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La
phonologie
est une branche de la linguistique qui étudie les sons utilisés dans
le langage humain, en se concentrant sur la façon dont les sons fonctionnent
et sont organisés dans une langue spécifique pour former des mots et
des phrases. Elle examine également comment les sons varient selon le
contexte linguistique et comment les locuteurs les perçoivent et les produisent.
La phonologie s'intéresse notamment aux phonèmes, qui sont les unités
de son distinctives dans une langue, ainsi qu'aux règles qui régissent
leur distribution et leur variation. En bref, la phonologie cherche Ã
comprendre la structure sonore des langues.
Les concepts clés
de la phonologie
Phonèmes.
Le phonème est
l'unité de son distinctive dans une langue. Chaque langue a un ensemble
spécifique de phonèmes qui sont utilisés pour former des mots et des
phrases. Il représente une classe de sons qui, s'ils sont échangés dans
un mot, peuvent produire un changement de sens. Par exemple, en français,
les sons /p/, /b/, et /t/ sont des phonèmes distincts car ils peuvent
changer le sens d'un mot (comme dans pas vs bas vs cat).
Allophones.
Les allophones sont
les variantes phonétiques d'un phonème qui se produisent dans des contextes
spécifiques. Ils ne changent pas le sens d'un mot, mais peuvent varier
en fonction de facteurs tels que la position dans le mot ou les sons environnants.
Syllabes.
Une syllabe est
une unité phonologique qui se compose généralement d'une voyelle (ou
d'un noyau vocalique) et de sons qui l'entourent (comme des consonnes).
Accent
et intonation.
L'accent fait référence
à l'accentuation particulière donnée à certaines syllabes dans un mot
ou une phrase, tandis que l'intonation concerne les variations de hauteur
et de ton dans la parole qui contribuent à la signification et à l'expressivité.
Voici les principaux
symboles et notations utilisés :
Symboles de base.
La phonologie recourt
à un ensemble de symboles et de notations standardisés qui permettent
de représenter de manière concise et précise les transformations phonétiques
et phonologiques de manière systématique et de les appliquer à l'analyse
de différentes langues.
Segments
phonétiques.
La phonologie utilise
les symboles de l'Alphabet phonétique
international (API) pour représenter les sons individuels. Par exemple,
/p/, /t/, /k/ pour les consonnes ; /i/, /e/, /a/ pour les voyelles.
Variables
et classes naturelles : C pour toute consonne; V pour toute
voyelle; N pour toute nasale; L pour toute liquide; S
pour toute sibilante; D pour toute occlusive (ou stop).
Notations
formelles
Les barres obliques
(/ /) encadrent des représentations phonémiques.
Par exemple,
/s/ encadre la représentation phonémique du son "s".
Les crochets ([ ])
sont utilisés pour décrire les traits phonétiques ou les segments réalisés.
Par exemple,
[âˆ'voisé] pour indiquer une consonne non voisée.
La flèche (â†')
indique la transformation, la réalisation ou le changement.
Par exemple,
/p/ â†' [b] signifie que /p/ se transforme en [b].
Le slash (/)
et l'underscore (_) indiquent le contexte de la transformation.
/_
indique que la transformation se produit avant un certain contexte.
_/ indique
que la transformation se produit après un certain contexte.
_ indique
la position de l'élément transformé par rapport au contexte.
Par exemple,
/n/ â†' [m] / _[p] signifie que /n/ devient [m] avant [p].
Les parenthèses (
) indiquent des éléments optionnels.
Par exemple,
/t/ â†' [ɾ] / V_(C)V signifie que /t/ devient [ɾ] entre deux voyelles,
où (C) est une consonne optionnelle.
Les accolades { }
sont utilisées pour indiquer des choix parmi plusieurs options.
Par exemple,
/p/ â†' [b] / {V, #}_ indique que /p/ devient [b] soit après une voyelle,
soit en début de mot.
Les diacritiques sont
utilisés pour spécifier des traits particuliers.
Par exemple,
[Ê°] pour l'aspiration, [Ë] pour la longueur.
L'asterisque (*)
est utilisé pour marquer une forme impossible ou non attestée.
Par exemple,
*[bnik] indique une séquence impossible dans une langue donnée.
Réalisation des
phonèmes.
La manière dont
un phonème abstrait est concrètement prononcé ou articulé dans la parole
est appelé réalisation du phonème. Les différentes façons dont
un phonème donné est réalisé sont applelées ses allophones. Cette
variabilité peut être due à des contextes phonétiques, des accents
régionaux, ou des idiosyncrasies individuelles, et n'entraîne pas de
changement de sens du mot.
