| Louis ("Ludovic") Vitet est un écrivain et homme politique français, né à Paris le 18 octobre 1802, mort à Paris le 5 juin 1873. Sorti de l'Ecole normale (1819), il ne tarda pas à quitter l'enseignement pour la carrière des lettres : les leçons de Jouffroy avaient laissé en lui une ineffaçable empreinte. Il voyagea en Italie et en Suisse avec son ami le comte Duchâtel; à son retour, il débuta au Globe à partir de 1824, en écrivant sur la littérature et l'art; il se montra bientôt l'un des partisans de l'école romantique française dans ses pittoresques et colorées scènes dramatiques des troubles du temps de la Ligue publiées sous les titres de : les Barricades (1826); les Etats de Blois (1827); la Mort de Henri III à Saint-Cloud (1829; réunis en 1844 en 4 volumes sous le titre général : la Ligue). Après la révolution de 1830, Vitet fut nommé par Guizot au poste, créé pour lui, d'inspecteur des monuments historiques (1831); dès lors, il se tourna vers la critique et l'histoire de l'art, et dans ce nouveau domaine montra les mêmes qualités d'originalité et de force. Député depuis 1834, membre du conseil d'Etat en 1836, il partageait son temps entre les travaux littéraires et la politique où il marqua peu. Mais sa Monographie de l'église Notre-Dame de Noyon (1845) est un modèle du genre. En 1849, il publia Eustache Lesueur, sa vie et ses oeuvres, et fut nommé à la suite de cette publication membre de l'Académie des inscriptions (il était depuis 1845 membre de l'Académie française). On lui doit encore : Fragments, et Mélanges (1846), recueil de critique littéraire et d'archéologie; Essais historiques et littéraires (1862); le Louvre (1862), Etudes sur l'histoire de l'art (1863-1864, 4 volumes). - Le Poussin « Quelque temps avant que Simon Vouet quittât l'Italie et vint fonder en France sa grande fortune, on, avait vu s'établir silencieusement à Rome un Français qu'à son air grave et recueilli on aurait pris pour un docteur de Sorbonne, mais dont l'oeil noir lançait, sous un épais sourcil, un regard plein de poésie et de jeunesse. Sa façon de vivre n'était pas moins surprenante que sa personne. On le voyait marcher dans les rues de Rome, ses tablettes à la main, dessinant, en deux coups de crayon, tantôt les fragments antiques qu'il rencontrait, tantôt les gestes, les attitudes, les physionomies des personnes qui se présentaient sur son chemin. Toujours seul, on ne lui connaissait pas même un domestique; seulement il s'asseyait parfois le matin sur la terrasse de la Trinité-du-Mont, à côté d'un autre Français [Claude Gelée, dit Le Lorrain] moins âgé de cinq ou six ans, mais déjà connu pour faire des paysages d'une telle vérité, d'une beauté si neuve et si merveilleuse, que tous les maîtres italiens lui rendaient les armes, et que, depuis deux siècles, il n'a pas rencontré son égal. De ces deux artistes, le plus âgé avait évidemment sur l'autre la supériorité du génie et du talent. Les conseils de Poussin, ses moindres paroles étaient recueillies par Claude, son ami, avec déférence et respect; et cependant, à ne consulter que le prix qu'ils vendaient l'un et l'autre leurs tableaux, le paysagiste avait pour le moment une incontestable supériorité. Qu'on se figure l'effet qu'avait dû produire dans Rome, à cette époque, l'impassible austérité, l'audacieuse indépendance dont l'artiste français faisait profession. En présence de l'orgueil délirant des ateliers, au milieu de leurs triomphes et de leurs colères, proclamer tout haut qu'il regardait comme non avenues toutes les écoles, toutes lés traditions académiques et autres, se faire à soi-même sa méthode, son style, sa poétique, sans vouloir ressembler à personne, c'était évidemment s'exposer à passer pour fou, pour visionnaire, et, qui pis est, à mourir de faim. Toutefois, lorsqu'après avoir bien ri de pitié les gens de bonne foi s'aperçurent que l'artiste n'en était pas ébranlé, qu'il ne transigeait pas, qu'il persévérait comme Galilée, ils furent saisis de vénération pour sa constance, et bientôt il fallut reconnaître que cette constance ne provenait que du génie. Chose vraiment singulière, les opinions régnantes n'en furent pas modifiées; on continua à se livrer à tous les caprices, à toutes les aberrations des idées à la mode, et cependant on fit une place parmi les peintres, et même une place d'honneur, pour cet homme qui protestait contre ces caprices, et qui était la condamnation vivante de ces idées. On l'admit d'abord à titre de penseur et non de peintre; on lui reconnut le droit de parler à l'esprit, sinon de charmer les yeux : c'était un philosophe dont on admirait la morale sans se croire obligé à la pratiquer, un stoïcien à la cour de Néron. Mais, à quelque titre qu'il se fût fait accepter, le grand homme avait accompli son oeuvre, et, après quinze ans d'efforts et de patience (c'est-à-dire vers 1639), il avait acquis dans Rome une célébrité presque populaire. » (L. Vitet, Etudes sur l'histoire de l'art, IIIe série; Eustache Lesueur). | Comme homme politique, il a fait partie de la Chambre des députés de 1834 à 1848, où il a soutenu les principes doctrinaires-conservateurs; comblé d'honneurs par la monarchie de Juillet, il avait oublié son ancien libéralisme et admirait aveuglément Guizot; membre de la Législative en 1849, et de la Constituante en 1871, il appartenait dans ces deux assemblées au parti monarchiste-légitimiste; il était resté à l'écart pendant la durée du du Second Empire. La guerre franco-allemande de 1870-1871 enflamma son chauvinisme : la Revue des deux Mondes publia pendant le siège ses fameuses Lettres sur le siège de Paris qui respirent un invincible optimisme. Après sa mort, on a publié : Etudes philosophiques et littéraires (1874), avec une notice biographique de Guizot, et le Comte Duchâtel (1875). Orateur médiocre et homme politique sans valeur propre, Vitet a conservé une réputation méritée comme écrivain, surtout pour ses travaux sur les beaux-arts; ses premiers livres sont excellents : il a été l'un des premiers critiques à s'occuper à fond de l'architecture et a eu le mérite d'y intéresser le public. (GE). | |