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La langue yiddish
Le yiddish est généralement classé parmi les langues germaniques en raison de son origine et de sa structure linguistique. Cependant, il est assez unique parmi ces langues en raison des influences diverses qu'il a subies et de son développement historique particulier. Le yiddish trouve ses racines dans les dialectes germaniques médiévaux, en particulier ceux parlés par les Juifs ashkénazes en Europe centrale et orientale. Il partage donc de nombreux traits linguistiques communs avec d'autres langues germaniques, et plus spécialement avec l'allemand dont il peut être vu comme un dialecte.

Sur le plan grammatical, le yiddish partage de nombreuses similitudes avec l'allemand, notamment dans sa syntaxe, sa morphologie et sa conjugaison verbale (cas grammaticaux, éclinaisons et conjugaison verbale assez complexe). Cependant, la grammaire yiddish est également influencée par l'hébreu et l'araméen dans certains aspects. Pour ce qui est de son son vocabulaire, le yiddish trouve ses racines dans le haut allemand médiéval, mais il a aussi emprunté un certain nombre de mots à d'autres langues, notamment l'hébreu, parfois l'araméen et aussi des éléments de langues slaves (polonais, le russe, etc.) et même romanes (espagnol). Cela peut donner l'impression que le yiddish est une langue hybride avec des influences multiples.

Le yiddish s'écrit généralement en utilisant l'alphabet hébreu, bien que certaines adaptations aient été faites pour refléter les sons spécifiques du yiddish. Cela le distingue des autres langues germaniques qui utilisent l'alphabet latin.

Avant la Seconde Guerre mondiale, le yiddish était parlé par des millions de personnes en Europe de l'Est, principalement dans les territoires qui ont été les plus touchés par l'Holocauste. Après la guerre, de nombreux locuteurs natifs ont été tués et d'autres ont émigré vers d'autres pays, principalement en Amérique du Nord et en Israël. Aujourd'hui, le nombre de locuteurs de yiddish est considérablement réduit, et la dispersion des locuteurs  yiddishophones rend difficile l'estimation de de leur nombre. Les estimations varient entre 1,5 et 2 millions de personnes dans le monde qui comprennent ou parlent le yiddish, bien que le nombre de locuteurs natifs soit beaucoup plus faible. La plupart des locuteurs de yiddish sont des membres de communautés juives orthodoxes, des historiens, des linguistes ou des personnes intéressées par la culture juive et son héritage linguistique.

Grammaire du yiddish.
Le yiddish a un système verbal assez complexe, avec des conjugaisons régulières et irrégulières, ainsi que des formes verbales pour exprimer des nuances telles que le parfait, l'imparfait et le futur.

Comme en allemand, le yiddish utilise les genres grammaticaux masculin, féminin et neutre pour les substantifs. Les substantifs sont déclinés selon le cas grammatical (nominatif, accusatif, datif et génitif) et le nombre (singulier et pluriel). Les verbes  sont conjugués en fonction de la personne (première, deuxième, troisième) et du nombre (singulier et pluriel), ainsi que du temps (présent, passé, futur) et du mode (indicatif, conditionnel, impératif). La syntaxe du yiddish peut différer légèrement de celle de l'allemand standard. Par exemple, l'ordre des mots peut être flexible dans certaines constructions, avec une préférence pour le verbe à la fin de la phrase dans les clauses subordonnées.

En raison de son héritage linguistique, le yiddish emprunte également certains éléments de la grammaire hébraïque, tels que l'emploi des prépositions et des conjugaisons verbales. Dans certains dialectes du yiddish, notamment dans les régions de l'Europe de l'Est, on trouve des influences grammaticales et lexicales du slavon, ce qui peut se refléter dans certaines structures syntaxiques et formes verbales.

Phonologie du yiddish.
Le yiddish possède un inventaire de consonnes relativement large. Il comprend des consonnes labiales, dentales, palatales, vélarisées et uvulaires. Certaines de ces consonnes peuvent subir des processus d'aspiration (rendant le son plus doux) ou de palatalisation (influencée par les consonnes palatales).

Il existe un ensemble de voyelles similaires à celui de l'allemand, comprenant des voyelles longues et brèves, ainsi que des diphtongues. On constate également des variations dialectales dans la prononciation des voyelles.

Comme en allemand, le yiddish a un accent tonique qui peut varier selon les mots et les dialectes. En général, l'accent tonique tombe sur la première syllabe du mot.

