| Horace est une tragédie de Corneille, en cinq actes et en vers, et dédiée au cardinal Richelieu. Après un silence de plusieurs années qui avait suivi la parution du Cid, Corneille revint au théâtre avec la tragédie d'Horace. Jouée probablement à l'Hôtel de Bourgogne en février 1640 (?), la nouvelle pièce fut assez froidement accueillie par le public, et elle ne s'est relevée que bien plus tard. C'est qu'elle était d'une bien austère beauté. Tandis que le Cid nous venait de la brillante Castille, Horace était emprurrté à la rude antiquité romaine. C'est Tite-Live que Corneille a suivi pour la plus grande partie de son oeuvre. Il lui en doit les plus belles scènes. N'oublions pas toutefois la Sophonisbe de Mairet (1629), dont les beaux «-désespoirs de Masinissa » ont fourni le modèle des fameuses « imprécations de Camille ». P. Arétin a traité ce même sujet dans une tragédie en 5 actes, Orazia, la plus sérieuse des pièces de son théâtre. Quelques scènes sont traitées avec une grande vigueur, et l'on trouve, avec quelque surprise, dans un écrivain si futile d'ordinaire, une étude faite à la manière de Shakespeare. Tite-Live, dont il ne s'écarte pas, est dramatisé par lui à peu près à la façon du grand poète anglais. Cette tragédie fut composée en 1556 ; il est fort douteux que P. Corneille l'ait connue. Le sujet de cette pièce est le combat si connu des Horaces et des Curiaces, dramatique épisode de l'antique vertu romaine, s'élevant par l'amour de la patrie au-dessus des plus tendres affections de la famille. C'est une des plus belles pages de l'histoire de Tite-Live. Aux détails que nous donne l'historien latin sur les rapports qui unissaient les deux familles, Corneille a ajouté le lien qui unit à Horace (personnification collective des trois frères du même nom) la soeur des Curiaces, Sabine, et par là, mettant de pair, en quelque sorte, par héroïsme égal de leurs défenseurs, les deux cités rivales, il n'en donne que plus d'intérêt à la lutte qui va décider de leur sort. En un mot, la passion du patriotisme dominant, non sans lutte, mais toujours sans faiblesse, tous les autres sentiments, excepté celui de l'amour dans une femme, et faisant presque pardonner, à force de légitime exaltation, la meurtre d'une soeur, tel est le sujet éminemment tragique que le génie de Corneille a tiré du récit de Tite-Live; c'est peut-être ce qu'il a écrit de plus sublime. - Frontispice d'Horace. (Édition. de 1611). - Le frontispice représente la scène du combat, qui n'est que racontée dans la pièce. Les costumes sont des costumes à la romaine. | ACTE Ier.- La guerre est déclarée entre Rome et Albe. Dans Albe, les trois Curiaces ont une soeur, Sabine, mariée à Horace. Dans Rome, les trois Horaces ont une soeur, Camille, fiancée à l'un des Curiaces. On apprend heureusement que les deux villes viennent de remettre l'issue de leur querelle à trois champions, qu'il reste à désigner. ACTE II. - On annonce que Rome a choisi les Horaces, et Albe les Curiaces. Désespoir des fiancés. Joie d'Horace. Douleur de Sabine. Exhortations du vieil Horace. La scène antique et la scène moderne n'offrent rien de comparable à l'art avec lequel le poète a su opposer au fanatisme patriotique d'Horace le caractère plus naturel et plus humain de Curiace, qui, tout en acceptant la loi du devoir, ne peut s'empêcher d'en déplorer la rigueur, Horace ne voit, dans le choix qu'on a fait de lui, pour la défense de Rome, que Ia victoire ou la mort. Tout autre sacrifice lui paraît l'effet d'une valeur commune : Le sort, qui de l'honneur nous ouvre la barrière, Offre à notre constance une illustre matière; Et, comme il voit en nous des âmes peu communes, Hors de l'ordre commun il noue fait des fortunes. ....... Mourir pour la patrie est un si digne sort, Qu'on briguerait en foule une si belle mort; Mais vouloir au public immoler ce qu'on aime, S'attacher au combat contre un autre soi-même, Attaquer un parti qui prend pour défenseur Le frère d'une femme et l'amant d'une soeur, Et, rompant tous ces noeuds, s'armer pour la patrie Contre un sang qu'on voudrait racheter de sa vie, Une telle vertu n'appartenait qu'à nous : L'éclat de son grand nom lui fait peu de jaloux; Et peu d'hommes au mur l'ont assez imprimée Pour oser aspirer à tant de renommée. Curiace, loin d'embrasser son devoir d'un zèle si enthousiaste, déplore la nécessité de le remplir. Il jette, dit-il, un oeil d'envie sur ceux que la guerre a déjà fait périr; il ne reculera pas, mais il s'émeut d'un devoir trop cruel : Et si Rome demande une vertu plus haute, Je rends grâces aux dieux de n'être pas Romain, Pour conserver encor quelque chose d'humain. Horace lui réplique vivement : Si vous n'êtes Romain, soyez digne de l'être. Corneille poursuit jusqu'au bout cette dramatique antithèse, et, loin de s'affaiblir ou de s'épuiser, grandit en éloquence avec la situation. ACTE III. - Camille, Sabine expriment tour a tour ou ensemble leur douleur et l'incertitude de leur coeur. On apprend soudain que le combat est achevé, et une femme qui l'a vu de loin s'empresse de venir annoncer au père des Horaces que de ses trois fils deux sont morts, et que le troisième a pris la fuite. Le noble vieillard s'abandonne à toute sa douleur, non de la mort de ses deux fils, mais de la fuite du troisième. Camille, leur soeur, s'écrie en pleurant : O mes frères! Mais le vieil Horace interrompt : Tout beau, ne les pleurez pas tous : Deux jouissent