| Le Préteur et sa femme (ou le Banquier et sa femme ou les Changeurs)est un tableau de Quentin Metsys, au Louvre. Les deux personnages sont assis de face, derrière une table recouverte d'un tapis vert. Le banquier, à gauche, vêtu d'une robe bleue à col et manches de fourrure, d'où dépassent les poignets rougeâtres d'un vêtement de dessous, la tête coiffée d'un chaperon noir, compte des pièces d'or qu'il vient de peser au trébuchet. A droite, sa femme, vêtue d'une robe rouge bordée de fourrure grise, un chapeau violacé avec une coiffe blanche sur sa tête, se penche vers son mari et le regarde faire, tout en retournant les pages d'un missel richement enluminé. Sur la table, à gauche, un ciboire de cristal et d'orfèvrerie, un sachet de velours noir rempli de perles et un petit miroir circulaire dans lequel se reflète un homme, en buste, coiffé d'un chaperon rouge, lisant près d'une fenêtre, ouverte sur une vue de ville. (Serait peut-être le portrait du peintre lui-même?) Au fond, contre la muraille, des rayons portant divers objets : papiers, livres carafe, balance, une pomme contre un plat d'étain. A l'extrémité de la planche supérieure, à droite, un rouleau de papier sur lequel on lit : Quentin Matsys, Schilder, 1514. .-.- Le Préteur et sa femme, par Quentin Metsys. Acheté en 1806 pour 1800 francs du sieur Marivaux, ce tableau était au XVIIe siècle dans la collection de l'amateur anversois Pierre Stevens, et une description assez exacte nous en a été conservée, à cette époque, dans le livre précieux de Fornenbergh, édité en 1658 à la gloire de Quentin Metsys. Mention en est faite aussi en 1682 dans l'inventaire manuscrit du marchand d'Amsterdam Diego Duarte. Il est curieux de noter que le Préteur et sa femme figurent avec un portrait par Quentin Metsys (le n° 113 de l'Institut Staedel à Francfort-sur-le-Mein) dans une peinture de Willem Van Haecht, l'Atelier d'Apelles, aujourd'hui au Mauritshuys de La Haye et qui fut sans doute exécutée entre 1626 et 1637. Metsys s'est probablement inspiré d'un modèle déjà ancien, peut-être dû à Jan Van Eyck. Celui-ci, en tout cas, fournit à notre peintre le thème de ses natures mortes, de ses planches garnies d'objets. L'intérieur nous rappelle étrangement la boutique d'orfèvre dans le Saint Eloi de Peter Christus et l'on sait que ce dernier a dû l'emprunter à son génial prédécesseur. Mais, chez Christus le sujet de sainteté subsiste et reste même l'objet principal; dans les Banquiers du Louvre il a complètement disparu voilà une caractéristique que nous retrouverons dans toute l'oeuvre de Quentin Metsys : le désir de substituer la réalité à la piété. La tendance au tableau profane semble assez rare au XVe siècle; de cette époque presque aucune production de ce genre ne nous est parvenue et d'anciens textes seuls nous parlent d'une chasse à la loutre de Van Eyck et d'un bain de femmes de Van der Weyden. Ce goût, au contraire, se développera étrangement par l'art de Quentin Metsys. Le peintre d'Anvers, en effet, cherchera bien moins que ses prédécesseurs à édifier ou à commémorer; il s'efforcera simplement de copier la vie parce que la vie est bonne, que les êtres et les objets caressés par la lumière sont beaux. C'est l'irruption du monde extérieur dans la peinture, non plus comme accessoire et comme ornement d'un objet de piété, mais comme sujet principal; c'est le triomphe de l'Humanisme. Les Prêteurs eurent un immense succès : les nombreuses copies ou répliques, plus ou moins fidèles, en témoignent. Ce sont ces tableaux, et d'autres analogues, que Fornenbergh attribue aussi à Metsys,qui inspirèrent pour la plus grande part les Van Hemessen, les Pieter Aertsen, les vrais fondateurs de la peinture de moeurs et de nature morte aux Pays-Bas. On sait quelle devait être, au XVIIe siècle, la fortune de ces deux genres. (E. Michel). | |