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La littérature didactique

Dans son sens le plus large, la littérature didactique, conformément à l'étymologie, comprendrait toutes les oeuvres en vers dont l'auteur se propose d'instruire ses lecteurs : la satire, la fable, l'épître morale y seront comprises aussi bien que les théogonies, les poèmes gnomiques, les arts poétiques et une foule d'autres écrits. Nous restreindrons le genre aux oeuvres purement scientifiques ou techniques, ou le but unique et avoué du poète est d'exposer certaines connaisssances ou de donner directement des préceptes. C'est un genre qui se développa naturellement aux époques avancées et de littérature artificielle. Il est rare d'ailleurs que les travaux d'école ne soient pas, jusqu'à un certain point, l'imitation de quelques oeuvres anciennes et originales. 

L'Antiquité.
Ainsi les didactiques de l'école d'Alexandrie ont pour précurseurs Hésiode et les philosophes tels que Parménide et Empédocle, qui, pour exposer leurs doctrines, s'étaient servis du vers, la prose ne leur paraissant pas un instrument suffisamment noble. Eux-mêmes, ayant à leur disposition toutes les ressources d'une langue et d'une versification raffinées, se plurent à exposer, pour l'instruction et le plaisir de contemporains assez éclairés pour les comprendre, les faits et les théories de sciences diverses. L'astronomie, la médecine, l'histoire naturelle fournirent le plus souvent la matière.

C'est Aratus qui ouvre la série avec ses Phénomènes, tant de fois traduits par les Romains; puis Eratosthène reprit le même sujet dans un Hermès qui fut loin d'avoir le même succès. Un peu plus tard, Nicandros prit pour sujet d'un poème les morsures des bêtes venimeuses et les moyens de secours contre les poisons. Il composa aussi des Géorgiques que Virgile utilisa, et des descriptions de divers pays. Cette littérature continua de se développer jusque sous les empereurs de Constantinople et durant tout le Moyen âge; les ouvrages ou les fragments de cette longue période méritent à peine d'être nommés. Citons, pour la curiosité, Archestrate, le Gastronome; au IIe siècle, Dionysos, qui parle des oiseaux et des pierres précieuses; Noumenios, qui écrit sur la pêche; Marcellus de Sida, qui fait un livre sur les poissons; au IIIe siècle, Oppius, qui montre un talent relatif dans son poème sur la pêche; Pancratès, qui écrivit sur les travaux de la mer; Héliodore, sur les poissons; Philon, sur l'antidote; Andromachos, sur le baume tranquille; Manoël de Phile, sur les propriétés des animaux (IVe siècle). Au même genre et à la même période se rattachent le recueil de chants orphiques sur les pierres et le poème astrologique du Faux Manéthon.

Les Romains, dans le genre didactique, ont non seulement dépassé les Alexandrins, leurs modèles, par le talent des poètes qui l'ont cultivé et la variété de leurs ouvrages, mais ils s'y sont élevés à un degré de perfection et d'indépendance qu'ils n'ont guère atteint que sur ce domaine. Leur esprit utilitaire et leur patriotisme les portaient naturellement à versifier pour instruire et pour servir les intérêts privés et publics. Avant même qu'ils ne fussent devenus les imitateurs et les continuateurs des Grecs, leurs dispositions à cet égard se manifestent par les conseils donnés en vers saturnins par un paysan à ses fils, par les préceptes versifiés d'Appius Claudius et de Caton l'Ancien. Ennius, le grand initiateur, composa divers écrits didactiques; Lucilius ouvrit réellement la voie des poèmes techniques, et l'orthographe même lui servit de matière. Accius traita en vers des questions d'histoire littéraire et eut de nombreux imitateurs. Varron d'Atace donna l'exemple des poèmes astronomiques; Cicéron traduisit les oeuvres d'Aratus, pendant que Lucrèce composait son poème philosophique. Mais il appartenait à Virgile et à Ovide de fixer les règles d'un genre dont ils ont donné les modèles les plus accomplis. Tous les deux relèvent sans doute des poètes alexandrins, mais ils ont animé d'un souffle puissant et personnel ce genre de composition tout artificiel. Ils traitent dans les Géorgiques, les Fastes, l'Art d'aimer, etc., des sujets qui touchent de près aux intérêts les plus chers de Rome, à ses gloires nationales et à la vie de la société cultivée. 

Tout en versifiant des préceptes, ils puisent aux sources vives de la poésie, et parsèment leurs écrits de faits, de tableaux, de peintures morales, qui ne sont pas indignes de la poésie épique et lyrique. Du temps d'Ovide un certain nombre de contemporains imitèrent servilement les didactiques alexandrins dans des oeuvres de versification sans élévation ni originalité : tels sont les poèmes de Valgius Rufus, d'Emilius Macer, de Gratius Faliscus, de Manilius. Sous l'Empire, le goût des Romains pour ce genre de composition ne put que se maintenir et se développer grâce à la foule des écrivains amateurs qui, désintéressés des affaires publiques et privés des grands sujets, se livrèrent à des exercices exigeant seulement quelques études et du savoir-faire. L'époque impériale produisit donc encore l'Etna, la traduction d'Aratus par Germanicus, le poème de Columelle sur les jardins; le IVe siècle donna le jour au poème de Palladius, De Re rustica, à la Moselle d'Ausone, à la Description de la Terre d'Avienus. Les poètes chrétiens composèrent des oeuvres dogmatiques en vers ou des descriptions de voyages; dans cette dernière catégorie se place l'Itinéraire de Rutilius Namatiamus; dans la première, les écrits de Prudence, de Dracontius, d'Avitus. Moins poétiques encore sont les traités des grammairiens, véritables poèmes mnémoniques, tels qu'en produisirent Terentianus Maurus, Caesius Bassus, Albinus, Rufinus d'Antioche, ou les livres des médecins tels que Serenus Samonicus, Flavius, Vindicianus, etc. 