Exemples de réalisation
de phonèmes :
Le
phonème /n/ en français peut être nasalé ou dénasalisé selon le contexte
et l'accent régional.
[n] : standard,
comme dans "non" [nɔ̃].
[ŋ] : assimilé
avant une consonne vélaire, comme dans "oncle" [ɔ̃ŋkl].
Le
phonème /t/ en anglais peut être réalisé de différentes manières
selon le contexte :
[tÊ°] :
aspiro-hué en début de mot, comme dans "top" [tʰɑp].
[t] : non-aspiré
après /s/, comme dans "stop" [stɑp].
[ɾ] : battu entre
voyelles, comme dans "butter" [ˈbʌɾɚ].
[t̚] : non relâché
en fin de mot, comme dans "cat" [kæt̚].
Variabilité
et conditionnement.
La réalisation
des phonèmes peut être influencée par plusieurs facteurs :
• Position
dans le mot : par exemple, /t/ en anglais est aspiré en début de
mot mais non aspiré après /s/.
• Environnement
phonétique : les sons voisins peuvent influencer la réalisation du
phonème. En français, le /n/ peut devenir [ŋ] avant une consonne vélaire
comme /k/ ou /g/.
• Accent régional
ou sociolecte : les locuteurs de différentes régions ou groupes sociaux
peuvent réaliser les mêmes phonèmes de manière légèrement différente.
Par exemple, le /Ê/ peut être réalisé comme [Ê], [χ], [r], ou [ɾ]
selon les régions francophones ( V. plus bas, la distribution des phonèmes).
Processus et règles
phonologiques.
Les
processus
phonologiques sont des phénomènes observables qui se produisent lors
de la production et de la perception des sons de la parole. Ils correspondent
auxmodifications que subissent les sons dans différents contextes linguistiques.
Ces processus sont souvent universels ou très répandus parmi les langues
du monde.
Les descriptions
formelles et systématiques de ces processus sont appelées règles
phonologiques. Ces règles sont utilisées par les linguistes pour
modéliser et expliquer comment les sons se transforment en fonction des
contextes linguistiques spécifiques. Elles sont souvent formulées de
manière abstraite (en utilisant notamment les symboles et les notations
que l'on vient de voir) pour indiquer les conditions dans lesquelles les
changements se produisent.
Quelques exemples
:
Assimilation.
L'assimilation est
le processus par lequel un son d evient plus similaire à un son adjacent
ou proche dans le même mot. Cela se produit souvent pour faciliter la
prononciation en rendant la transition entre les sons plus fluide.L'assimilation
est très courante dans les processus d'évolution phonétique et
dans la coarticulation en discours rapide. Types d'assimilation, parmi
d'autres :
• Assimilation
régressive. - Un son influence le son qui le précède. Par exemple,
en anglais, input peut être prononcé [ˈɪmpʊt], où le /n/ devient
[m]) sous l'influence du /p/ suivant. En français, le mot anecdote
sera prononcé [anɛgdɔt] plutôt que [anɛkdɔt]; le son /k/ devient
[g] sous l'influence du son suivant /d/. ( /n/ â†' [Å‹] avant /k/ ou
/g/.)
• Assimilation
progressive. - Un son influence le son qui le suit. Par exemple, en
anglais, dogs se prononce [dɔɡz], où le /s/ devient [z] sous
l'influence du /ɡ/ précédent.
Dissimilation.
À l'inverse de
l'assimilation, la dissimilation se produit lorsque deux sons similaires
deviennent moins similaires ou différents sous l'influence l'un de l'autre
pour éviter la répétition et faciliter la prononciation. Exemples de
dissimilation : en latin, le mot peregrinus (= étranger) est devenu
pèlerin
en français, où le /r/ initial a dissimilé le /r/ médial, simplifiant
ainsi la prononciation; en anglais, fifth peut parfois être prononcé
/fɪθ/ plutôt que /fɪfθ/ pour éviter la répétition du son /f/.
Élision.
L'élision (délétion)
est le processus par lequel un son est omis dans la prononciation d'un
mot. Exemples : En anglais, dans certains dialectes, le /t/ final
est parfois supprimé, comme dans next prononcé [nɛks]. En français
(où l'élision d'une voyelle est signalée par l'apostrophe), cela survient
de façon régulière pour éviter un hiatus entre deux voyelles (par exemple,
on aura l'arbre, plutôt que « le arbre »); dans le registre familier
ou un contexte informel, l'élision (d'une voyelle ou d'une syllabe) peut
être un moyen de fluidifier la prononciation (par exemple, on dira
: « je sais pas » ou « j'ne sais pas »
ou encore « j'sais pas », plutôt que je ne sais pas).