La phonologie du yiddish a été influencée par l'hébreu, notamment dans la prononciation de certains sons et l'accentuation de certains mots. En fonction de la région et du dialecte, le yiddish peut également présenter des emprunts phonologiques aux langues voisines (polonais, russe et ukrainien, en particulier).

Les dialectes du yiddish.
Le yiddish a plusieurs dialectes, que le l'on peut distribuer dans deux groupes principaux, le yiddish oriental (parlé en Europe de l'Est) et le yiddish occidental (parlé en Europe centrale). On rangera à part le yiddish hassidique, associé aux communautés hassidiques et présentant des caractéristiques distinctes en raison de l'influence du mouvement hassidique sur la langue.

Avec les migrations et les changements historiques, notamment la Shoah ( = l'Holocauste), de nombreux dialectes du yiddish ont été en grande partie perdus ou ont évolué vers des formes plus standardisées à mesure que les communautés juives se déplaçaient et se mélangeaient. Aujourd'hui, ces dialectes sont rarement utilisés comme langue principale et sont d'abord préservés dans les écrits et les enregistrements historiques.  De façon générale, la plupart des locuteurs de yiddish utilisent une forme standardisée de la langue, bien que des traces des dialectes régionaux puissent encore être présentes dans certains contextes linguistiques et culturels.
Les dialectes du yiddish oriental.
Le yiddish oriental était parlé par les Juifs d'Europe de l'Est, notamment en Lituanie, en Biélorussie, en Ukraine et en Lettonie. Il se caractérise par une influence lituanienne et une prononciation particulière de certains sons.
• Le litvish (ou litvak). - Ce dialecte est spécifique à la Lituanie et à la Lettonie et se distingue par des particularités phonologiques et lexicales propres à cette région. Le yiddish litvish a tendance à être plus conservateur dans ses structures linguistiques et son vocabulaire par rapport à d'autres dialectes du yiddish. Il conserve souvent des traits archaïques et des formes linguistiques anciennes.Par rapport à d'autres dialectes yiddish, il peut ainsi présenter des variations dans la réalisation des voyelles et des consonnes. Son vocabulaire est influencé par les particularités culturelles et linguistiques de la région de Lituanie. En raison de son utilisation dans des contextes religieux et d'étude, le litvish contient des emprunts lexicaux à l'hébreu et à l'araméen. Ce dialecte a une tradition littéraire riche, comprenant des Å“uvres dans divers genres tels que la poésie, la prose, la philosophie et la théologie. 

• Le galitzianer (yiddish galicien). - Ce dialecte était parlé dans la région de Galicie, qui a longtemps fait partie de l'Empire austro-hongrois et qui est maintenant partagée entre la Pologne et l'Ukraine. Le yiddish galicien a été influencé par des éléments linguistiques du polonais et de l'ukrainien. Cela se reflète dans le vocabulaire, la grammaire et la phonologie de la langue. 

• Le yiddish ukrainien. - Ce dialecte, comprenant des sous-dialectes régionaux, était parlé par les Juifs d'Ukraine et présente des similitudes avec les autres dialectes du  yiddish oriental mais il existe des différences dans la prononciation de certains sons par rapport à d'autres dialectes yiddish et dans lesquelles on reconnaît les influences des phonologies de l'ukrainien et d'autres langues de la région. Le yiddish ukrainien fait aussi des emprunts lexicaux à l'ukrainien. Ce dialecte a une tradition littéraire distincte, bien que moins développée que celle d'autres dialectes du yiddish. 

Les dialectes orientaux du yiddish ont été influencés par les langues baltes et slaves en raison de la proximité géographique et de l'interaction avec les populations slaves. Cela se reflète dans le vocabulaire, la syntaxe et la phonologie. Ils tendent à conserver les consonnes gutturales plus que les dialectes occidentaux. Des consonnes comme /k/, /kh/, /ch/ sont prononcées de manière distincte et sont plus fréquemment présentes dans le lexique. Les dialectes orientaux peuvent avoir tendance à réduire les voyelles dans certaines positions, ce qui peut parfois rendre le langage plus concis ou rapide.

Les dialectes du yiddish occidental.
Le yiddish occidental était parlé par les Juifs d'Europe centrale, principalement en Allemagne, en Autriche, en Pologne et en Tchécoslovaquie. Il se distingue par une prononciation différente de certains sons et des influences lexicales propres à ces régions.

• Le yiddish allemand (Yiddish Hochdeutsch) est la variante principale du yiddish occidental. Il est parlé principalement en Allemagne, mais également en Autriche et en Suisse. Le yiddish allemand a une tradition littéraire riche, qui se déploie dans tous les genres.
• Le yiddish néerlandais (Yiddish Niderlandish) est une variante du yiddish parlée par les Juifs vivant aux Pays-Bas, et est nfluencé par le néerlandais. Sa tradition littéraire est moins développée que celle du yiddish allemand.

