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La Suite du Menteur, de Corneille

La Suite du Menteur est une comédie en cinq actes et en vers, de P. Corneille. Elle est empruntée au théâtre espagnol; Corneille a imité une comédie de Lope de Vega intitulée Amar sin saber à quien (Aimer sans savoir qui),  la supériorité étant restée à l'original. Les fantaisies mensongères du jeune Garcia dans le Menteur d'Alarcon n'ont rien de commun avec la dissimulation généreuse du don Juan de Lope de Vega, et si Corneille a fait ce rapprochement en intitulant sa comédie la Suite du Menteur, ce n'est que par un faux calcul de succès.

Représentée vers la fin de 1644, sur le théâtre du Marais, la pièce,  plus romanesque et moins comique que le Menteur, ne réussit pas : et elle ne se releva que lors de la reprise, quatre ou cinq ans après. Cependant Voltaire l'appréciait et pensait qu'avec quelques habiles modifications, on en ferait une pièce supérieure au Menteur.

Andrieux tenta l'aventure; il en fit une comédie en quatre actes qui obtint un certain succès sur le théâtre Louvois (1803); mais, mécontent de son adaptation, il la rétablit en cinq actes avec de nouveaux changements (1810). 

Nous retrouvons ici, comme le titre l'indique, les personnages du Menteur, à commencer par, Dorante et Cliton, son valet, qui est le type du valet raisonneur de Don Juan. Dorante s'est amendé au bout de deux ans, et il a bien fait; car, au lieu d'épouser Lucrèce, il s'était enfui en Italie avec la dot qu'en lui avait comptée; Dorante ne ment plus, et s'il lui arrive de ne pas dire la vérité, c'est par vertu, par héroïsme. Ainsi transformé, le héros intéresse et touche, mais il ne fait plus rire. Les mots plaisants ou qui veulent l'être se trouvent dans la bouche de Cliton. Dorante, revenant d'Italie, est arrêté à Lyon et emprisonné pour un duel auquel il n'a pas pris part. Il connaît le vrai coupable, Cléandre. Mais sa générosité l'empêche de le nommer. 

La soeur de Cléandre, Mélisse, touchée de sa belle conduite, lui envoie par sa suivante Lyse de l'or et des confitures, puis elle va le voir elle-même dans sa prison sous un déguisement de lingère. Délivré par l'intercession de son ami Philiste, il se hâte d'aller entretenir Mélisse sous son balcon, tandis que son valet, Cliton, éloigne par une feinte un autre amoureux de la belle. Mais bientôt Dorante découvre que cet amoureux n'est autre que Philiste, son bienfaiteur et maintenant son rival. Il veut renoncer à sa maîtresse et fuir la ville; mais, luttant de générosité avec lui, Philiste le retient et lui abandonne l'amour de Mélisse en le pressant d'épouser la jeune fille.

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Cliton apprend à Dorante le succès
de la comédie du Menteur

[Dorante, à la fin de la comédie du Menteur, s'était enfui pour ne pas épouser Lucrèce. Deux ans après, Cliton, son valet, retrouve son maître dans « la maison du roi », c'est-à-dire en prison, à Lyon, où celui-ci a été enfermé à la suite de nouvelles aventures. Dorante apprend à Cliton qu'il est sur le point d'obtenir la main de Mélisse, soeur d'un gentilhomme de Lyon. à laquelle il n'a pas caché son nom. Cliton lui reproche alors d'avoir divulgué un nom devenu trop célèbre, depuis que son histoire a fourni à un poète le sujet d'une comédie dont tout Paris s'entretient.]

DORANTE, CLITON.

« CLITON.
.... Mais, monsieur, votre nom 
Lui deviez-vous l'apprendre et sitôt?

DORANTE.
 Pourquoi non?
J'ai cru le devoir faire, et l'ai fait avec joie.

CLITON.
Il est plus décrié que la fausse monnoie.

DORANTE.
Mon nom?

CLITON. 
Oui : dans Paris, en langage commun, 
Dorante et le Menteur à présent ce n'est qu'un; 
Et vous y possédez ce haut degré de gloire 
Qu'en une comédie on a mis votre histoire.

DORANTE.
En une comédie?