Épenthèse.
Le
processus d'épenthèse consiste à insérer un son, généralement une
voyelle, dans un mot. Par exemple, en français, dans certains accents
du Midi, le mot film peut être prononcé avec une voyelle ajoutée,
devenant "filme". En anglais, certains locuteurs peuvent prononcer athlete
comme /æθəˌliËt/.
Palatalisation.
La palatalisation
est la transformation d'un son pour devenir plus proche des articulations
palatales. Par exemple, en russe, le son /t/ devient [tʲ] devant une voyelle
palatale, comme dans "Ñ‚Ñжёлый" (= lourd) prononcé [ˈtʲæÊɨljɪj].
Métathèse.
La métathèse est
le réarrangement des sons dans un mot. Deux sons ou groupes de sons dans
un mot échangent leurs positions. Cela peut se produire de manière régulière
ou comme une variation dialectale ou historique. Par exemple, en anglais,
le mot ask a subi une métathèse historique pour devenir aks
dans certains dialectes. En français, le mot parler vient du latin
parabolare,
où les sons /l/ et /r/ ont échangé leur position.
Neutralisation.
Le processus de
neutralisation se produit lorsque deux phonèmes distinctifs se confondent
dans certaines positions linguistiques. On y reviendra plus loin.
Phonologie structurale
Le structuralisme en
phonologie a été largement influencé par les travaux de linguistes comme
Ferdinand de Saussure et les membres de l'École
de Prague, notamment Roman Jakobson et Nikolai Trubetzkoy. La phonologie
structurale a jeté les bases de l'étude systématique des sons dans les
langues, en mettant l'accent sur les structures et les relations internes
des systèmes phonologiques. Ses concepts continuent d'influencer la linguistique
contemporaine, y compris les approches plus récentes comme la phonologie
générative et la phonétique expérimentale.
Principes de base
de la phonologie structurale
Pour la phonologie
structurale, chaque phonème peut être analysé en termes de traits distinctifs,
qui sont des caractéristiques phonétiques telles que la voisement, le
lieu d'articulation, et le mode d'articulation. Ces traits permettent de
décrire les différences et les similitudes entre les phonèmes. Les phonèmes
sont étudiés en fonction de leur distribution dans les mots. On examine
où ils peuvent apparaître (par exemple, en début, en milieu ou en fin
de mot) et avec quels autres sons ils peuvent se combiner. Ils peuvent
être définis par leurs oppositions avec d'autres phonèmes. Deux phonèmes
sont en opposition lorsqu'ils peuvent apparaître dans le même contexte
phonologique et créer des mots différents (exemple : "pas" vs. "bas"
en français. Dans certaines langues, les oppositions entre phonèmes peuvent
disparaître dans certains contextes. Par exemple, en allemand, l'opposition
entre /d/ et /t/ est neutralisée en fin de mot. Lorsqu'une neutralisation
se produit, les phonèmes en question peuvent être représentés par un
archiphonème, qui regroupe les traits communs des phonèmes impliqués.
La
théorie des traits distinctifs.
La théorie des
traits distinctifs, développée par Roman Jakobson
et ses collaborateurs dans les années 1950, propose que les phonèmes
peuvent être décomposés en traits distinctifs plus petits et plus fondamentaux.
Selon Jakobson les traits distinctifs doivent être universels, c'est-à -dire
applicables à toutes les langues, et doivent donc permettent de décrire
les systèmes phonologiques de différentes langues en utilisant un ensemble
commun de traits.
Les traits distinctifs
sont des caractéristiques phonétiques binaires qui permettent de
distinguer les phonèmes les uns des autres. Chaque trait ayant une valeur
positive (+) ou négative (-) selon sa présence ou son absence, et chaque
phonème étant décrit comme une combinaison unique de ces traits. Voici
quelques traits distinctifs et leur application :
• [±voisé].
- Indique si les cordes vocales vibrent lors de la production du son. /b/,
/d/ et /g/ sont [+voisé]; /p/, /t/ et /k/ sont [-voisé].
• [±nasal]. -
Indique si l'air passe par le nez lors de la production du son. /m/ est
[+nasal]; /b/ est [-nasal].
• [±consonantique].
- Indique si le son est une consonne. /b/ est [+consonantique]; /a/ est
[-consonantique]
• [±continu].
- Indique si le son est produit avec une interruption continue du flux
d'air. /s/ est [+continu]; /t/ est [-continu].
