| Par décret du 21 mai 1790, sanctionné le 27 juin suivant, l'Assemblée nationale supprima les soixante districts de Paris, qui étaient devenus autant de clubs, et les remplaça par quarante-huit sections. Aussitôt, c.-à.-d. en juillet 1790, les membres du ci-devant district des Cordeliers fondèrent une société populaire qui s'appela Club des Cordeliers, Société des Amis des droits de l'homme et du citoyen. Elle siégea d'abord dans l'église du couvent des Cordeliers, d'où la municipalité la chassa au commencement de mai 1791. Après avoir résidé un instant au jeu de paume du sieur Bergeron, rue Mazarine, la Société loua, le 28 mai 1791, au sieur Metzinger la salle dite du Musée, rue Dauphine (renommé par la suite rue de Thionville, n° 105), et y siégeait encore le 22 frimaire an II. Mais nous voyons (Moniteur, XIX, 629) qu'en pluviôse an II elle s'était transportée dans la section de la Maison-Commune, au temple de la Raison (c'était probablement l'église Saint-Gervais, qui fut aussi temple de la jeunesse). Ses membres principaux furent Danton, Legendre, Marat, Fournier l'Américain, Momoro, Fabre d'Eglantine, Camille Desmoulins, Hébert, Desfieux, Anacharsis Cloots, Chépy, Peyre, Vincent, Fréron, etc. Leur politique fut de surveiller minutieusement les actes des ministres, du département, de la commune, et ils symbolisèrent cette surveillance par un oeil gravé en tête de leurs arrêtés. Les tendances les plus diverses, les plus opposées, se donnaient carrière dans ce club où siégeaient côte à côte des hommes d'Etat comme Danton, des hommes de main comme Fournier, des rêveurs comme Cloots. Mais tous étaient d'accord pour essayer de détruire le trône et l'autel ainsi que cette constitution dont les Jacobins étaient les défenseurs. Et cependant beaucoup de Cordeliers faisaient partie des Jacobins. Après la fuite à Varennes, la Société des droits de l'homme et du citoyen adressa à l'Assemblée nationale une pétition (signée Collin, président, Champion, secrétaire) pour demander la suppression de la royauté : « Nous vous conjurons, ou de déclarer sur-le-champ que la France n'est plus une monarchie, qu'elle est une république; ou au moins d'attendre que tous les départements, toutes les assemblées primaires aient émis leur voeu sur cette question importante, avant de penser à replonger une seconde fois le plus bel empire du monde dans les chaînes et dans les entraves du monarchisme. » Et en même temps la Société déclarait « qu'elle comptait autant de tyrannicides que de membres ». La journée du 17 juillet 1791 força les principaux meneurs des Cordeliers, notamment Danton, à se soustraire pendant quelque temps par la fuite à des poursuites probables. Momoro fut arrêté. Le club suspendit ses séances et ne les reprit que le 25. A la nouvelle des premiers échecs de nos armes dans le Nord, les Cordeliers se présentèrent à la barre de l'Assemblée législative pour dénoncer les généraux, mais ils en furent chassés (2 mai 1792). Aux journées du 20 juin et du 10 août 1792, on vit au premier rang des membres du club des Cordeliers; mais les documents font défaut sur l'attitude du club lui-même. A partir du 10 août, Danton, Fabre, Desmoulins semblent n'y avoir plus siégé, et les éléments violents y prirent le dessus. Le club fut compromis dans l'insurrection avortée du 10 mars 1793 (Moniteur, XV, 704). Il favorisa le coup d'État populaire du 2 juin. Après la mort de Marat, il vint déclarer à la Convention (26 juillet 1793) qu'il élevait dans le lieu de ses séances un autel au coeur de Marat. Le 18 septembre suivant, il se présenta de nouveau à la barre pour se plaindre des représentants en mission et des pouvoirs qui leur étaient donnés. Le 25, il demanda la création d'une armée révolutionnaire. Le1er décembre, il proposa à la Convention de prescrire jusqu'à la paix la circulation des monnaies d'or et d'argent. Le 24, il réclame l'envoi au tribunal révolutionnaire des Girondins survivants. Les Cordeliers sont à ce moment-là les promoteurs du culte de la Raison. Deux d'entre eux, chefs des « enragés »,Vincent et Ronsin, avant été arrêtés, une députation de la Société vint les défendre à la barre de la Convention (23 décembre). Quand Camille Desmoulins essaya, dans son Vieux Cordelier, d'arrêter la Terreur, ils le désavouèrent solennellement, ainsi que Philippeaux, Bourdon (de l'Oise) et Fabre d'Eglantine (22 nivôse an II / 11 janvier 1794). Quelques jours après (30 nivôse), ils apportèrent à la barre de la Convention le coeur de Marat dans une urne et demandèrent qu'il fût fait une édition nationale des oeuvres du journaliste révolutionnaire. Bientôt ils s'attaquèrent au gouvernement de Robespierre, que Momoro bafouait publiquement, comme trop modéré. Le 14 ventôse, ils arrêtèrent de voiler d'un crêpe noir le tableau des Droits de l'homme jusqu'à ce que le peuple eût recouvré ses droits, et Hébert demanda qu'une insurrection délivrât la République de ses oppresseurs. En même temps, Carrier, revenu de Nantes, dénonçait le gouvernement à la tribune du club. Mais l'attitude ferme de la Convention et des Jacobins fit échouer ce projet: le 17 ventôse, les Cordeliers ôtèrent le voile qu'ils avaient mis sur les Droits de l'homme et Hébert expliqua, atténua ses paroles. Mais le 23 ventôse, les chefs des Cordeliers ou Hébertistes furent arrêtés : c'étaient Hébert, Momoro, Cloots, Vincent, Ronsin, Proly, Dubuisson, Pereyra, Leclerc, Desfieux et autres. Ils furent guillotinés le 4 germinal (24 mars 1794). La Société accueillit avec consternation la nouvelle de l'arrestation de ses chefs : mais elle s'agita vainement (Buchez et Roux, XXXI, 359). Puis la peur la prit : le 28 ventôse, elle envoya une députation aux Jacobins pour demander une réconciliation, une correspondance fraternelle. Les Jacobins répondirent avec hauteur qu'ils ne correspondraient avec les Cordeliers que quand ils se seraient régénérés par une épuration. Le club des Cordeliers commença à s'épurer lui-même le 4 germinal, le jour où ses chefs marchaient à l'échafaud. Mais cette épuration ne parut pas suffisante aux Jacobins qui, le 29 floréal sui vant, se refusèrent encore à correspondre avec les Cordeliers. La Société des Amis des droits de l'homme et du citoyen ne dut pas survivre longtemps à ces événements mais nous ne savons ni à quelle date ni comment elle disparut. Nous n'avons pas le registre des délibérations des Cordeliers, et ils firent imprimer fort peu de leurs arrêtés. (F.-A. Aulard). | |