CLITON. 
Et si naïvement,
Que j'ai cru, la voyant, voir un enchantement. 
On y voit un Dorante avec votre visage,
On le prendrait pour vous; il a votre air, votre âge,
Vos yeux, voire action, votre maigre embonpoint,
Et paraît, comme vous, adroit au dernier point. 
Comme à l'événement j'ai part à la peinture; 
Après votre portrait on produit ma figure. 
Le héros de la farce, un certain Jodelet,
Fait marcher après vous votre digne valet; 
Il a jusqu'à mon nez, et jusqu'à ma parole,
Et nous avons tous deux appris en même école 
C'est l'original même, il vaut ce que je vaux;
Si quelque autre s'en mêle, on peut s'inscrire en faux
Et tout autre que lui dans cette comédie 
N'en fera jamais voir qu'une fausse copie. 
Pour Clarice et Lucrèce, elles en ont quelque air;
Philiste avec Alcippe y vient vous accorder.
Votre feu père même est joué sous le masque.

DORANTE.
Cette pièce doit être et plaisante et fantasque. 
Mais son nom?

CLITON.
Votre nom de guerre, le Menteur.
DORANTE.
Les vers en sont-ils bons? fait-on cas de l'auteur?

CLITON.
La pièce a réussi, quoique faible de style;
Et d'un nouveau proverbe elle enrichit la ville;
De sorte qu'aujourd'hui, presque en tous les quartiers,
On dit, quand quelqu'un ment, qu'il revient de Poitiers. 
Et pour moi, c'est bien pis, je n'ose plus paraître. 
Ce maraud de farceur m'a fait si bien connaître, 
Que les petits enfants, sitôt il qu'on m'aperçoit, 
Me courent dans la rue, et me montrent au doigt; 
Et chacun rit de voir les courtauds de boutique, 
Grossissant à l'envi leur chienne de musique, 
Se rompre le gosier, dans cette belle humeur, 
A crier, après moi, le Valet du Menteur!
Vous en riez vous-même!

DORANTE.
Il faut bien que j'en rie.

CLITON.
Je n'y trouve que rires, et cela vous décrie, 
Mais si bien, qu'à présent, voulant vous marier, 
Vous ne trouveriez pas la fille d'un huissier. »
 

(Corneille, La Suite du Menteur, Acte I, scène III).

L'intrigue, bien conduite, est romanesque mais manque de gaieté; la plupart des scènes sont faites avec art et quelques-unes sont attachantes. La pièce est décousue
et languissante dans ses derniers actes. 

Le style, net et facile, est le même que celui du Menteur. On y trouve la tirade célèbre sur la sympathie ou la prédestination en amour. Cette pièce n'est donc pas sans mérite; on y a vu même l'esquisse du genre cultivé par Destouches, genre qui n'est plus la comédie et qui n'est pas encore le drame. Cependant le succès de cette pièce n'a jamais été brillant. 

Si la Suite est tombée, quelques vers en sont restés célèbres. La fameuse tirade de Mélisse sur la sympathie ou la prédestination en amour fut très remarquée : «-Beaucoup de gens d'esprit n'ont pas dédaigné d'en charger leur mémoire », dit Corneille , et Voltaire confirme son dire : « Presque tous les connaisseurs la savent par coeur. »

Voici le passage (a. IV, sc. I) :

MÉLISSE.
Quand les ordres du ciel nous ont fait l'un pour l'autre, 
Lyse, c'est un accord bientôt fait que le nôtre. 
Sa main entre les coeurs, par un secret pouvoir, 
Sème l'intelligence avant que de se voir;
Il prépare si bien l'amant et la maîtresse
Que leur âme au seul nom s'émeut et s'intéresse :
On s'estime, on se cherche, on s'aime en un moment; 
Tout ce qu'on s'entredit persuade aisément, 
Et, sans s'inquiéter d'aucunes peurs frivoles, 
La foi semble courir au devant des paroles.
La langue en peu de mots en explique beaucoup;
Les yeux, plus éloquents, font tout voir tout d'un coup;
Et, de quoi qu'à l'envi tous les deux nous instruisent, 
Le coeur en entend plus que tous les deux n'en disent.
A. Charlemagne a écrit : les Descendants du Menteur, 1805. (H. Clouard).
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