Illustrons comment les
traits distinctifs fonctionnent avec les phonèmes /p/, /t/, et /k/ : /p/
est [-voisé], [-continu], [+consonantique]; /t/ est [-voisé], [-continu],
[+consonantique]; /k/ est [-voisé], [-continu], [+consonantique]. Tous
partagent les traits [-voisé], [-continu], et [+consonantique], mais se
distinguent par d'autres traits spécifiques tels que le lieu d'articulation.
La théorie des traits
distinctifs permet de décrire les phonèmes de manière concise en utilisant
un nombre limité de traits. Elle permet de prévoir et d'expliquer des
processus phonologiques (comme l'assimilation, la dissimilation, etc.)
en termes de modification des traits. De plus, elle facilite la comparaison
entre les systèmes phonologiques de différentes langues en utilisant
des critères communs. Cette théorie a eu un impact considérable sur
la phonologie moderne et a été développée et affinée par d'autres
linguistes, notamment Chomsky et Halle, dans
leur ouvrage The Sound Pattern of English (1968), où ils proposent
un inventaire plus détaillé et plus complet des traits distinctifs.
L'analyse
distributionnelle.
La méthode principale
de la phonologie structurale est l'analyse distributionnelle, qui consiste
à examiner les contextes phonétiques dans lesquels les sons apparaissent
pour déterminer leurs fonctions phonémiques. L'analyse distributionnelle
examine les occurrences phonétiques des phonèmes dans des contextes spécifiques,
tels que le début, le milieu ou la fin des mots, les syllabes fortes ou
faibles, ou les positions adjacentes à certains autres phonèmes. Elle
identifie les schémas réguliers (schéma phonotactiques) ou les contraintes
qui gouvernent la séquence et la combinaison des phonèmes dans les mots.
Par exemple, certaines langues peuvent avoir des contraintes sur les consonnes
qui peuvent apparaître à la fin des mots. L'analyse distributionnelle
met en évidence les distributions complémentaires des phonèmes, où
certains phonèmes apparaissent dans des contextes où d'autres ne le font
pas. Cela peut aider à établir des contrastes phonémiques et à distinguer
les phonèmes dans une langue.
L'importance de l'analyse
distributionnelle tient notamment à ce qu'elle permet d'identifier les
contraintes qui gouvernent la distribution des sons dans les mots et les
syllabes d'une langue donnée. Elle aide à établir quels phonèmes sont
en contraste dans une langue et quels sont les contextes où ils peuvent
apparaître. Comprendre les schémas de distribution des sons dans une
langue peut aussi aider à enseigner la prononciation correcte et à élaborer
des exercices pour les apprenants de langue. En linguistique enfin, enfin,
l'analyse distributionnelle permet reconstruire les systèmes phonologiques
des langues anciennes à partir de leurs descendants actuels.
Systèmes phonologiques.
Un système phonologique
est l'ensemble des sons (phonèmes) organisés selon leurs contrastes,
leur distribution et leurs relations, qui constituent une langue donnée.
Il représente la structure sonore fondamentale qui sous-tend la communication
dans cette langue.
Les
contrastes phonémiques.
Les contrastes phonémiques
sont les différences entre les sons qui permettent de distinguer des mots
et donc de véhiculer des significations distinctes dans une langue donnée.
Plus précisément, un contraste phonémique existe entre deux phonèmes
(ou groupes de phonèmes) lorsque leur substitution entraîne un changement
de sens d'un mot.
Par
exemple, en français, les mots pas et bas se distinguent
par un seul phonème : /p/ et /b/. Le contraste entre /p/ et /b/ est un
contraste phonémique, car remplacer /p/ par /b/ change le sens du mot.
De la même manière, les mots fête et faite se distinguent
par les phonèmes /É›/ et /É›Ë/, démontrant un contraste phonémique
entre ces deux voyelles.
Les contrastes phonémiques
sont essentiels pour la compréhension et la production de la parole dans
une langue, car en permettant de différencier les mots, ils rendent possible
la communication des significations distinctes.
Les
paires minimales.
Pour identifier
les contrastes phonémiques dans une langue, les phonologues utilisent
souvent des paires minimales, c'est-à -dire des paires de mots qui ne diffèrent
que par un seul phonème (ou un seul trait phonologique), comme, en français,
fou
(/fu/) et vous (/vu/) , où la différence entre /f/ et /v/ est
sera dite phonémique, car elle distingue les mots "fou" (insensé) et
"vous" (pronom). La présence de nombreuses paires minimales dans une langue
est une preuve de l'existence de plusieurs contrastes phonémiques. En
comparant les phonèmes dans des paires minimales, les linguistes peuvent
déterminer quels sons sont phonémiques (c'est-à -dire distinctifs) et
quels sons ne le sont pas. Caractéristiques des paires minimales :
• Différence
phonémique unique. - Les mots d'une paire minimale se différencient
par un seul phonème (ou parfois un seul trait phonologique) qui, lorsqu'il
est changé, modifie le sens du mot.