• Le yiddish américain est le dialecte du yiddish parlé aux États-Unis, avec des variations régionales dues à l'immigration juive en provenance de différentes parties de l'Europe de l'Est. Ce dialecte a été fortement influencé par l'anglais. Cette influence se reflète dans le vocabulaire, la grammaire et la phonologie de la langue. Les locuteurs de yiddish américain sont connus pour leur utilisation fréquente du code-switching, passant fluidement entre l'anglais et le yiddish dans la même conversation ou même dans la même phrase. Malgré l'influence de l'anglais, le Yiddish américain reste une langue importante pour la transmission des traditions culturelles, religieuses et familiales juives ashkénazes aux États-Unis.

Les dialectes occidentaux du yiddish ont subi une plus grande influence de l'allemand que les dialectes orientaux, et corrélativement sont moins marqués par l'influence des langues balto-slaves. Cela se manifeste dans le vocabulaire emprunté à l'allemand ainsi que dans la syntaxe et la structure des phrases. Les dialectes occidentaux du yiddish se distinguent aussi par la prononciation des consonnes par rapport aux dialectes orientaux. Par exemple, certains sons gutturaux peuvent être moins fréquents ou absents dans les dialectes occidentaux. Bien que le yiddish occidental soit généralement moins influencé par l'hébreu que le yiddish oriental, il peut quand même contenir des emprunts lexicaux et des expressions hébraïques, en particulier dans les contextes religieux ou culturels.

Le yiddish hassidique.
Le yiddish hassidique est une variante spécifique de la langue yiddish, qui est parlée principalement par les communautés hassidiques. 

Le hassidisme est un mouvement juif orthodoxe fondé au XVIIIe siècle en Europe de l'Est. Les hassidim ont développé leur propre culture, traditions et langage, et le yiddish hassidique est une composante importante de cette identité culturelle.
Le yiddish hassidique est souvent caractérisé par son utilisation de termes et d'expressions hébraïques et araméennes, ainsi que par son accent et ses intonations particuliers. Il incorpore également des éléments un ensemble d'expressions idiomatiques propres aux traditions et aux enseignements hassidiques. Ces expressions peuvent être utilisées pour transmettre des idées religieuses, philosophiques ou morales. Cette forme de yiddish est généralement transmise de manière orale au sein des communautés hassidiques, bien qu'il puisse également être utilisé dans des textes religieux et littéraires. De nos jours, le yiddish hassidique reste vivant principalement dans les communautés hassidiques du monde entier, en particulier en Israël, aux États-Unis, au Canada et en Europe.

Histoire de la langue et de la littérature yiddish.
Le yiddish s'est constitué à partire d'un mélange de dialectes allemands médiévaux, avec des influences hébraïques, araméennes et des langues slaves et romanes. Au cours des siècles, il s'est développé en tant que langue vernaculaire des Juifs ashkénazes originaires principalement d'Allemagne et des régions avoisinantes puis d'Europe centrale et orientale. Dans le même temps, les Juifs ashkénazes ont été soumis à des persécutions et à des expulsions de différentes régions d'Europe. Cela a entraîné la dispersion des locuteurs de yiddish dans toute l'Europe, ainsi que des contacts avec d'autres langues et cultures. 

Le yiddish a aussi été dès cette époque la langue de la littérature, de la poésie, du théâtre et de la chanson pour les communautés juives d'Europe centrale et orientale, et le restera pendant des siècles. Au Moyen Âge, les oeuvres en yiddish sont des textes religieux, des poèmes liturgiques et des récits populaires.

Aux XVIe et XVIIe siècles, le yiddish a connu une période de floraison littéraire avec l'émergence de la poésie, des contes, des fables et des pièces de théâtre. Parmi les premières oeuvres importantes, on trouve des textes comme le Tseno Ureno (ou Tz'enah Ur'enah), de Jacob ben Isaac Ashkenazi (1550-1625), un commentaire biblique écrit en yiddish. Elia Levita (1469- 1549), auteur du Sefer Hazikhronot (1536) et du Massoret HaMassoret (1538) a également  contribué à cette période créative.

Au XVIIIe siècle, le yiddish a été influencé par le mouvement de la Haskala (lumières), qui a promu l'éducation, la rationalité et la modernité parmi les Juifs ashkénazes. En parallèle, le mouvement hassidique a produit une riche littérature mystique et morale en yiddish. Parmi les noms qui ressortent de cette mouvance, on mentionnera Moses Mendelssohn (1729-1786) et  le dramaturge Yitsklalk Eichel (1756-1804).

