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Marcel
Mauss
est un sociologue et anthropologue né le
10 mai 1872 à Épinal (Vosges) et mort le 11 février 1950 à Paris.
Mauss a jeté les bases de théories sociales et anthropologiques qui restent
pertinentes aujourd'hui. Ses études sur le sacrifice, la magie et le don
ont marqué des tournants importants dans la compréhension des structures
sociales et des comportements humains.
Mauss est est issu
d'une famille juive alsacienne. Son oncle, Émile
Durkheim, est un sociologue influent qui jouera un rôle clé dans
sa carrière. Mauss fréquente des écoles locales à Épinal et montre
très tôt un intérêt pour les études. Il commenceen 1890 ses
études à l'université de Bordeaux, où il suit les cours de Durkheim.
Il se spécialise en philosophie, mais s'intéresse de plus en plus Ã
la sociologie et à l'anthropologie. Il obtient sa licence en philosophie
en 1893, puis part à Paris, l'année suivante, pour y préparer l'agrégation
de philosophie. Il réussit le concours en 1895 etcommence à enseigner
à l'École pratique des hautes études à Paris. Entre 1896 et 1898, il
voyage en Allemagne, où il étudie les religions comparées et l'ethnologie.
Il passe également du temps en Angleterre et en Inde, approfondissant
ses connaissances en anthropologie.
Avec Émile Durkheim,
Mauss participe en 1899 à la fondation de la revue L'Année sociologique,
qui devient un pilier pour la sociologie française. Mauss y publiera plusieurs
textes importants, et déjà la même année son Essai sur la nature
et la fonction du sacrifice, co-écrit avec
Henri Hubert, un autre sociologue important. Cet essai étudie les aspects
religieux et rituels des sacrifices dans diverses cultures.
• Essai
sur la nature et la fonction du sacrifice (1899) Co-écrit avec Henri
Hubert, cet essai est une étude pionnière sur les pratiques sacrificielles
dans les sociétés traditionnelles. Mauss et Hubert examinent le sacrifice
comme un acte religieux et rituel qui vise à établir une communication
entre les mondes humain et divin. Les auteurs commencent par introduire
le concept de sacrifice en tant qu'acte rituel impliquant l'offrande d'un
bien précieux (souvent un animal ou un être humain) à une divinité
ou à une force supérieure. Le sacrifice est omniprésent dans les sociétés
anciennes et traditionnelles. il est un acte de communion entre les humains
et les puissances divines ou spirituelles, caractérisé par l'offrande
d'un bien pour établir ou maintenir des relations avec le sacré. Le sacrifice
implique généralement une destruction ou une transformation de l'objet
offert, ce qui en fait un acte symbolique de partage entre le monde humain
et le monde divin. L'ouvrage identifie plusieurs composants essentiels
du sacrifice :
+ L'offrande.
- C'est l'objet ou l'être offert en sacrifice, qui peut varier selon
les cultures, mais qui est toujours perçu comme ayant une valeur symbolique
ou réelle importante.
+ Le rite. - Les
cérémonies et les rites associés au sacrifice incluent des prières,
des chants, des danses, et d'autres pratiques rituelles qui encadrent
l'acte de sacrifice.
+ Le destinataire.
- C'est la divinité ou la force spirituelle à laquelle le sacrifice est
destiné, et qui est censée recevoir l'offrande et répondre aux prières
ou aux besoins des sacrificateurs.
Le sacrifice remplit
plusieurs fonctions importantes :
+ Fonction
religieuse. - Le sacrifice est un moyen de communication avec le divin.
Il vise à obtenir des faveurs, à apaiser les esprits ou à marquer un
événement religieux important.
+ Fonction sociale.
- Le sacrifice joue un rôle dans la cohésion sociale en renforçant les
liens entre les membres de la communauté. Les rites de sacrifice impliquent
ordinairement des cérémonies collectives qui favorisent la solidarité
et la coopération entre les individus.
+ Fonction symbolique.
- Les sacrifices expriment des valeurs culturelles et morales profondes.
Ils symbolisent des concepts comme la pureté, la dévotion, et l'ordre
cosmique.
L'ouvrage analyse ensuite
la diversité des pratiques de sacrifice dans différentes cultures. Les
formes et les modalités du sacrifice varient considérablement, mais que
les principes sous-jacents restent généralement similaires. Sont donnés
des exemples de sacrifices chez les populations archaïques, tels que les
sacrifices animaux dans les sociétés agraires et les sacrifices humains
dans certaines sociétés anciennes. Mauss et Hubert se penchent également
sur la persistance des pratiques sacrificielles dans les sociétés modernes
et les transformations qu'elles ont subies. Ils examinent comment les
pratiques religieuses et les rites ont évolué au fil du temps tout en
conservant certaines fonctions symboliques et sociales du sacrifice. Au
final, il apparaît que le sacrifice est un phénomène complexe qui va
au-delà de sa simple dimension religieuse. Il reflète des structures
sociales et des mécanismes de cohésion communautaire. Le sacrifice, en
tant qu'acte symbolique et rituel, est essentiel pour comprendre les
systèmes de croyance et les dynamiques sociales des sociétés étudiées.
