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Nicomède
est une tragédie de Corneille,
représenté sur la scène de l'Hôtel
de Bourgogne au début de 1651. Elle fut extrêmement bien
accueilli. On la classe d'ordinaire, dans les éditions classiques,
parmi les six tragédies regardées comme les chefs-d'oeuvre
de Corneille; elle le mérite par son originalité. Corneille,
en l'annonçant au lecteur, déclare que c'est la vingt-sixième
qu'il a composée et qu'après avoir fait réciter plus
de quarante mille vers il lui a fallu un peu s'écarter du grand
chemin pour trouver quelque chose de nouveau. De fait, par son mélange
de tragique et de comique, cette a étonné le XVIIIe
siècle et fait tenir son auteur, au XIXe,
pour un précurseur du drame romantique.
- Nicomède. - Ou laissez-moi parler, sire, ou faites-moi taire. (Nicomède, acte II, scène III). Le fond de la pièce et quelques-uns de ses traits essentiels étaient tirés de l'historien latin Justin. Prusias, dans la pièce, n'essaye pas d'attirer son fils dans un piège pour lui ôter la vie; Nicomède ne fait pas non plus assassiner son père; Corneille a rejeté ces horreurs comme trop tragiques, et, pour que le jeune prince courût les mêmes dangers que dans l'histoire, c'est sa belle-mère, Arsinoé, qui essaye de le faire périr. L'intrigue est donc tout imaginaire; mais elle enferme un tableau vrai : celui de la politique romaine aux prises avec les dernières dynasties de l'Asie. ACTE Ier. - Nicomède, fils aîné du roi de Bithynie, a quitté l'armée pour échapper aux assassins qu'y aposte la reine Arsinoé, sa belle-mère; et il retrouve la reine d'Arménie, Laodice, qu'il aime et dont il est aimé. Arsinoé espère que Nicomède se perdra en bravant Rome dans la personne de l'ambassadeur Flaminius. Ainsi le trône resterait libre pour Attale, fils du roi Prusias et d'Arsinoé.Tout l'intérêt de la pièce est dans le développement du caractère de Nicomède, un des plus beaux qu'ait idéalisés Corneille. Nicomède s'indigne de la tyrannie que les Romains exercent sur les rois leurs alliés, ou plutôt leurs sujets, et s'irrite de la lâcheté de son père, qui souffre que chez lui Flaminius, un ambassadeur romain, ose lui parler en maître et disposer de sa couronne. II veut, malgré eux, épouser la reine d'Arménie, Laodice, pupille de Prusias, qui le paye de retour. Eleve d'Hannibal, il a hérité de sa haine contre Rome et a augmenté de trois royaumes les Etats de son père. Le sénat romain ne veut pas laisser s'élever trop haut un si puissant en-nemi et envoie ou ambassadeur demander impérieusement à Prusias de marier Laodice à son second fils Attale, auquel il laissera le trône. Arsinoé, la belle-mère de Nicomède, appuie naturellement Flaminius, et, après avoir contribué à la mort d'Hannibal, ne recule pas devant l'idée d'un second meurtre. Elle a envoyé des assassins chargés de la débarrasser de Nicomède; mais ce prince a découvert leur complot et vient demander justice à son père, caractère faible et vaniteux. Prusias se laisse circonvenir par sa femme et par l'ambassadeur romain et fait arrêter Nicomède. Le peuple, révolté de cette injustice, se mutine et le roi de Bithynie commence à trembler pour son trône, lorsque, au moment où il tramait une nouvelle perfidie contre Nicomède, ce jeune héros, délivré généreusement par Attale, apparait, apaise la sédition et renvoie Flaminius avec ces belles paroles : Seigneur, à découvert toute âme généreuseFlaminius ne peut s'empêcher de lui témoigner son estime; Prusias et Arsinoé lui ouvrent leurs bras, et Attale retrouve en lui un frère aimant et dévoué, auquel il se résigne à ne plus disputer Laodice. Ce qui donne à cette pièce une physionomie particulière, c'est qu'elle offre dans une action tragique le ton et le style de la comédie élevée. Nicomède conserve toujours, vis-à-vis de Flaminius, ce ton railleur qui sort tout à fait des habitudes de la tragédie. Elever l'ironie à la hauteur d'une passion tragique, tel a été l'art suprême du poète. « Cette pièce, dit Voltaire, est peut-être une des plus fortes preuves du génie de Corneille, et je ne suis point étonné de l'affection qu'il avait pour elle. Ce genre est, non-seulement le moins théâtral de tous, mais le plus difficile ià traiter. Ce genre de tragédie ne se soutenant point par un sujet pathétique, par de grands tableaux, par les fureurs des passions, l'auteur ne petit qu'exciter un sentiment d'admiration pour le héros de la pièce. L'admiration n'émeut guère l'âme, ne la trouble pas; c'est de tous les sentiments celui qui se refroidit le plus tôt. Le caractère de Nicoméde avec une intrigue terrible, telle que celle de Rodogune, eût été un chef-d'oeuvre. »Vers de Nicomède fréquemment cités : Ah! ne me brouillez point avec la république! (II, III).
(PL
/ H. Clouard).
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