| Girart de Nevers ou Roman de la Violette est un des romans d'aventures les plus agréables du XIIIe siècle, et peut-être le plus parfait des romans de chevalerie. Ce texte, en vers de huit syllabes, fut composé par Gibert ou Gyrbert de Montreuil, , vers 1225. II est dédié à Marie, comtesse de Ponthieu, fille de Guillaume III, beau-frère de Philippe-Auguste. En voici le sujet : Le roi Louis tenant une cour plénière au Pont-de-l'Arche, Girart (ou Gérard) comte de Nevers, y chante la beauté et la fidélité de sa dame; Liziart, comte de Forest, fait le pari de séduire la belle Euriante, et le défi est accepté. Liziart se rend à Nevers, reçoit l'hospitalité chez le père d'Euriante, et fait sa déclaration : ses soupirs, son éloquence, son désespoir ne produisent aucun effet. Mais, à l'aide d'une vieille qui ne pense qu'à mal, il peut apercevoir Euriante au bain; il lui voit sur le corps un signe, une violette, et retourne à la cour, où il déclare ce qu'il a vu, comme preuve de son succès. Euriante est déclarée infidèle, malgré son innocence, et le comté de Nevers, enjeu du pari, devient la propriété de Liziart. Gérard emmène Euriante dans une forêt : il va lui trancher la tête, quand arrive un énorme serpent; il l'attaque et le tue, puis il abandonne Euriante. Cependant il veut revoir son ancien domaine; là il entend une, conversation de Liziart et de la vieille, et reconnaît l'innocence d'Euriante : il se met aussitôt à sa recherche. Il délivre une châtelaine, la belle Aigline, des persécutions du cruel Galerant, s'éloigne sans vouloir l'épouser, fait une maladie à Châlons, puis arrive à Cologne. Le lendemain, la ville est assaillie par les Saxons; Gérard y fait tant de prouesses, que les infidèles sont repoussés. Sa vaillance, sa courtoisie, sa bonne mine, lui gagnent tous les coeurs; il plaît à Aiglantine, fille du duc de Cologne, laquelle lui fait boire un philtre au moyen duquel il oublie Euriante. Pendant ce temps, celle-ci est accablée d'infortunes : une alouette lui enlève l'anneau qu'elle avait reçu de Gérard; elle repousse l'amour d'un chevalier nommé Méliatir, qui tue près d'elle, en croyant la frapper pendant la nuit, une autre femme, et qui l'accuse ensuite d'avoir commis ce crime. Gérard est sur le point d'épouser Aiglantine : mais, dans une partie de chasse, son épervier lui apporte une alouette qui avait au cou un anneau; il reconnaît l'anneau d'Euriante, et, sans revoir Aiglantine, il s'éloigne de Cologne pour chercher son amie. Il délivre en route une belle dame, et la rend à son époux. Puis il tue en combat singulier le géant Brudigolans. Enfin, il rencontre une compagnie de chevaliers qu'il accompagne à Miès, et, ayant appris l'histoire d'Euriante, déclare qu'il sera son champion contre quiconque osera l'accuser d'avoir commis le meurtre: Méliatir, obligé d'accepter le combat, est vaincu, et confesse son crime. Enfin, après avoir remporté le prix dans un tournoi à Montargis contre le comte de Forest, Gérard se présente devant le roi, accuse Liziart de mensonge et de trahison envers Euriante, et le défie en combat singulier : le roi ordonne que cette querelle soit vidée le jour de la Pentecôte, en présence de toute la cour. Liziart vaincu avoue son crime; le roi le fait attacher à la queue d'un cheval, puis pendre à un arbre; la vieille est bouillie dans une chaudière, et Gérard épouse Euriante. Chevalier joutant. L'action, ingénieusement conçue, s'expose clairement, se noue et se dénoue avec facilité, et emprunte une grâce toujours nouvelle du récit, qui n'est jamais interrompu par des lieux communs amoureux ou théologiques. On y trouve d'admirables tableaux d'histoire et de genre, des descriptions de combats, de tournois, de repas, de costumes, d'armes, et, en général, des peintures de moeurs à la manière d'Homère. Le sujet de ce roman n'est point historique: aucun comte de Nevers ne s'est appelé Gérard, et il n'a jamais existé un comte de Forez du nom de Liziart. Quant au roi Louis dont il est question ici. Paulin Paris y a vu Louis le Débonnaire; Francisque Michel plutôt Louis VIII, et a fondé cette assertion sur ce que le roi tient sa cour plénière à Pont-de-l'Arche, qui ne fut pas réuni à la couronne avant 1204. Cette observation ne nous paraît pas avoir une grande valeur dans un poème qui est tout d'imagination, et qui nous reporte aux guerres contre les Saxons, au siège de Cologne, avec un autre dénouement, mais avec les mêmes détails et les mêmes noms que dans le poème de Witikind. La traduction en prose (XVe siècle) de ce roman place l'action sous le règne de Louis le Gros. Les imitations du roman de la Violette sont fort nombreuses. Il existe un roman en prose Dou roi Flore et de la biele Jehane, dont le sujet est au fond le même, et dont le style paraît être des premières années du XIIIe siècle; peut-être a-t-il précédé le poème de Gibert de Montreuil. Un autre roman en vers du XIIIe siècle est intitulé le Comte de Poitiers : l'action se passe sous le règne de Pépin; elle est la même que dans le roman de la Violette. Enfin nous trouvons encore une imitation du même sujet dans un manuscrit du XIVe siècle ainsi intitulé : Cy commence.j. miracle de Nostre-Dame, coment Ostes, roy d'Espaigne, perdi sa terre pour gagier contre Bérengier, qui le tray et Il fist faux entendre de sa femme, en la bonté de laquelle Ostes se fioit, et depuis le destruit Ostes en champ de bataille. Boccace, dans la 2e journée du Décaméron, et Shakespeare, dans Cymbeline, ont aussi imité le roman de la Violette. Ce roman fut traduit en prose au XVe siècle par un anonyme : il existe deux éditions anciennes de cette traduction, l'une de 1520, l'autre de 1526. Le roman en prose a été traduit en allemand par Mme Helmina de Chézy, Leipzig, 1804. Ce sujet fut représenté sur la scène française en 1810, au Cirque Olympique. Mme de Chézy écrivit en vers allemands un grand opéra en trois actes, intitulé Euryanthe, dont la musique fut, faite par Weber (Vienne, 1823); son poème ne rappelle en aucune manière l'aventure de la Violette : aussi Castil-Blaze le refit-il complètement, quand il traduisit l'oeuvre de Weber pour l'Académie royale de Musique (Paris, 1831). Déjà, en 1828, le théâtre de l'Opéra-Comique avait donné une pièce en trois actes, intitulée la Violette, paroles de Planard, musique de Carafa; mais ce n'était qu'une, imitation éloignée et assez ridicule du poème original. (H. D.).
| En bibliothèque - Le roman de la Violette a été publié par Francisque Michel, Paris, 1834; celui Dou roi Flore et de la biele Jehane, 1859; le Comte de Poitiers; 1831. | | |