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Les Pensées, de J. Joubert

En lisant les Pensées' de Joseph Joubert, on doit se rappeler qu'il ne fut que moraliste; mais il le fut toute sa vie : toujours il s'appliqua et prit plaisir à exprimer en de beaux mots ses réflexions sur les arts et les lettres, sur la politique, la religion, les moeurs des hommes de son siècle et de tous les temps. Un besoin extraordinaire d'exquise perfection l'empêcha de rien achever; mais, quel moyen de construire un monument, lorsqu'on regarde comme le plus beau triomphe de l'art de mettre un livre dans une page, une page dans une phrase, une phrase dans un mot? Joubert a été au XIXe siècle un type original de ce qu'on appelle les délicats; lui-même annonçait à de Fontanes qu'il expirerait quelque jour au milieu d'une belle phrase et d'une belle pensée. Voyez-le décrire son cerveau, et se peindre par ce petit mot expressif: "Mon âme chasse aux papillons, et cette chasse me tuera." Il porte la même délicatesse dans l'appréciation des beaux-arts.

Élève de Diderot, qui lui communiqua sa hardiesse, il corrigea ce qu'il y avait d'intempérant dans le goût de son maître par un vif sentiment de la beauté antique. Il aime et comprend la Grèce autant qu'André Chénier, mais il est bien autrement platonicien et idéaliste. Chateaubriand l'avait surnommé "un Platon à coeur de La Fontaine." Quoi d'étonnant qu'il ait fait consister la poésie surtout dans la spiritualité des idées; qu'il appelât la lyre un instrument ailé; qu'il voulût que la philosophie ne fût ni quadrupède, ni bipède, mais portée sur des ailes, et chantante? Malheureusement, un homme de tant de goût pèche souvent par affectation : à force de vouloir rendre exquis le sens commun, et commun le sens exquis, Joubert est tombé parfois dans la prétention et la bizarrerie. En sait-on bien long sur Bernardin de Saint-Pierre et Chateaubriand, quand il a dit que "l'un écrit au clair de lune et l'autre au soleil"
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Pensées

« Quand mes amis sont borgnes, je les regarde de profil.

La perfection se compose de minuties; le ridicule n'est pas de les employer, mais de les mettre hors de leur place.

Crainte de passer pour un pédant, dans la profession de l'enseignement, c'est être un fat.

Il faut, quand on agit, se conformer aux règles et, quand on juge, avoir égard aux exceptions.

Il y a des gens qui n'ont de la morale qu'en pièce; c'est une étoffe dont ils ne se font jamais d'habit.

La tendresse est le repos de la passion.

Quelquefois de grands esprits sont pourtant des esprits faux. Ce sont des boussoles bien construites, mais dont les aiguilles, égarées par l'influence de quelque corps environnant, se détournent toujours du nord.

Le ciel est pour ceux qui y pensent. »
 

(Joseph Joubert).

Au reste, la délicatesse morale égale chez lui la délicatesse de l'esprit : la pudeur, la chasteté, la sainteté sont choses dont il est épris, et, lorsqu'il veut en parler, les mots ne lui paraissent jamais assez lumineux, ou, si l'on peut s'exprimer ainsi, assez spiritualistes. Les sarcasmes impies de Voltaire le blessaient, autant que le charmaient ses saillies et ses grâces. De là ces deux mots qui rappellent le hideux sourire dont a parlé Alfred de Musset; "Voltaire a comme le singe, les mouvements charmants et les traits hideux." - "Voltaire avait l'âme d'un singe et l'esprit d'un ange." Joubert était, en effet, chrétien sincère; après avoir ressenti, comme toute sa génération, les atteintes du scepticisme, il en était sorti comme d'un état dont souffraient son intelligence et son coeur. En politique, les excès de la Révolution ayant donné un douloureux démenti à ses espérances et à ses rêves, il réclamait avec les sages l'unité dans le pouvoir, et laissait la multitude aimer la multitude et la pluralité dans le gouvernement des hommes. (A.H.).



En bibliothèque - Pensées de Joubert, dans le t. 1er de ses Pensées, Essais, Maximes, etc., Paris, 1850, 2e édit., 2 vol. in-8°.
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