• Significations
différentes. - Chaque mot de la paire minimale a une signification
distincte dans la langue. C'est cette différence de sens qui met en évidence
l'importance du phonème contrastif.
• Contexte linguistique.
- Les paires minimales doivent être considérées dans le contexte linguistique
approprié, car un phonème peut avoir des variantes allophoniques conditionnées
par son environnement.
La
distribution des phonèmes.
Les phonèmes d'une
langue sont distribués de manière spécifique selon les règles phonologiques
de cette langue. Certaines combinaisons de sons peuvent être autorisées
dans certaines positions, tandis que d'autres peuvent être restreintes
ou interdites. L'étude de la distribution des phonèmes permet de comprendre
les règles et les restrictions qui régissent l'utilisation des sons dans
une langue. Elle aide à déterminer quelles variations de
sons sont significatives dans une langue donnée (c'est-à -dire, quels
sons sont des phonèmes distincts) et quelles variations sont simplement
des allophones d'un même phonème (des variantes d'un phonème qui n'entraînent
pas de changement de sens). Il existe plusieurs types de distributions
des phonèmes :
• Distribution
complémentaire. - Deux phonèmes sont en distribution complémentaire
s'ils n'apparaissent jamais dans le même contexte phonétique. Autrement
dit, les deux phonèmes se trouvent dans des environnements distincts et
ne se chevauchent pas. Par exemple, en anglais, le son [pʰ] (aspiré)
apparaît en début de mot comme dans pin, tandis que le son [p]
(non aspiré) apparaît après [s] comme dans spin. Ils ne se trouvent
jamais dans les mêmes contextes, ce qui montre qu'ils sont en distribution
complémentaire.
• Distribution
contrastive. - Deux phonèmes sont en distribution contrastive s'ils
peuvent apparaître dans le même contexte et changer le sens d'un mot.
C'est le cas des phonèmes qui forment des paires minimales. Par exemple,
en français, /p/ et /b/ dans les mots peur et beurre sont
en distribution contrastive parce qu'ils apparaissent dans le même contexte
et leur substitution change le sens du mot.
• Distribution
libre. - Parfois, un phonème peut varier librement dans certains contextes
sans que cela ne change le sens du mot. C'est la distribution libre.
Par exemple, en anglais, le mot "economics" peut être prononcé avec un
[i] initial ou un [É›] initial (comme [iË]konomics ou [É›]konomics), sans
changement de sens. En français, un exemple classique de distribution
libre est l'utilisation de différentes variantes phonétiques du phonème
/R/ (la consonne rhotique). Le mot rue peut ainsi être prononcé
[Êy], [χy], [ry], ou [ɾy], avec toutes ces prononciations comprises
comme signifiant "rue" sans ambiguïté :
+ Uvulaire
voisé [Ê]. - C'est la prononciation standard en France : [Êy].
+ Uvulaire non-voisé
[χ] . - Couramment utilisé dans certaines régions de France : "rue"
[χy].
+ Apico-alvéolaire
roulé [r]. - Plus commun en Afrique francophone et dans certaines
régions de Belgique : "rue" [ry].
+ Apico-alvéolaire
battu [ɾ]. - Présent dans certains accents régionaux et styles de
discours informels : "rue" [ɾy].
Relations
entre les phonèmes.
Les phonèmes d'une
langue peuvent présenter des relations diverses entre eux, telles que
la neutralisation (qui est la perte de distinction phonémique dans certains
contextes) ou la complémentation (qui se réfère à la distribution systématique
de différentes réalisations d'un même phonème dans des contextes exclusifs),
qui sont concepts importants pour comprendre comment les sons fonctionnent
dans une langue.
• La
neutralisation des phonèmes se produit lorsque deux phonèmes distincts
perdent leur distinction dans certains contextes, c'est-Ã -dire qu'ils
ne se réalisent plus comme des phonèmes différents et deviennent indistinguables.
Un exemple classique de neutralisation se trouve en allemand avec les consonnes
/t/ et /d/. À la fin des mots, ces deux phonèmes se neutralisent et sont
tous deux prononcés [t]. Par exemple : Rat ( = conseil) et
Rad
( = roue) se prononcent tous deux [ÊaËt] Ã la fin.