Mauss commence en 1903
à donner des cours réguliers en religion comparée et en sociologie Ã
l'École pratique des hautes études. A la même époque, il publie plusieurs
articles notables, dont Esquisse d'une théorie générale de la magie,
cette encore en collaboration avec Henri Hubert, où les auteurs examinent
les pratiques magiques et leur rôle social.
• Esquisse
d'une théorie générale de la magie (1902). - Ce texte est une analyse
approfondie des pratiques magiques et des systèmes de croyance dans les
sociétés primitives et archaïques. L'oeuvre s'intéresse aux fonctions
sociales et aux structures des pratiques magiques et met en lumière les
liens entre la magie, la religion, et la société.
L'introduction précise son objectif : proposer une théorie générale
de la magie en tant que phénomène social et culturel. Il s'agit de comprendre
les principes qui sous-tendent les croyances et les pratiques magiques
et de les situer dans le contexte plus large des systèmes religieux et
sociaux.
Mauss définit la
magie comme une pratique systématique et organisée qui vise à influencer
les événements ou les forces invisibles à l'aide de rites, de formules
et d'objets spécifiques. La magie est considérée comme une tentative
de contrôler ou de manipuler des forces surnaturelles ou spirituelles
pour obtenir des résultats souhaités. Il convient alors de distinguer
la magie de la religion. La magie est souvent plus individualisée et pratique,
tandis que la religion est institutionnalisée
et communautaire. La magie est perçue comme une technique de pouvoir qui
peut être utilisée pour des fins personnelles ou sociales. Plusieurs
principes régissent les pratiques magiques, notamment :
+ Le principe
de similitude (ou loi de similarité). - Selon ce principe, les choses
qui se ressemblent peuvent affecter mutuellement leur destin. Par exemple,
dans certaines pratiques magiques, une poupée ou une effigie représentant
une personne est utilisée pour influer sur cette personne.
+ Le principe de
contiguïté (ou loi de contiguïté). - Ce principe repose sur l'idée
que des objets qui ont été en contact continuent d'exercer une influence
l'un sur l'autre. Par exemple, des fragments d'un objet peuvent contenir
une partie de son pouvoir.
Vient ensuite un examen
des rites magiques et des objets utilisés dans la magie, comme les talismans,
les amulettes et les charmes. Ces objets sont chargés de significations
symboliques et sont considérés comme ayant des pouvoirs spécifiques.
Les rites sont des pratiques ritualisées qui suivent des formules précises
et sont censés produire des effets prévisibles. Mauss montre comment
la magie s'intègre dans les structures sociales et culturelles des sociétés
primitives : les pratiques magiques ne sont pas isolées mais sont intégrées
dans des réseaux de relations sociales et de croyances. La magie joue
un rôle important dans la régulation des comportements, la résolution
des conflits et le maintien de l'ordre social. La magie, comme la religion,
est un système de pensée qui reflète la manière dont les sociétés
comprennent et interagissent avec le monde. Les croyances magiques sont
des manifestations des structures cognitives et sociales des sociétés
primitives. Ainsi, la magie se présente-t-elle comme un phénomène complexe
qui ne peut être réduit à une simple superstition. Elle doit être comprise
dans le contexte de la culture et de la société dans laquelle elle se
manifeste. La magie offre des aperçus précieux sur la manière dont les
sociétés structurent leurs croyances et leurs pratiques et sur les dynamiques
sociales qui les sous-tendent.
Marcel Mauss commence
en 1906 à travailler sur ce qui deviendra son oeuvre la plus célèbre,
Essai sur le don (publié en 1925). A partir de 1910, il est reconnu
comme l'un des principaux anthropologues de son temps. Ses travaux influencent
de nombreux domaines, aussi bien l'économie, la sociologie que l'anthropologie
culturelle. Lorsque la Première Guerre mondiale
éclate en 1914, Mauss, malgré ses problèmes de santé, s'engage dans
des activités de soutien pour l'effort de guerre. Il travaille notamment
comme interprète et participe à des missions diplomatiques. La guerre
affecte profondément Mauss, particulièrement avec la mort de son oncle,
mentor et collaborateur Émile Durkheim en 1917.
Après la guerre,
Mauss reprend ses activités académiques à plein temps. Il se concentre
sur la poursuite de ses recherches en anthropologie et sociologie, et publie
finalement son Essai sur le don : Forme et raison de l'échange dans
les sociétés archaïques (1925), une oeuvre fondamentale dans laquelle
il explore les systèmes d'échange et de réciprocité dans différentes
cultures.
