Alfred Jarry

Jarry grandit dans une famille de petits bourgeois. Élève brillant mais fantasque, il manifeste dès ses jeunes années un goût pour la satire et l'ironie. Au lycée de Rennes, il commence à rédiger des écrits parodiques avec quelques amis, et c'est là qu'il développe l'idée de Père Ubu, un personnage inspiré par un de ses professeurs de physique, M. Hébert. Ce personnage, d'abord conçu comme une blague scolaire, deviendra le protagoniste de sa célèbre pièce Ubu roi. En 1896, Jarry monte pour la première fois la pièce Ubu roi au Théâtre de l'Oeuvre à Paris. Ubu roi est une satire acerbe de l'autoritarisme, de la bêtise humaine et de la brutalité du pouvoir. La pièce est à la fois critiquée et admirée, et bien qu'elle choque le public de l'époque, elle laisse une marque durable sur le théâtre en France.

• Ubu roi est une oeuvre est provocante et satirique, et elle est centrée sur le personnage grotesque de Père Ubu, un tyran démesurément avide et brutal. Jarry utilise Ubu roi pour critiquer la corruption, la cupidité, et la stupidité des pouvoirs politiques de son époque. La pièce choque autant par son langage grossier que par son ton caricatural, ce qui la rend radicale pour la fin du XIX^e siècle.

La pièce a été initialement jouée au Théâtre de l'Oeuvre à Paris et a suscité un scandale dès la première représentation. Le mot d'ouverture, "Merdre!", un juron inventé par Jarry, a choqué le public et donné le ton de l'oeuvre. Cette exclamation marque le style irrévérencieux et burlesque de l'oeuvre, visant à défier les normes littéraires et sociales. Dans Ubu roi, Père Ubu, encouragé par sa femme, Mère Ubu, décide de renverser le roi Venceslas de Pologne pour s'emparer du trône. En accédant au pouvoir, il mène un règne de terreur, se montrant cruel, capricieux, et avide de pouvoir. Mais son incompétence et sa tyrannie lui attirent l'hostilité de ses sujets et de ses anciens alliés. L'histoire se termine par une bataille chaotique, où Père Ubu est chassé de Pologne et s'enfuit.

Père Ubu est un personnage fondamentalement ridicule et abject, dont la caricature représente les traits les plus négatifs de l'humanité : la lâcheté, la cruauté, et l'avidité. Sa personnalité grotesque est amplifiée par un langage vulgaire et absurde, qui rend son règne aussi tragique que comique. Le style de Jarry, mélange de burlesque et de grotesque, rompt avec le théâtre traditionnel de l'époque. Ubu roi est rempli de scènes absurdes, de non-sens, et de dialogues invraisemblables. Ce style a inspiré de nombreux mouvements littéraires et artistiques, comme le dadaïsme et le surréalisme, et a ouvert la voie au théâtre de l'absurde d'auteurs comme Eugène Ionesco et Samuel Beckett.

Outre Ubu roi, Jarry publie plusieurs autres oeuvres notables, tournées toujours vers l'absurde et la satire, notamment :

• Ubu cocu (1897). - Ubu cocu, sous-titré Almanach du Père Ubu, est une oeuvre inachevée où Jarry contue d'approfondier le personnage d'Ubu. Ici, Jarry décrit la paranoïa d'Ubu qui, obsédé par la possibilité d'être trompé, devient encore plus ridicule et pathétique. Contrairement à Ubu roi, Ubu cocu n'a pas de véritable intrigue et s'apparente davantage à une série de sketches absurdes qui dépeignent la bêtise humaine et l'hypocrisie sociale. La pièce joue sur le grotesque du langage et du caractère d'Ubu, réaffirmant l'antihéros comme une figure de l'absurdité totale.

• Ubu enchaîné (1900). - Ubu enchaîné est une suite à Ubu roi, où Père Ubu choisit paradoxalement la servitude comme moyen de rébellion contre les attentes de la société. Ubu décide volontairement de devenir esclave, espérant ainsi dominer en acceptant les conditions les plus basses. La pièce aborde les thèmes de la liberté, de l'asservissement et de la satire du pouvoir sous une forme ironique. L'histoire tourne en dérision les structures de pouvoir en jouant sur les absurdités du langage et de l'autorité. Ubu enchaîné reflète les idées de rébellion propres à Jarry, qui voit dans l'asservissement volontaire une manière de subvertir les normes sociales.

• Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien (écrit en 1898, publié en 1911). - L'un des textes fondateurs de la pataphysique. Jarry expose la pataphysique, qu'il définit comme la "science des solutions imaginaires". Ce texte raconte les aventures du docteur Faustroll, un personnage qui représente la pensée libre et l'absurde. Faustroll, avec ses compagnons, parcourt des paysages imaginaires, où il examine des idées scientifiques et philosophiques poussées jusqu'à leur extrême absurde. La pataphysique devient ainsi une manière pour Jarry de tourner en dérision les explications rationnelles du monde, tout en questionnant les limites de la science et de la logique. Ce texte, riche en symboles et en non-sens, est  considéré comme le manifeste de la pataphysique, inspirant des générations d'artistes et de penseurs.

 â€¢ Le Surmâle (1902). - Un roman qui traite de la modernité et des limites du corps humain à travers le personnage du Surmâle, un être d'une endurance et d'une force physique sans limite. Le Surmâle participe à une course, sur un tandem, contre un train, démontrant ainsi la supériorité physique de l'homme face aux machines. La fiction examine le thème de la technologie et de la science, en anticipant le transhumanisme et en dénonçant l'obsession pour la performance et la surhumanité. Ce roman satirique aborde des thèmes comme l'érotisme, le surpassement, et le paradoxe de la machine humaine, en poussant les personnages dans des situations de plus en plus absurdes.

Les dernières années de Jarry sont marquées par des problèmes de santé croissants, exacerbés par son mode de vie excessif et son alcoolisme. Il vit dans une pauvreté extrême, refusant d'abandonner son personnage provocateur et marginal. En 1907, sa santé se détériore rapidement, et il meurt de complications liées à une tuberculose et à la malnutrition, à l'âge de 34 ans.