• La complémentation
des phonèmes fait référence à la distribution complémentaire de
deux sons, qui n'apparaissent donc jamais dans les mêmes environnements
phonétiques et ne sont pas en opposition directe dans ces contextes. Ils
se complètent l'un l'autre en couvrant des environnements distincts. Lorsque
deux sons sont en distribution complémentaire, ils sont généralement
des allophones d'un même phonème. (On a a donné précédemment un exemple
de distribution complémentaire).
Variation
phonologique.
Les variations phonologiques
correspondent aux différentes façons dont les sons d'une langue peuvent
se réaliser ou se modifier en fonction de divers facteurs, tels que le
contexte phonétique, le registre de langue, la dialectologie ou même
les préférences individuelles. Ces variations peuvent inclure des changements
de prononciation, des alternances de sons, et des adaptations phonétiques
qui se produisent systématiquement ou occasionnellement. Exemples de variations
phonologiques :
• Les
variations conditionnées (ou contextuelles) dépendent du contexte
phonétique dans lequel un phonème apparaît. Elles peuvent inclure, ao
exemple, l'assimilation, la dissimilation, l'élision, l'épenthèse.
• Les variations
libres se produisent lorsque différentes réalisations d'un phonème
sont possibles sans changement de sens et sans être conditionnées par
le contexte. Par exemple, en français, dans le mot gageure prononcé /aÊ'Å“Ê/
ou /gaÊ'yÊ/ (ga-jure), selon les préférences individuelles (bien
que Saussure vous expliquerait que seule la seconde prononciation soit
légitime).
• Les variations
dialectales se produisent entre différents dialectes ou variantes
régionales d'une langue. Par exemple, en français : Le /Ê/ parisien
peut être prononcé différemment dans le sud de la France (où il peut
être roulé /r/). En anglais, le mot car est prononcé /kÉ‘Ër/
en anglais américain mais souvent /kÉ‘Ë/ en anglais britannique non rhotique;
en français, le mot moins est ordinairement prononcé /mwɛ̃/,
mais dans certaines régions (Sud-Ouest), on prononce plutôt /mwɛ̃s/
.
• Les variations
sociolinguistiques dépendent de facteurs sociaux tels que le niveau
de formalité, l'âge, le sexe, le statut socio-économique, etc. Par exemple
: En anglais, l'usage du /ɪŋ/ ou /ɪn/ en fin de mots comme running
peut varier selon le registre de langue, avec /ɪŋ/ étant plus
formel et /ɪn/ plus informel.
• Les variations
individuelles sont propres à chaque locuteur et peuvent être influencées
par des habitudes personnelles, des caractéristiques physiologiques ou
des antécédents linguistiques. Par exemple, deux locuteurs de la même
région et du même âge peuvent avoir des prononciations légèrement
différentes pour certains mots ou sons.
Phonologie comparative
et phonologie historique
La phonologie comparative.
Le principe de la
phonologie comparative consiste à mettre en rapport les systèmes phonologiques
de différentes langues pour identifier les similarités et les différences
dans la manière dont les sons sont organisés et utilisés. La phonologie
comparative étudie la structure des systèmes sonores (distribution des
consonnes et des voyelles, contrastes phonémiques, et règles phonologiques)
spécifiques à chaque langue. Elle contribue à la typologie linguistique
en identifiant des schémas et des tendances communs dans la phonologie
des langues du monde. Par exemple, certaines langues peuvent présenter
des tendances phonologiques similaires, telles que l'harmonie vocalique
ou la gémination consonantique.
En utilisant des
méthodes comparatives, la phonologie comparative fournit des moyens pour
reconstruire les systèmes phonologiques de langues anciennes, à partir
des langues actuelles qui en descendent. Cela permet de retracer l'évolution
historique des sons et des systèmes phonologiques.
La phonologie comparative
examine également l'impact des contacts linguistiques sur les systèmes
phonologiques. Lorsque les locuteurs de différentes langues entrent en
contact, des phénomènes tels que le transfert phonémique et la
convergence
phonémique peuvent se produire, ce qui modifie parfois les systèmes
sonores des langues impliquées.
Les
transferts phonémiques.
Le transfert phonémique
( = transfert de phonèmes), fait référence au phénomène où les caractéristiques
phonétiques et phonologiques d'une langue sont appliquées à une autre
langue par un locuteur bilingue ou en cours d'apprentissage d'une seconde
langue. Ce transfert peut affecter la prononciation des phonèmes, entraînant
des accents ou des erreurs de prononciation qui reflètent les influences
de la langue maternelle sur la langue cible.