Le Moyen âge.
Le Moyen âge s'est vivement intéressé aux différentes sciences, bien qu'il les ait cultivées avec plus de passion que de bonheur. Les oeuvres didactiques qu'il nous a laissées sont nombreuses; mais elles ne se distinguent en général ni par leur valeur scientifique, ni par leur valeur littéraire; elles tirent leur principal intérêt des renseignements qu'elles peuvent nous fournir pour l'histoire de la société et de ses valeurs ou pour l'étude du développement de l'esprit humain.

Dans l'ordre des sciences naturelles, il faut signaler les computs, sortes de livres d'astronomie populaire et religieuse; les lapidaires, consacrés à la description des pierres précieuses; les bestiaires, qui nous dépeignent les moeurs des animaux.

Un des premiers auteurs de ce ce genre d'ouvrages est Philippe de Thaun (XIIe s.), à qui on doit un  Livre des Créatures et un Bestiaire, ouvrages présentés comme des traductions du latin. Le Livre des Créatures, dit Demogeot, est un traité de chronologie pratique. L'auteur y traite des jours de la semaine, des mois solaires et lunaires, des phases de la Lune, des éclipses, des signes du zodiaque. Il cite souvent Pline, Ovide, Macrobe, St Augustin. Ce serait un poème didactique, si ce n'était plutôt un almanach rimé. Quant à son bestiaire, comme tous les autres traités portant ce titre, il est versifié et la description des animaux qu'il contient n'est qu'un prétexte à  l'exposition de légendes, d'allégories, de comparaisons bibliques et de réflexions morales.

Après Philippe de Than, les auteurs les plus connus de bestiaires sont Guillaume, clerc de Normandie, qui vivait sous Philippe-Auguste et Richard de Fournival, avec son Bestiaire d'amour. On petit y joindre le poète Guillaume Osmond (ou Osmont), qui composa, sous les titres de Volucraire et de Lapidaire, des traités en vers sur les oiseaux et sur les pierres, dans lesquels on trouve plus d'allégories et de moralités que d'observations positives. Ainsi, il n'est question, dans le Volucraire, que de l'autour, du paon, de la tourterelle et des passereaux qui font leur nid sur le cèdre du Liban. 

L'Image du Monde, de Gautier de Metz, appartient à la même branche de poèmes. C'est un traité de géographie, où se trouvent, par surcroît, des notions d'astronomie, d'histoire naturelle, de physique et de métaphysique, c.-à-d. une sorte de résumé de toutes les sciences enseignées dans les écoles du Moyen âge

Mentionnons également un poème du Lunidaire, dont l'auteur n'est pas précisément connu, et dans lequel il est question des éléments, des anges, du Diable, de l'Humain, du Paradis, de Jésus-Christ et de ses actions, du baptême, de l'Eglise, des divers états et professions. 

Les traités de morale proprement dite n'étaient pas moins en faveur. Les chastoiements, comme le Chastoiemnent d'un père à son fils, faisaient l'office de des morales pratiques modernes. 

On range aussi parmi les oeuvres didactiques le Miserere et le Roman de Charité, du Reclus de Moiliens. Parmi tous les auteurs de livres, d'enseignement, il en est deux qui se détachent, Beaumanoir, magistrat et jurisconsulte, et Brunetto Latino, qui fut le maître de Dante.

Les Temps modernes.
Toutes les littératures modernes ont vu éclore des oeuvres didactiques. En France, le XVIIIe siècle, qui est avant tout une époque de philosophie et de polémique, c.-à-d. de prose, mais qui possède par héritage une culture littéraire raffinée et qui donne naissance à beaucoup de talents poétiques à défaut de génies, une langue capable de tout exprimer avec élégance et noblesse, vit un développement singulier de la poésie didactique. C'est alors que Louis Racine donna ses poèmes de la Grâce et de la Religion; Voltaire, ses Discours en vers sur l'homme, sa Loi naturelle; Saint-Lambert, ses Saisons; Lemierre, sa Peinture et ses Fastes; Demoustier, ses Lettres à Emilie sur la mythologie, mêlées de prose et de vers; Boucher, ses Mois. C'est alors que le genre didactique arrive en quelque sorte à son apogée avec Delille, grâce à l'élégance et à l'ingéniosité qui ne l'abandonnent jamais dans sa traduction des Géorgiques et dans ses poèmes originaux. (A. Waltz).

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