| Le terme de prescience désigne une connaissance certaine et infaillible de l'avenir, comprise dans l'attribut divin de sagesse suprême. Incapables que nous sommes de faire sur les futurs événements autre chose que de simples conjectures, nous ne pouvons avoir de cette prescience infaillible qu'une idée bien incomplète; mais si nous ne comprenons pas clairement comment elle s'opère, du moins concevons-nous clairement qu'elle est un élément nécessaire de la perfection divine. Dieu, tel que le définissent les religions monothéistes, connaît certainement, de toute éternité, les événements futurs jusque dans leurs plus petits détails. Fénelon peut ainsi écrire : "l'Intelligence infinie connaissant l'infinie et universelle vérité par un seul regard, où il n'y a ni progrès, ni succession, ni distinction, ni divisibilité" (De l'Existence de Dieu). Il n'y a pour Dieu à proprement parler ni passé, ni futur. Cela nous paraît plus subtil que véritablement satisfaisant. Il faut supposer que tous les êtres et tous les événements qui sont, qui ont été, ou qui doivent être, bien qu'embrassés simultanément par Dieu dans un acte unique, permanent et éternel, d'intelligence, ne laissent pas de lui apparaître comme étant les uns présents : "les autres devant, les autres après, par le rapport qu'ils ont entre eux". Dès lors, et malgré la supériorité infinie de cet acte unique sur nos conceptions successives, il n'en reste pas moins, selon cette conception, que Dieu voit et sait les choses comme futures, et nous ne sommes pas plus avancés qu'auparavant. C'est qu'en effet la prescience divine est considérée comme une des vérités qu'une loi de notre intelligence nous ferait concevoir et croire sans les comprendre. En tant qu'elle a pour objet les actions humaines, on l'oppose au libre arbitre, et l'on dit : "Comment peut-il se faire que l'humain garde la libre disposition d'actes que Dieu a prévus de toute éternité? On, si l'humain est libre jusqu'au moment de sa décision et jusque dans sa décision même, comment Dieu peut-il avoir prévu certainement de toute éternité les déterminations qu'il prendrait?" A prendre les choses dans ces termes, et toutes réserves faites sur la question du gouvernement exercé par Dieu sur le monde, ceci n'est, ni dans un sens, ni dans l'autre, une difficulé véritable pour les théologiens, et l'on peut dire que si la prescience divine et le Libre-Arbitre de l'humain sont considérés comme se faisant obstacle l'un à l'autre, cela tient à la confusion de certains mots, de certaines formes de langage, qui expriment deux choses bien différentes, tantôt la simple futurition, et tantôt la nécessité. Ainsi : "cette chose doit être" peut signifier, ou : "telle chose sera", ou : "il est nécessaire que telle chose soit." Dieu, comme intelligence parfaite, sait bien que telle chose sera, bien qu'il n'y ait, à ce qu'elle soit, aucune nécessité. II en est de même des mots certain, et déterminé. Il est certain, absolument parlant, qu'entre différents partis il en est un que je choisirai; mais cette espèce de certitude n'est pas ce qui détermine mon choix, lequel reste jusqu'au dernier moment à ma disposition. Une intelligence imparfaite ignore ce qu'il en sera. Moi-même j'ignore longtemps quel parti je prendrai. Dieu, au contraire, expliquent les théologiens, a prévu comment je choisirais. Mais sa prévision, bien qu'antérieure, en fait, à ma décision, ne laisse pas de lui être logiquement postérieure, puisqu'en réalité ce n'est pas ma décision qui se règle sur sa prévision, mais au contraire sa prévision qui a été, de toute éternité, formée sur mon choix futur. En un mot, la certitude avec laquelle Dieu prévoit les actions libres des humains ne leur ôte pas plus leur caractère que ne le fait aux actions passées la certitude de nos souvenirs. Voilà, en résumé, ce qu'on a pu répondre aux objections contre le Libre Arbitre, tirées exclusivement de la Prescience divine. (B-e.). | |