Aux XIXe et au début du XXe siècle, le yiddish a atteint son apogée en tant que langue véhiculaire des Juifs ashkénazes en Europe de l'Est, avec des millions de locuteurs. Cependant, avec les bouleversements politiques, sociaux et linguistiques du  XXe siècle, notamment l'Holocauste et l'assimilation, le yiddish a connu un déclin dramatique en tant que langue parlée. Pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux écrivains yiddish ont péri dans l'Holocauste, mais certains ont survécu pour témoigner de l'expérience traumatisante de l'extermination nazie. Après la guerre, la littérature yiddish a continué à se développer, bien que dans un contexte d'assimilation et de déclin démographique.

Malgré son déclin en tant que langue de communication quotidienne, le yiddish a connu un renouveau dans le cadre de mouvements de préservation culturelle. Des efforts ont été déployés pour enseigner et préserver le yiddish en tant que langue littéraire, culturelle et liturgique.  Des écrivains tels que Sholem Aleichem, Isaac Bashevis Singer, et Peretz Markish ont émergé, produisant des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre et de la poésie qui ont connu une reconnaissance internationale. Aujourd'hui, le yiddish est principalement utilisé dans des contextes culturels, littéraires, académiques et religieux. Il est enseigné dans certaines institutions et universités et fait partie intégrante de l'héritage culturel juif. 

Quelques repères :

• Sholem Yankev Abramovits (1836-1917) et un auteur des Contes, qui sont parmi les premières oeuvres importantes de la littérature yiddish moderne et sont souvent considérés comme le début de la renaissance littéraire yiddish.

• Isaac Leib Peretz (1856-1915) est l'auteur de Der Kuntsenmakher (Le Magicien, 1917), inspiré du folklore hassidique, et surtout de Bontshe Shvayg ( Bontshe le silencieux), une nouvelle célèbre sur un homme pieux et humble qui est récompensé après sa mort.

• Shalom Ansky (1863-1920) est l'auteur de Dibbouk (1917), une pièce emblématique du théâtre yiddish et raconte l'histoire d'un esprit vengeur qui possède une jeune mariée le jour de son mariage. 

• Israel Joshua Singer (1893-1944) est l'auteur des Frères Ashkenazi (1933), un roman épiquequi  raconte l'histoire de deux frères juifs dans la ville de Lodz, en Pologne, au tournant du XXe siècle, et offre un aperçu de la vie juive en Europe de l'Est.

• Isaac Bashevis Singer (1904-1991), frère du précédent, est l'auteur notamment du Magicien de Lublin (1958), de Gimpel le naïf (1957) et de L'esclave (1962). Il a remporté le prix Nobel de littérature en 1978. 

• Sholem Aleichem (1859-1916) est l'auteur de Tevye le laitier, une série de récits qui sont l'une des inspirations de  la comédie musicale Un violon sur le toit  (de Joseph Stein, Sheldon Harnick et Jerry Bock).

• Chaim Grade (1910-1982) est l'auteur de Die Agune  (L'Agounah, 1961), un roman qui explore les thèmes du mariage et de la fidélité dans une communauté juive traditionnelle.

• Moyshe Leyb Halpern (Leivik Halpern, 1885-1932) est notamment l'auteur de À New York : une sélection (publié en France en 1982), une collection de poèmes qui reflète la vie et les défis des immigrants juifs à New York.

• Abraham Sutzkever (1913-2010), auteur de Di festung (La forteresse, 1945), un recueil de poèmes qui témoignent de son expérience de la Shoah et de sa résistance contre les nazis dans le ghetto de Vilna.

 â€¢ Yitzhak Katzenelson (1886-1944) est l'auteur de Dos lid fun oysgehargetn yidishn folk (Le chant du peuple juif assassiné»), un poème épique écrit en réaction à l'Holocauste.

 â€¢ Der Nister (Pinhas Kahanovich) est l'auteur de Di mischpoche Maschber (La famille Mashber, 1939-1948 ), un roman en plusieurs volumes qui explore les conflits et les tragédies d'une famille juive à la fin du XIXe siècle.
• Sholem Asch (1880-1957) est l'auteur d'une trilogie, Le Nazaréen (1939), l'Apôtre (1943) et Marie (1949) qui raconte la vie de Jésus et reprend des épisodes relatés dans le Nouveau Testament du point de vue historique et juif.

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