| Le Menteur est une comédie en cinq actes et en vers, de P. Corneille, jouée au théâtre du Marais dans l'hiver de 1643-1644. Le sujet : Dorante, jeune étudiant frais débarqué de Poitiers à Paris, rencontre Clarice et Lucrèce à Paris et pense les éblouir par le récit tout imaginaire de ses campagnes en Allemagne. Il s'attire un duel avec son ami Alcippe pour s'être vanté gratuitement d'être l'auteur d'une galante collation donnée sur l'eau. Pour détourner son père Géronte de le marier, il invente l'histoire romanesque d'un mariage qu'il a été forcé de conclure à Poitiers. Représentée un peu après Pompée, la comédie eut un très vif succès. Cliton le dit dans la Suite du Menteur. La pièce a réussi, quoique faible de style, Et d'un nouveau proverbe elle enrichit la ville, De sorte qu'aujourd'hui presque en tous les quartiers, On dit, quand quelqu'un ment, qu'il revient de Poitiers. Cette pièce, imitée de la Verdad sospechosa (la Vérité suspecte) d'Alarcon [1625] (et non du « fameux Lope de Vega » comme le crut d'abord Corneille), est une comédie à quiproquos, mais aussi une comédie de caractère les situations comiques résultent du défaut du personnage principal, qui, d'ailleurs, est moins un menteur qu'un hâbleur. Corneille a transporté la scène espagnole aux Tuileries et place Royale, serrant du reste, de fort près l'original, de sorte qu'il n'y a pas une scène importante, un beau vers, une expression énergique qu'il n'ait fait passer en français avec un rare bonheur. Il a traduit jusqu'à ce quiproquo tout espagnol où Dorante (le Menteur) prend Lucrèce pour Clarisse, et jusqu'à cette fête sur l'eau, bien à sa place en Espagne, un peu dépaysée à Poitiers, où Dorante place le récit de la fête. - Jodelet dans Le Menteur. - L'estampe donne bien l'idée du valet au gros nez et à la figure enfarinée dont la voix nasillarde faisait tant rire le parterre. La pièce du Menteur, où il jouait le rôle du valet Cliton, eut un tel succès, qu'on appela ensuite Jodelet : le valet du Menteur. | Ce qui fit du Menteur quelque chose de tout nouveau dans l'histoire de la comédie en France, c'est le plaisant, un air de noblesse inconnu jusque-là sur la scène comique, et aussi la franchise honnête, le naturel et la vivacité de l'intrigue et du dialogue. La pièce sera suivie de la Suite du Menteur, tirée bien cette fois de Lope de Vega. ACTE Ier. - Le jeune Dorante, se promenant aux Tuileries avec son valet Cliton, rencontre deux jeunes femmes, Clarice et Lucrèce, engage la conversation, feint d'être amoureux de Clarice depuis plus d'un art, vante ses exploits imaginaires en Allemagne, etc. Il les quitte enfin, tandis que Cliton revient de faire parler leur cocher. ACTE Il. - Géronte, père de Dorante, ayant dessein de le marier à Clarice, promet à la jeune fille d'amener son fils sous sa fenêtre. D'autre part celle-ci s'arrange pour s'entretenir avec lui, le soir venu, sous lenom de Lucrèce. Pendant ce temps, Dorante, voulant éviter ce mariage,. déclare à son père qu'il s'est marié à Poitiers. ACTE III. - Fureur de Clarice, qui, voyant de sa fenêtre Dorante avec Géronte reconnaît le cavalier des Tuileries et comprend la fourberie; son indignation lorsque Dorante, croyant toujours qu'elle se nomme Lucrèce et l'entretenant sous son balcon, lui jure qu'il n'aime que Lucrèce. ACTE IV. - Nouveaux mensonges de Dorante, nécessités par les premiers. Échange de billets entre Lucrèce et Clarice. Scène de jalousie entre Clarice et Lucrèce. ACTE V. - Géronte, apprenant tout, fait éclater son indignation; et Dorante s'excuse en avouant qu'il aime Lucrèce. Son père demande donc la main de la jeune fille pour Dorante. Le jeune homme, après une déclaration passionnée à Clarice, dont celle-ci s'indigne, fait soudain volte-face et jure n'avoir jamais aimé que la véritable Lucrèce. Ce dénoue-ment forcé est préparé au cours du dernier acte. Outre le personnage de Dorante, qui est soutenu avec beaucoup d'art, on remarque les rôles accessoires : celui du valet, esprit naïf; ceux des maîtresses, femmes qui se connaissent en finesse; celui du bonhomme Géronte. D'ailleurs, il règne dans cette pièce un air de noblesse et un genre de comique inconnu sur la scène française jusqu'à Corneille. C'est au Menteur que Molière a dû la révélation de son génie. Et, suivant la remarque de Voltaire, « il est impossible, en effet, que l'inimitable Molière ait vu cette pièce sans voir tout d'un coup la prodigieuse supériorité que ce genre a sur tous les autres et sans s'y livrer entièrement. Il y a autant de distance de Mélite au Menteur que de toutes les comédies de ce temps-là à Mélite ainsi Corneille a réformé la scène tragique et la scène comique par d'heureuses imitations. » Corneille n'a songé qu'à plaire, et il y a parfaitement réussi. Dans l'examen de sa pièce, il avoue que, si le vice doit être puni et la vertu récompensée au dénouemeut d'une fable dramatique, il a failli... Mais son Menteur n'est au fond qu'un jeune fou, dont les pa- roles ont l'air d'être des gasconnades plutôt que des impostures. « Le caractère du Menteur, de Dorante, dit Geruzez, est tracé de main de maître; il y a dans ses hâbleries une verve, une bonne gràce de jeunesse qui entraîne, et les incidents qu'amène cette manie de son esprit s'enchaînent avec tant de vivacité et de naturel, que cette image d'un travers qui côtoie le vice devient un véritable enchantement. Personne avant Corneille n'avait donné à la versification française cette allure dégagée, cette prestesse de mouve ment qui répond à tous les caprices d'une conversation spirituelle et enjouée. Ce n'est pas à l'hôtel de Rambouillet qu'il avait trouvé le modèle de ces entretiens sans apprêt, de ces plaisanteries sans affectation, de ces saillies si promptes et si nettes. » Vers du Menteur fréquemment cités : Je disais vérité. Quand un menteur la dit, En passant par sa bouche elle perd son crédit. (III, VI). Les gens que vous tuez se portent assez bien. (IV, II). Quelques vers sont même devenus proverbes : La façon de donner vaut mieux que ce qu'on donne. (I,I). Si quelqu'un l'entend mieux, je l'irai dire à Rome. (V,V). Goldoni a imité le Menteur dans son Bugiardo (1750). | |