Types de transfert
phonémique :
• Transfert
positif. - Lorsque les phonèmes de la langue maternelle sont similaires
ou identiques à ceux de la langue cible, le transfert peut faciliter l'apprentissage
et la prononciation correcte des sons de la nouvelle langue. Par exemple,
un locuteur natif espagnol apprenant l'italien peut trouver que de nombreux
sons se transfèrent positivement, car les deux langues partagent des systèmes
phonétiques similaires.
• Transfert
négatif. - Lorsque les phonèmes de la langue maternelle diffèrent
de ceux de la langue cible, cela peut entraîner des erreurs de prononciation.
Par exemple, un locuteur natif français apprenant l'anglais peut avoir
du mal avec la distinction entre /ɪ/ et /iË/ (comme dans "sit" et "seat")
car cette distinction n'existe pas en français. Les erreurs résultant
du transfert négatif peuvent parfois entraîner des malentendus ou rendre
l'accent du locuteur plus marqué.
Exemples de transferts
phonémiques :
• Francophones
apprenant l'anglais. - Les francophones peuvent remplacer le son anglais
/ð/ (comme dans this) par /z/ ou /d/, car /ð/ n'existe pas en
français. Ainsi, this peut être prononcé comme "zis" ou "dis".
• Anglophones
apprenant le français. - Les anglophones peuvent avoir des difficultés
avec les voyelles nasales françaises comme /ɑ̃/, /ɛ̃/, /ɔ̃/ et /œ̃/,
et les remplacer par des voyelles orales suivies d'une consonne nasale.
Par exemple, pain pourrait être prononcé comme "pan".
• Hispanophones
apprenant l'anglais. - Les hispanophones peuvent prononcer le son /h/
en anglais comme un /x/ (une fricative vélaire), car le son /h/ est absent
en espagnol standard (castillan). Par exemple, hello peut être
prononcé comme "jel-lo" (/xello/).
La
convergence phonologique.
On parle de convergence
phonologique pour qualifier le processus par lequel les systèmes phonologiques
de deux langues ou dialectes en contact tendent à devenir plus similaires
au fil du temps. Cela peut se produire, notamment, du fait d'un bilinguisme,
d'un multilinguisme, d'échanges culturels et de proximité géographique.
La convergence phonologique peut affecter à la fois les sons individuels
(phonèmes) et les structures phonotactiques (règles régissant la combinaison
des sons). La convergence phonologique est un phénomène dynamique qui
illustre l'adaptabilité des systèmes phonologiques face aux influences
externes et internes.
Mécanismes de la
convergence phonologique :
• Emprunt
phonétique. - Les locuteurs de deux langues en contact peuvent emprunter
des mots de l'autre langue, introduisant ainsi de nouveaux sons ou combinaisons
de sons dans leur propre langue. Par exemple, l'anglais a emprunté de
nombreux mots au français après la conquête normande, influençant ainsi
le système phonétique de l'anglais.
• Simplification
phonétique. - Pour faciliter la communication, les locuteurs bilingues
peuvent simplifier les différences phonologiques entre leurs langues,
conduisant à une convergence. Par exemple, les locuteurs de langues créoles
simplifient souvent les systèmes phonologiques des langues sources.
• Hypercorrection
et stigmatisation. - Les locuteurs peuvent ajuster leur prononciation
pour éviter des sons perçus comme stigmatisés ou incorrects, entraînant
ainsi une convergence avec la langue ou le dialecte perçu comme prestigieux.
Cela peut être observé dans des situations de diglossie où une variété
de langue est considérée comme supérieure.
Exemples de convergence
phonologique :
• Bilinguisme
en Belgique. - En Belgique, le contact entre le français et le néerlandais
a entraîné des convergences phonologiques, notamment dans les zones bilingues
comme Bruxelles, où les locuteurs peuvent adopter des caractéristiques
phonétiques des deux langues.
• Créoles et
pidgins. - Les langues créoles et pidgins montrent souvent une convergence
phonologique issue des langues de base qui les composent. Par exemple,
le créole haïtien présente des traits phonologiques issus à la fois
du français et des langues africaines.
• Contact langagier
en Amérique du Nord. - Aux États-Unis, les communautés hispanophones
peuvent influencer l'anglais local, et vice versa, conduisant à des phonèmes
partagés ou à des ajustements phonétiques.
La convergence peut
mener à la simplification des systèmes phonologiques, où des distinctions
phonétiques plus fines sont perdues au profit d'une communication plus
fluide. Elle peut aussi donner naissance à de nouveaux dialectes ou variétés
de langue avec des caractéristiques phonologiques uniques, reflétant
l'influence mutuelle des langues en contact. Certaines caractéristiques
phonologiques peuvent être retenues malgré la convergence, tandis que
de nouvelles caractéristiques peuvent émerger, enrichissant ainsi le
paysage phonétique des langues concernées.