• Essai
sur le don : Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques
(1925). - Cet essai est sans doute l'oeuvre la plus célèbre de Mauss.
La thèse centrale de Mauss y est que le don n'est jamais un acte purement
gratuit ou désintéressé. Dans les sociétés archaïques, le don implique
des obligations réciproques et crée des liens sociaux et moraux entre
les individus. L'auteur démontre que les échanges de dons sont régis
par des normes sociales et des obligations, plutôt que par des principes
de marché ou de rationalité économique. Mauss introduit le concept de
don comme un échange total ou une pratique totale qui engage la totalité
des individus et des groupes. Il souligne que dans les sociétés archaïques,
les échanges ne se limitent pas à des transactions économiques, mais
incluent également des dimensions sociales, religieuses et morales. Les
dons sont souvent accompagnés de rituels et de cérémonies, soulignant
cette dimension sacrée et sociale. L'auteur identifie trois obligations
fondamentales du don :
+ Obligation
de donner. - L'acte de donner est une manière de manifester sa générosité
et sa puissance. Les membres d'une communauté
sont tenus de faire des dons dans le cadre
des échanges sociaux, cérémoniels et religieux. Le don est perçu comme
un acte qui affirme le statut et la position sociale du donateur.
+ Obligation de recevoir.
- Recevoir un don implique la reconnaissance de la relation sociale établie
avec le donateur et l'acceptation de l'obligation de rendre. Refuser un
don est perçu comme un affront, car cela revient à refuser l'existenec
même de la relation sociale..
+ Obligation de
rendre. - Celui qui reçoit un don doit le rendre, souvent avec un surplus,
pour maintenir l'équilibre et l'honneur. Cette obligation de rendre assure
la continuité des relations sociales et l'équilibre dans les échanges.
Mauss s'appuie sur de
nombreux exemples ethnographiques pour illustrer ses propos, notamment
:
+ Le potlatch,
une forme de festin cérémoniel pratiqué par les peuples autochtones
de la côte nord-ouest de l'Amérique du Nord, où le don s'inscrit l'affirmation
du statut social et la démonstration de la puissance. Le potlatch implique
des échanges extravagants et des dépenses ostentatoires pour renforcer
la position sociale du donneur. Les dons servent à établir et maintenir
des hiérarchies sociales.
+ Le kula
dans les îles Trobriand, un réseau d'échanges de colliers et de bracelets,
qui crée des alliances et des liens sociaux entre les différentes îles.
L'étude de ce système éclaire la manière comment les dons créent des
réseaux sociaux complexes et des obligations réciproques.
Mauss souligne que le
don est chargé de significations symboliques et morales. Les objets échangés
ne sont pas seulement des biens matériels mais portent une charge spirituelle
et un pouvoir symbolique. Ces objets, animés par la mana (puissance
spirituelle), engagent ceux qui les échangent dans un réseau de relations
sacrées. Le don crée donc des liens sociaux et exprime des valeurs culturelles
et morales profondes.
Le paradoxe central
du don est que, bien que le don semble être un acte de générosité désintéressée,
il est en réalité fondamentalement lié à des obligations sociales et
à la réciprocité. Le don crée une dette sociale et un lien entre le
donneur et le receveur, ce qui va au-delà de la simple transaction économique.
Mauss conclut en
soulignant que les pratiques de don dans les sociétés archaïques révèlent
des aspects fondamentaux de la nature humaine et de la vie sociale. Le
don est une pratique universelle qui va au-delà de l'économie et touche
à la moralité, à la solidarité et à la cohésion sociale. Il appelle
à une réévaluation de nos propres pratiques économiques et sociales
à la lumière de ces systèmes d'échange anciens.
Mauss contribue en 1926
à la fondation de l'Institut d'ethnologie de l'université de Paris, qui
vise à promouvoir la recherche et l'enseignement de l'ethnologie en France.
Il prend la direction, trois ans plus tard de L'Année Sociologique.
Il continuera au cours des années 1930 à publier des travaux importants
sur des sujets très variés (religion, magie, systèmes économiques
des sociétés traditionnelles, etc.) et est alors est largement reconnu
comme l'un des principaux intellectuels de son époque.
Avec le début de
la Seconde Guerre mondiale et
l'occupation de la France par l'Allemagne nazie, Mauss, en tant que juif,
fait face à des persécutions croissantes. Il est contraint dès 1940
de se retirer de la vie publique et de l'enseignement en raison des lois
antisémites du régime de Vichy. Mauss passera les années de guerre en
semi-clandestinité, continuant ses recherches et écrits autant que possible
malgré les circonstances difficiles.
A la libération,
Mauss reprend ses activités académiques et ses engagements intellectuels.
Il prend officiellement sa retraite en 1947 et meurt trois ans plus tard. |
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