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Oedipe, de Corneille

Oedipe est une tragédie de Corneille, représentée pour la première fois en 1659. L'échec de Pertharite, en 1652 avait découragé Corneille. Il y avait vu un avertissement de « sonner la retraite ». Toutefois un long silence de sept années fut enfin rompu sur les instances du surintendant Fouquet, qui proposa à Corneille trois sujets au choix. Le poète s'arrêta à la fable d'Oedipe. Pressé par le temps, - il composa, dit-il, sa tragédie en deux mois, - il eut d'abord l'intention de s'en tenir à une imitation de l'Oedipe Roi de Sophocle et de la pièce que Sénèque a faite sur le même sujet. Malheureusement il changea bientôt d'avis et crut bien faire en inventant une intrigue amoureuse, ce qu'il appelle lui-même «-l'onéreux épisode des amours de Thésée et de Dircé ».

Dircé, fille de Laïus et de Jocaste, est aimée de Thésée; mais Oedipe s'oppose au mariage tant que la peste ravagera Thèbes; d'ailleurs il craint de voir Dircé mariée revendiquer ses droits à la couronne. Cependant l'oracle de Delphes, consulté sur les causes de la peste, est resté muet; mais l'ombre de Laïus a fait entendre ces paroles-:

« Un grand crime impuni cause votre misère; 
Par le sang de ma race il se doit effacer :
Mais, à moins que de le verser,
Le ciel ne se peut satisfaire ;
Et la fin de vos maux ne se fera point voir
Que mon sang n'ait fait son devoir (II, III). »
Dircé croit se reconnaître dans ce sang à verser et se soumet courageusement au destin, malgré les efforts de  Thésée, de Dircé, de Jocaste et d'Oedipe lui-même pour l'en détourner. Toutefois le sacrifice est différé de quelques jours : on veut consulter encore une fois l'oracle.

Sur ces entrefaites, le devin Tirésias révèle à Oedipe que le fils de Laïus, maudit d'avance par les dieux, existe encore; il faut donc retrouver Phorbas, le vieux serviteur qui fut chargé d'exposer l'enfant sur le Cithéron. Mais Thésée accourt précipitamment et annonce à Jocaste qu'il est ce fils de Laïus; ce n'est là qu'une feinte pour mourir à la place de Dircé, et qui d'ailleurs ne réussit pas.

Mais Phorbas est arrivé : il connaît l'homme qui a tué Laïus et son compagnon dans un défilé de Phocide, et ce n'est point Thésée; il hésite et se trouble quand il voit entrer Oedipe, qui se dénonce lui-même sans s'en douter.

Accusé par la rumeur publique d'être la cause des malheurs de Thèbes et d'avoir obtenu des devins la mort de Dircé, il veut retourner à Corinthe, sa patrie. A ce moment survient Iphicrate, l'ambassadeur de Corinthe, qui lui annonce la mort du roi Polybe, que jusquelà Oedipe avait cru son père. Aux questions du roi, Iphicrate répond qu'il l'a trouvé lui-même au moment où un Thébain l'exposait aux vautours sur le mont Cithéron (a. V, sc. III-IV).

OEDIPE.
Ah! que vous me frappez par ce funeste nom! 
Le temps, le lieu, l'oracle, et l'âge de la reine, 
Tout semble concerté pour me mettre à la gêne. 
Dieux! serait-il possible? Approchez-vous, Phorbas.

IPHICRATE.
Seigneur, voilà celui qui vous mit en mes bras; 
Permettez qu'à vos yeux je montre un peu de joie
(A Phorbas).
Se peut-il faire, ami, qu'encor je te revoie!

PHORBAS.
Que j'ai lieu de bénir ton retour fortuné! 
Qu'as-tu fait de l'enfant que je t'avais donné?
Le généreux Thésée a fait gloire de l'être;
Mais sa preuve est obscure, et tu dois le connaître :
Parle.

IPHICRATE.
Ce n'est point lui; mais il vit en ces lieux.

PHORBAS.
Nommez-le donc, de grâce.

IPHICRATE.
Il est devant tes yeux.

PHORBAS.
Je ne vois que le roi.

IPHICRATE.
C'est lui-même.

PHORBAS.
Lui-même!

IPHICRATE.
Oui : le secret n'est plus d'une importance extrême; 
Tout Corinthe le sait. Nomme-lui ses parents.

PHORBAS.
En fussions-nous tous trois à jamais ignorants!

IPHICRATE.
Seigneur, lui seul enfin peut dire qui vous êtes.

OEDIPE.
Hélas! je le vois trop, et vos craintes secrètes, 
Qui vous ont empêché de vous entr'éclaircir, 
Loin de tromper l'oracle, ont fait tout réussir.
Voyez où m'a plongé votre fausse prudence. 
Vous cachiez ma retraite, il cachait ma naissance, 
Vos dangereux secrets par un commun accord 
M'ont livré tout entier aux rigueurs de mon sort. 
Ce sont eux qui m'ont fait l'assassin de mon père, 
Ce sont eux qui m'ont fait le mari de ma mère. 
D'une indigne pitié le fatal contretemps 
Confond dans mes vertus ces forfaits éclatants 
Elle fait voir en moi, par un mélange infâme,
Le frère de mes fils et le fils de ma femme. 
Le ciel l'avait prédit, vous avez achevé, 
Et vous avez tout fait quand vous m'avez sauvé.

Devant l'évidence, Oedipe ne peut douter de l'accomplissement des oracles : désespéré, il se crève les yeux; la reine Jocaste et Phorbas se poignardent, et la peste cesse tout à coup ses ravages. Cependant Dircé et Thésée ajournent leur union à des temps meilleurs.

La tragédie d'Oedipe eut un très grand succès à la représentation. Tout Paris y courut; le roi lui-même voulut la voir et témoigna sa satisfaction par des gratifications : 

« Le roi s'en satisfit assez pour me faire recevoir des marques solides de son approbation par des libéralités (Examen). »
Ce sucès se prolongea longtemps et la tragédie de Corneille ne fut détrônée qu'en 1718 par l'Oedipe de Voltaire. Elle n'est cependant pas digne de l'auteur du Cid; malgré quelques traits vraiment cornéliens, le style rappelle trop souvent celui des précieuses, à tel point que Somaize y prit des exemples pour son Grand Dictionnaire des Précieuses, publié en 1661. A partir de ce moment, ce n'est plus que par intervalles que nous retrouverons le noble et pur langage du grand Corneille. (H. Clouard).
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