La phonologie
historique.
La phonologie historique,
s'appuyant sur des méthodes comparatives et des analyses diachroniques,
étudie l'évolution des systèmes phonologiques à travers le temps, en
examinant les changements sonores qui se produisent dans une langue au
fil des générations, afin de reconstruire l'histoire phonologique des
langues humaines. Elle analyse les processus de changement phonologique,
tels que l'assimilation, la dissimilation, la métathèse, et d'autres,
qui entraînent des modifications dans les systèmes sonores des langues
au fil du temps.
La phonologie historique
compare les systèmes phonologiques de langues à différents stades de
leur développement pour comprendre les changements phonologiques qui se
produisent entre ces stades. Par exemple, la comparaison entre le latin
classique et les langues romanes. La phonologie historique examine également
l'impact des contacts linguistiques et des emprunts sur l'évolution des
systèmes phonologiques. Les emprunts phonologiques peuvent inclure l'adoption
de sons étrangers dans une langue ou l'influence de la prononciation d'une
langue sur une autre.
Elle identifie et
étudie les lois phonétiques, à l'image de la loi de Grimm, qui
décrit le changement régulier des consonnes indo-européennes vers les
consonnes germaniques :
Les
lois phonétiques.
Les lois phonétiques
sont des règles systématiques qui décrivent comment les sons d'une langue
se modifient au fil du temps. Ces changements peuvent être influencés
par les interactions avec d'autres langues, l'évolution culturelle, et
les tendances naturelles dans la prononciation humaine. Les lois phonologiques
révèlent des régularités dans les changements sonores qui se produisent
dans les langues au fil du temps et aident ainsi les linguistes à reconstruire
des langues anciennes, comprendre les relations entre les langues modernes
et retracer les migrations et les interactions culturelles des peuples.
Quelques exemples
de lois phonétiques concernant les consonnes :
• La
Loi
de Grimm (première mutation consonantique
ou mutation
consonantique germanique) décrit une série de changements systématiques
dans les consonnes des langues germaniques par rapport aux autres langues
indo-européennes. Elle comprend trois principales étapes de transformation
:
+ Les occlusives
sourdes (p, t, k) deviennent des fricatives sourdes (f, θ, h).
+ Les occlusives
sonores (b, d, g) deviennent des occlusives sourdes (p, t, k).
+ Les occlusives
sonores aspirées (bh, dh, gh) deviennent des occlusives sonores (b, d,
g).
• La Loi de Verner
complète la loi de Grimm en expliquant certaines exceptions à cette dernière.
Karl Verner a découvert que la transformation des occlusives sourdes en
fricatives sourdes (comme décrite par la loi de Grimm) dépendait de l'accentuation
de la syllabe précédente dans le proto-indo-européen :
+ Si l'accent
tonique était sur la syllabe immédiatement avant la consonne, le changement
décrit par Grimm s'appliquait.
+ Si l'accent tonique
était ailleurs, les occlusives sourdes devenaient des fricatives sonores
(p > b, t > d, k > g, s > z).
• La loi de Grassmann
s'applique principalement aux langues indo-européennes, notamment le grec
ancien et le sanscrit. Elle décrit un processus de dissimilation des aspirées
: lorsqu'une aspirée (bh, dh, gh) est suivie d'une autre aspirée dans
le même mot, la première aspirée perd son aspiration (bh > b, dh > d,
gh > g).
• Les Mutations
Consonantiques. - Outre la loi de Grimm, il existe d'autres séries
de changements consonantiques connus dans l'évolution des langues germaniques,
comme la deuxième mutation consonantique (ou mutation consonantique
haute-allemande), qui a affect" les langues germaniques occidentales
: p > pf (ou ff), t > ts (ou ss), k > kx (ou x) en allemand.
Les lois phonétiques
ne concernent pas seulement les consonnes. Les voyelles subissent également
des transformations systématiques. Mentionnons :
• La
loi de la palatalisation, pertinente en slavistique, décrit comment
les consonnes vélaires (k, g, x) se sont transformées en consonnes palatales
ou palatalisées devant les voyelles antérieures.
• La loi de
la rotation des voyelles (vowel shift), qui se réfère
à la Grande mutation vocalique (Great Vowel Shift), qui
entre le XVe et le XVIIIe
siècle a profondément transformé le système vocalique de l'anglais
moyen, affectant la prononciation des voyelles longues.
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