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Diana Vaughan
est un personnage mythique, héroïne d'une mystification célèbre.
Lorsque Léo Taxil, après avoir dirigé une librairie
anticléricale, feignit de se convertir pour exploiter le champ plus
fructueux de la crédulité catholique, l'encyclique Humanum
genus contre la franc-maçonnerie,
du 20 avril 1884, venait de paraître. Taxil publia des livres anti-maçonniques,
pleins de fables, dont le succès fut énorme. Sa plus belle
invention fut celle de Diana Vaughan la palladiste. Une tradition d'après
laquelle « le Palladium », l'ordre le plus élevé
de la franc-maçonnerie, siégeait dans la ville de Charleston
(États-Unis), et avait été réformé vers
1886, servit de point de départ.
Sur ce thème, Taxil broda ce qui
suit le Palladium avait été fondé le ,jour où
les troupes italiennes entrèrent à Rome et mirent fin au
pouvoir temporel de la papauté (20 septembre 1870); c'était
là que Satan, le Dieu
des maçons, s'exhibait sans voiles aux chefs de la secte ; un des
principaux palladistes, nommé Vaughan, qui descendait d'un certain
Thomas Vaughan, chef des Rose-Croix, et de
Vénus-Astarté,
avait initié sa fille, miss Diana, aux secrets du palladisme; le
jour de ses vingt-cinq ans, le 8 avril 1889, cette fille s'était
fiancée au puissant démon-Asmodée,
qui avait ordonné de la sacrer grande prêtresse: mais il y
avait déjà une autre grande prêtresse, Sophia Walder,
dont l'arrière-petite-fille doit, d'après les Maçons,
donner le jour à l'Antéchrist
en 1962; une rivalité ayant éclaté entre Sophia et
Diana, celle-ci fut vaincue, parce qu'elle refusa de cracher sur une hostie
et de la percer avec un poignard; elle organisa alors une secte dissidente,
dite le « palladium régénéré ».
Le 21 mars 1895, Taxil lança le
premier numéro d'un périodique, intitulé le Palladium
régénéré et libre. Directrice, Miss Diana
Vaughan, qui contenait l'exposé du culte de Lucifer,
de soi-disant révélations mystérieuses, et des blasphèmes
sur la Vierge et sur Jésus,
de nature à exciter l'horreur des fidèles catholiques. Puis,
le publie ainsi alléché, en juin, le journal cessa de paraître
et fut remplacé par un autre : Miss Diana Vaughan. Mémoires
d'une ex-palladiste. Miss Diana y annonçait sa conversion au
catholicisme et (comme jadis Taxil lui-même)
son intention de consacrer sa vie à la réparation de ses
erreurs.
Sa conversion avait été hâtée,
disait-elle, par le fait suivant : un jour (le 6 juin) que Diana conversait
avec Belzébuth, Astaroth, Moloch
et Asmodée, elle les avait mis en fureur en refusant d'insulter
la Vierge Marie ; pour se défendre contre eux, elle avait invoqué
le secours de Jeanne d'Arc, et les démons,
prenant une forme hideuse, s'étaient enfuis. Miss Diana, menacée
par les palladistes que sa conduite avait exaspérés, était
obligée de se condamner pour le moment à une réclusion
rioureuse, dans un endroit connu seulement de quelques amis, mais elle
publierait néanmoins tous les mois, par tranches, son autobiographie.
Les Mémoires parurent, en
effet, pendant plusieurs mois et furent accueillis avec enthousiasme dans
toute la catholicité; on les traduisit aussitôt en plusieurs
langues. Les imaginations les plus fantastiques et les plus burlesques,
que Taxil et ses collaborateurs y accumulèrent avec une impudence
extraordinaire, ne se trouvèrent pas assez fortes pour éveiller
le sens critique du public spécial auquel ils s'adressaient le cardinal-vicaire
Parocchi écrivit à Diana pour la féliciter de sa conversion,
« triomphe magnifique de la Grâce », et de l'intérêt
que présentent ses Mémoires; Mgr Vicenzo Sardi, secrétaire
apostolique, écrivait que si la Providence
avait permis que Diana fit partie de la secte infâme, n'était
visiblement pour lui donner les moyens de l'écraser; en septembre1896,
la Civittà cattolica, organe des Jésuites
romains, parla de miss Diana Vaughan,
«
appelée des ténèbres à la lumière de
Dieu, employant son expérience au service de l'Église,
infatigable dans ses précieuses publications que rien n'égale
en exactitude et en utilité ».
Cependant, le bruit commençait à
courir que miss Diana Vaughan n'existait pas. Le congrès anti-maçonnique
international de Trente, où siégèrent trente-six évêques
et les délégués de cinquante autres, béni par
Léon XIII, se divisa sur cette question ; l'immense majorité
acclama Taxil, mais quelques membres (Allemands) demandèrent des
détails sur Diana : «les noms de son parrain, sa marraine
et de l'évêque qui avait autorisé sa première
communion»; une commission d'enquête fut nommée. La
plaisanterie touchait à sa fin. Cependant des paladins se présentaient
encore pour défendre Diana contre l'incrédulité montante
: le 16 octobre 1896, un des secrétaires du cardinal Parocchi écrivit
à l'illustre jeune fille
«
pour la fortifier contre la tempête de calomniés qui ne craignaient
pas de mettre en doute jusqu'à son existence »;
l'évêque de Grenoble
(Mgr. Fava) et un chanoine de Coutances,
directeur d'une revue locale, furent aussi parmi les plus obstinés.
Ils triomphèrent lorsque, dans le numéro des Mémoires
daté du 25 février1897, miss Diana annonça que, fatiguée
d'être traitée par les Francs-Maçons aux abois de personnage
mythique, elle paraîtrait au public le lundi de Pâques,
19 avril, dans la salle de la Société de géographie,
à Paris, et qu'elle y ferait une conférence avec projections
lumineuses. Le 19 avril, la foule fut immense ; on avait exigé,
à l'entrée, le dépôt des cannes et des parapluies.
Au lieu de Diana, Taxil parut. Il avoua, avec son effronterie ordinaire,
qu'il avait inventé le Palladium, Diana et tout le reste ; la véritable
Diana était une dactylographe qu'il avait à son service pour
150 F par mois. A la fin, il fut obligé de s'enfuir dans un café
voisin, et il parut bien qu'il avait été sage de confisquer
les cannes.
Pendant quelque temps, un certain nombre
de personnes ne voulurent pas consentir à s'avouer mystifiées,
et prétendirent que Taxil avait vendu Diana aux palladistes, pour
une somme colossale; mais cette hypothèse ne trouva pas de créance.
(L.).
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En
bibliothèque - Les Mémoires
de Diana Vaughan, un des grands succès de librairie du XIXe siècle,
n'ont jamais été mis à l'index. - H.C Lea, Léo
Taxil, Diana Vaughan et l'Eglise romaine; Paris. 1901, in-8. |
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