d'un sort dont leur père est jaloux. Que des plus nobles fleurs leur tombe soit couverte! La gloire de leur mort m'a payé de leur perte... Pleurez l'autre, pleurez l'irréparable affront Que sa fuite honteuse imprime à notre front; Pleurez le déshonneur de toute notre race, Et l'opprobre éternel qu'il laisse au nom d'Horace. JULIE. Que vouliez-vous qu'il fit contre trois? LE VIEIL HORACE. Qu'il mourût... ACTE IV. - Le récit du combat était incomplet et le vieil Horace, courroucé contre ce fuyard, qui est l'époux de Sabine, apprend enfin la vérité entière : la fuite d'Horace n'était qu'une feinte pour séparer ses adversaires, qu'il vient en effet d'immoler successivement. Albe est vaincue et Camille a perdu son amant. A la vue de son frère couvert de la dépouille sanglante de celui qu'elle aimait, Camille ne peut retenir ses larmes et s'exhale en imprécations contre le vainqueur et contre Rome. Le jeune Horace, indigné de la douleur de sa soeur, comme d'un reproche fait à son patriotisme, la perce de son épée; mais le poète, en adoptant le dénouement fourni par l'histoire, a su presque justifier la fureur de l'action par la fureur du défi. Rome, s'écrie Camille : Rome, l'unique objet de mon ressentiment, Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant, Rome, qui t'a vu naître et que mon coeur abhorre, Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore! Puissent tous ses voisins ensemble conjurés Saper ses fondements encor mal assurés, Et si ce n'est assez de toute l'Italie, Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie! Que cent peuples unis des bouts de l'univers Passent pour la détruire et les monts et les mers! Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles, Et de ses propres mains déchire ses entrailles! Que le courroux du ciel, allume pur mes voeux. Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux! Puisse-je de mes yeux y voir tomber la foudre! Voir ses maisons encombre et tes lauriers en poudre! Voir le dernier Romain à son dernier soupir, Moi seule en être cause et mourir de plaisir! ACTE V. - Les magistrats traduisent le meurtrier devant un tribunal. Valère accuse Horace en présence du roi Tullus, et le guerrier se défend à peine : il est prêt à mourir; mais, après quelques scènes languissantes, le vieil Horace, qui vient de perdre ses deux fils et sa fille, se présente et plaide avec une éloquence toute pathétique la cause de son fils : Romains, souffrirez-vous qu'un vous immole un homme Sans qui Rome aujourd'hui cesserait d'être Rome, Et qu'un Romain s'efforce à tacher le renom D'un guerrier à qui tous doivent un si beau nom? Dis, Valère, dis-nous, si tu veux qu'il périsse, Où tu penses choisir un lieu pour son supplice. Sera-ce entre ces murs que mille et mille voix Font résonner encor du bruit de ses exploits? Sera-ce hors des murs, au milieu de ces places Qu'on voit fumer enter du sang des Curiaces, Entre leurs trois tombeaux, et danses champ d'honneur Témoin de se vaillance et de notre bonheur? Tullus ne peut sacrifier le guerrier qui vient de le faire deux fois roi, et lui pardonne en disant : Ta vertu met ta gloire au-dessus de ton crime! « Tous les critiques, et Voltaire à leur tête, dit Geoffroy (Cours de littérature dramatique), se dont récriés contre l'irrégularité de cette pièce [...]. Corneille a été pour lui-même le juge le plus sévère; il condamne, avec la candeur d'un grand homme, le meurtre de Camille, le double péril d'Horace, les plaidoyers du cinquième acte; il regarde même Sabine comme inutile; et Voltaire, qui n'est pas un critique fort tendre, ose être à cet égard moins rigoureux que Corneille. » La vérité est que l'intérêt se trouve divisé en apparence, parce qu'il y a deux pièces : la première, qui tient trois actes, la lutte de Rome et d'Albe et la victoire d'Horace; la seconde, qui remplit les deux derniers actes et qui a pour sujet le meurtre de Camille et la procès d'Horace. Deux actions dans une pièce, c'était un crime de lèse-tragédie; mais que de beautés pour racheter une faute qui pour nous n'en est pas une! « Horace, dit La Harpe, est de tous les ouvrages de Corneille celui où il a dû le plus à son seul génie. Ni les anciens ni les modernes ne lui ont rien fourni; tout est de sa création. Les trois premiers actes pris séparément sont peut-être ce qu'il a fait de plus sublime, et en même temps c'est là qu'il a lois le plus d'art [...]. C'est ce rôle étonnant et original du vieil Horace, c'est le beau contraste de ceux d'Horace le fils et de Curiace qui produisent tout l'effet des trois premiers actes; ce sont ces belles créations du génie de Corneille qui couvrent de leur éclat les défauts mêlés à tant de beautés, et qui conserveront toujours cette pièce à la scène, moins comme une belle tragédie que comme un ouvrage qui, dans plusieurs parties, fait honneur à l'esprit humain, en montrant jusqu'où il peut s'élever sans aucun modèle et par l'élan de sa propre force. » Vers d'Horace fréquemment cités : Je rends grâces aux dieux de n'être pas Romain. Pour conserver encor quelque chose d'humain. (II, III). Si vous n'êtes Romain, soyez digne de l'être. (II, III). Albe vous a nommé; je ne vous connais plus. - Je vous connais encore, et c'est ce qui me tue. (II, III). Faites votre devoir et laissez faire aux dieux. (II, VIII). Que vouliez-vous qu'il fit contre trois? - Qu'il mourût Ou qu'un beau désespoir alors le secourût. (III, VI.) . (PL / H. Clouard). | |