ionesco (1909-1994). - La Cantatrice chauve (1950) : une pièce
qui parodie la banalité et l'inanité du langage quotidien à travers
des dialogues absurdes et décalés. Rhinocéros (1959) : une allégorie
sur le conformisme et le totalitarisme, où les habitants d'une ville se
transforment progressivement en rhinocéros.
• Jean
Genet (1910-1986). - Les Bonnes (1947) : une pièce sur
deux bonnes qui jouent des rôles de maîtresse et de servante dans des
jeux de pouvoir et de fantasmes destructeurs. Le Balcon (1956) :
une analyse des illusions de pouvoir et de la réalité dans un bordel
transformé en maison de pouvoir.
• Harold
Pinter (1930-2008). - The Birthday Party (1958) : une pièce
qui utilise le silence et l'ambiguïté pour créer une atmosphère de
menace et de mystère. The Homecoming (1964) : une étude des dynamiques
familiales et de la violence sous-jacente dans les relations humaines.
• Arthur Adamov
(1908-1970). - Le Ping-pong (1955) : une pièce qui explore le vide
de la vie moderne à travers le prisme d'une salle de jeux. Le Professeur
Taranne (1953) : une réflexion sur l'aliénation et la perte de repères.
• Fernando Arrabal
(né en 1932). - Pic-Nic
(1952) : une critique de la guerre à travers l'absurdité d'un |
pique-nique sur
un champ de bataille. Le Cimetière des voitures (1958) : une pièce
qui aborde la déshumanisation et la violence.
Asie
• KÅbÅ Abe
(Japon, 1924-1993). - L'Homme-boîte (1973) : une pièce qui explore
l'aliénation et l'identité à travers l'histoire d'un homme qui vit dans
une boîte. Les Amis (1967) : une satire de la société japonaise
où un homme se retrouve envahi par une famille envahissante.
• Gao Xingjian
(Chine / France, né en 1940). - La Fuite (1989) : une pièce qui
traite de la répression politique en Chine, mêlant absurdité et surréalisme.
L'Homme
qui marche seul (1995) : une exploration de la solitude et de l'aliénation.
Amérique
• Edward Albee
(États-Unis, 1928-2016). - The Zoo Story (1959) : un affrontement
entre deux hommes dans Central Park qui explore l'aliénation urbaine.
Qui a peur de Virginia Woolf? (1962) : bien que classée comme un
drame réaliste, cette pièce possède des éléments absurdes dans la
manière dont les personnages interagissent et se désintègrent.
• Maria Irene
Fornes (Cuba / États-Unis, 1930-2018). - Fefu et ses amis (1977)
: une pièce qui aborde les dynamiques de pouvoir et l'absurdité de la
condition féminine. La conduite de la vie (1985) : Une réflexion
sur la violence et l'oppression dans un contexte dictatorial.
• Nilo Cruz
(Cuba / États-Unis, né en 1960). Anna sous les tropiques (2002)
: Bien que cette pièce soit essentiellement réaliste, elle intègre des
éléments absurdes dans la manière dont les personnages s'accrochent
à des traditions obsolètes face au changement. |
À ses débuts dans
les années 1950, le théâtre de l'absurde a généralement été accueilli
avec confusion et scepticisme. Le public et les critiques ne savaient pas
comment interpréter ces pièces qui défiaient les conventions narratives
et logiques traditionnelles. Certaines critiques ont dénoncé ce théâtre
comme étant trop obscur et élitiste. D'autres, en revanche, ont salué
son innovation et sa capacité à saisir l'angoisse existentielle de l'après-guerre.
Des critiques comme Martin Esslin ont été déterminantes pour faire accepter
ce mouvement, en le théorisant et le défendant dans son ouvrage The
Theatre of the Absurd (1961).
Au fil du temps, le théâtre de l'absurde
a gagné en reconnaissance. Des oeuvres comme En attendant Godot
de Beckett ou la Cantatrice chauve de Ionesco sont devenues des
classiques et ont été largement étudiées et appréciées pour leur
profondeur philosophique et leur innovation stylistique. Les pièces de
l'absurde ont été traduites et montées dans le monde entier, attirant
l'attention sur la condition humaine universelle et les défis de la communication.
Le théâtre de l'absurde a jeté les bases
du théâtre postmoderne, caractérisé par l'ironie, la fragmentation,
et le mélange des genres. Des éléments de l'absurde ont également été
intégrés dans le théâtre de l'incongruité et du surréalisme, avec
des dramaturges comme Harold Pinter et Tom Stoppard. Il a eu, par ailleurs
un impact sur la mise en scène et l'interprétation. Le théâtre de l'absurde,
qui recourt ordinairement à des décors minimalistes et à des mises en
scène dépouillées, a influencé les pratiques de mise en scène
contemporaines. L'accent est mis sur l'acteur et le texte plutôt que sur
des productions élaborées. En mettant les personnages dans des situations
absurdes, ce théâtre a aussi mis en avant la performance de l'acteur,
sa capacité à naviguer dans des dialogues et des situations dépourvues
de logique apparente, augmentant ainsi la complexité et la profondeur
de l'interprétation théâtrale. |
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