.
-

Le Voyage d'Uraniborg
Jean Picard, 1680 


Article IV

Picard 
L'Île de Huene est fort haute et escarpée, principalement au côté méridional où nous abordâmes. Elle est presque toute rase et unie, s'élevant tant soit peu vers le milieu. J'avais beau jeter les yeux de tous côtés, je n'apercevais dans cette île qu'une vieille église A, quelques habitations de paysans B, et une ferme C (carte ci-dessous), sans qu'il parût rien de l'ancien Uraniborg D. Ce fameux observatoire achevé de bâtir vers la fin de l'année 1580, n'avait subsisté dans son entier qu'environ 20 ans. Tycho, qui ne croyait pas avoir fait un édifice de si peu de durée et qui nous a marqué la figure du ciel qu'il avait choisie pour le moment auquel il fit poser la première pierre, fut obligé d'abandonner sa patrie en l'année 1597, et bientôt après ceux à qui la jouissance du domaine de Huene fut donnée, prirent comme tâche de détruire Uraniborg. Une partie des démolitions fut emportée en divers lieux, et l'autre servit enfin à bâtir dans l'ancienne ferme ou ménagerie de Tycho, un assez beau corps de logis C, qui porte aujourd'hui le nom d'Uraniborg, et qui fut le lieu de notre demeure.

Le fermier de l'île ayant vu les ordres de Suède, nous reçut assez bien, mais il demeura quelques jours sans pouvoir comprendre pourquoi nous étions venus, jusque là qu'il mit quelque soupçon dans l'esprit du gouverneur de Landscrone, et qu'un major venu sous prétexte de curiosité, demeura plusieurs jours avec nous, jusqu'à ce qu'il fut convaincu que n'en voulions qu'au ciel, ainsi qu'il nous confessa depuis.


L'île de Hven.
A la sortie de la ferme, après avoir marché droit au nord environ 320 pas communs dans un lieu vague, on trouve un endroit enfoncé que nous reconnumes être la place du petit observatoire appelé Stelleborg, quoiqu'il n'en restât plus aucune marque que l'enfoncement des terres qui se rapportait au plan que Tycho en a tracé dans sa Mécanique, que nous avions en main.

Avançant de là vers le nord-Nord-ouest, environ à 120 pas communs loin de Stelleborg, et à l'endroit le plus élevé de l'île, on entre dans l'enclos d'un rempart de terre, qui par la figure et par la situation, nous fit juger d'abord que c'était l'ancienne clôture d'Uraniborg. Le côté du nord-est était retranché par un mur qui le joignait à des champs voisins, et paraissait beaucoup moins que les trois autres, ayant été presque effacé par le labourage.

Tycho dit que chaque côté du rempart d'Uraniborg avait 300 pieds de longueur. Nous n'y en trouvâmes qu'environ 290 mesure de Paris; ce qui ne nous étonna pas, parce que nous savions que le pied de Danemark qui est la moitié de l'aune, était plus petit que celui de Paris, selon la proportion de 701 à 720, assez approchante de celle que nous trouvions.

Nous arrivâmes enfin au milieu de cet enclos, où nous trouvâmes assez d'autres marques pour être certains que nous étions à Uraniborg, le contour du bâtiment étant encore marqué par les restes des fondements que je fis découvrir en plusieurs endroits. Mais outre le déplaisir que j'eus d'être obligé de chercher Uraniborg à Uraniborg même, je ne pus voir sans quelque sorte d'indignation, que ce lieu fameux dont il sera parlé pendant qu'il y aura des astronomes, était rempli de vieilles carcasses d'animaux comme une infâme voirie.

Parmi les restes d'Uraniborg, il y avait un caveau découvert fait de briques, bien cimenté, et enduit par dedans. Il était à la partie occidentale tout joignant les fondements qui restaient, et en dehors, ce qui me fit juger qu'il avait servi à recevoir les égouts des toits : mais quel qu'en eût été le premier usage, voyant que le fonds en était bien uni, de niveau, et très solide, je le jugeai tout disposé pour y placer les instruments avec lesquels je voulais observer sur le lieu même d'Uraniborg; c'est pourquoi je le fis enfermer d'une cabane de sapin assez grande pour me servir d'observatoire. La porte qui était du côté du midi, et à un des pignons, donnait vue vers la ferme où nous demeurions. Le faîte avait une longue ouverture, laquelle hors les temps des observations, était fermée avec des toiles goudronnées.

Le quart de cercle et le grand instrument de 10 pieds furent placés au fond de ce nouvel observatoire, avec l'horloge à demi-secondes, laquelle était dans une boite longue qui lui servait de pied : mais la grande horloge à secondes, qui à moins d'être solidement attachée contre un gros mur, et dans un lieu tranquille, n'aurait pas eu toute sa justesse, et placée dans une des chambres de la ferme, qui avait vue sur notre cabane, de sorte que nous pouvions régler une horloge sur l'autre.

Étant à la porte de notre nouvel observatoire, je pouvais non seulement découvrir tous les vaisseaux qui allaient et venaient des deux côtés de l'île, mais j'avais en vue les villes de Copenhague, de Malmoë, de Lunde, de Landscrone, de Helsemborg, de Helseneur, et le château de Crenenborg.

L'horizon  d'Uraniborg est néanmoins un peu borné entre Landscrone et Helsemborg, où il y a quelques montagnes, dont la hauteur apparente est d'environ onze minutes, comme l'on verra ci-après; mais dans tout le reste, on a l'avantage à Uraniborg d'y voir souvent les étoiles jusque dans l'horizon.

Cette particularité est d'autant plus surprenante, que le terrain d'Uraniborg n'a qu'environ 27 toises de hauteur au-dessus du niveau de la mer, au lieu que le haut de l'observatoire royal, où les vapeurs ne laissent jamais voir les étoiles dans l'horizon, est d'environ 48 toises au-dessus du niveau de la mer, et par conséquent plus haut de 21 toises que le terrain d'Uraniborg, supposé le niveau des mers.

Nivellement des environs d'Uraniborg
Levant d'hiver entre Lunde et Malmoë, bas de
10'
Levant équinoxial à la gauche de Landscrone haut de
5'
Montagnes entre le Levant équinoxial et celui d'été, hautes de
11'
Levant d'été, haut de.
64
Septentrion vers Helsemborg, bas de
4'
Couchant d'été, bas de
3'
Couchant équinoxial, bas de
2'
Couchant d'hiver dans le niveau
0'
Côté du midi vers la mer, bas de
13'
Je mets à part les changements qui arrivent à cause des réfractions, et je dirai seulement une chose que nous remarquâmes, en faisant les observations que nous venons de rapporter. Il y a proche de Copenhague une île appelée Amac, dont le terrain qui est assez bas nous était caché par la rondeur de la mer, en sorte néanmoins que nous y découvrions les sommets de quelques arbres. Or venant de pointer le quart de cercle vers l'endroit où ces arbres me paraissaient trancher, j'étais assuré que mon rayon visuel rencontrait l'extrémité visible de la surface de la mer, et néanmoins on aurait dit que ces arbres étaient dans le ciel, et que la mer était terminée bien au deçà de l'endroit où nous savions qu'il fallait pointer. La raison de cette apparence, est que la Mer qui était alors fort unie faisait à notre égard si exactement l'effet du miroir, que nous la confondions avec le ciel.
.


[Littérature][Textes][Bibliothèque]
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2004. - Reproduction interdite.