| Apocalypses juives. - Les recherches de l'histoire religieuse à partir du début du XIXe siècle ont abouti à la reconstitution d'un chapître, et non des moins dignes d'intérêt, de l'ancienne littérature juive; il s'agit d'oeuvres datant des environs du christianisme, dont le texte était, soit altéré, soit perdu, et dont l'interprétation était singulièrement défectueuse. Grâce à un ensemble de circonstances favorables et à la suite d'un examen approfondi, plusieurs des livres en question nous sont maintenant parfaitement connus. Les conditions de leur composition, leur sens, leur portée, ont été établis d'une manière très sûre, et l'usage les a groupés sous le titre d'Apocalypses juives. Ce titre, qui signifie révélations, est emprunté à l'Apocalypse de saint Jean, qui figure dans le Nouveau Testament. Ces ouvrages sont construits sur le même plan que ce livre. Toutefois le type des apocalypses doit être cherché dans l'Ancien Testament lui-même; les savants considèrent le Livre de Daniel comme le modèle même du genre, en même temps que son exemplaire le plus ancien. Quand on compare le Livre de Daniel aux prophéties d'un Isaïe ou d'un Jérémie, on est frappé de voir que la prédiction de l'avenir revêt, sous la plume de son auteur, un aspect très différent. Au lieu de prévisions d'une nature générale et quelque peu vague, on rencontre des indications précises sur la succession des événements à venir; d'autre part, l'écrivain use constamment de figures, empruntées de préférence au règne animal, pour désigner les personnages ou puissances de l'avenir qu'il prétend révéler. Or le Livre de Daniel n'est nullement, comme il en a l'aspect au premier abord, une oeuvre du VIe siècle avant notre ère, du temps de la captivité ou exil de Babylone c'est unproduit du IIe siècle avant notre ère, des années où se préparait l'insurrection des Maccabées contre l'abominable persécution religieuse d'Antochus Epiphane. L'auteur, pour donner plus de prestige à sa parole, a pris quatre siècles de reculée et s'est revêtu du manteau et de la figure d'un antique personnage, dont la renommée devait assurer la fortune de son oeuvre. On arrive ainsi à fixer comme il suit les principaux caractères des compositions apocalyptiques : Ces livres se donnent pour les produits d'une communication céleste adressée au personnage dont ils portent le nom; en second lieu, ils sont supposés, c -à-d. pseudonymes ou pseudépigraphes, ce qui signifie que la révélation qu'ils sont censés apporter s'abrite de l'autorité d'un personnage considérable du passé et que l'auteur réel se dissimule sous le patronage d'un nom vénéré; en troisième lieu, l'objet de ces livres est l'exposition de l'avenir, des différentes péripéties par lesquelles doit passer le peuple élu avant que s'établisse le règne messianique. C'est là, somme toute, un genre littéraire très curieux et dont tout l'honneur doit être reporté au judaïsme, bien que les chrétiens, à leur tour, aient produit sur le même modèle un certain nombre de compositions, dont la plus importante est l'Apocalypse de saint Jean. On a eu quelque peine à en pénétrer le secret et avant que la connaissance de nouveaux textes vint attester d'une façon en quelque sorte matérielle l'importances qu'eurent les apocalypses dans les derniers siècles du judaïsme, on était porté à voir dans ces livres des jeux d'esprit compliqués, ou, dans un ordre d'idées un peu différent, l'oeuvre de faussaires, tout au moins des "fraudes pieuses". On est arrivé à partir de la fin du XIXe siècle à les apprécier d'une façon beaucoup plus saine. Plaçons-nous, pour un moment, dans la situation d'esprit d'un autour d'apocalypse, de l'auteur, soit du Livre de Daniel, soit du Livre d'Hénoch, soit de telle autre des nombreuses compositions analogues dont le texte ou le souvenir seul nous ont été transmis. Quel est le but que vise l'écrivain? Il veut attirer L'attention de ses contemporains sur le magnifique avenir que Dieu leur réserve après un temps d'épreuve et de crise. Convaincu que, des difficultés du présent, la fortune d'Israël sortira triomphante par la protection divine, il veut communiquer sa conviction à ses concitoyens. Mais qui est-il lui-même? Un inconnu, un individu sans prestige. D'autre part, le glorieux avenir qu'il se propose de proclamer, ce n'est pas lui qui l'imagine; c'est Dieu même qui n'a cessé de le promettre. Modeste porte-voix des munificences célestes, il n'est rien par lui-même. Alors, pour donner à sa parole quelque chose de l'autorité des promesses célestes qu'il veut rappeler à ses concitoyens, il met en avant un personnage ancien, une figure auguste du passé, et la prédiction de l'avenir, au lieu de dater de l'époque de l'écrivain, remonte aux temps anciens où vivait celui dont il a pris le masque. Hénoch, par exemple, ayant vécu avant le mythique Déluge, la prédiction commencera dès son époque; Daniel, appartenant aux temps de la captivité, sa révélation comprendra tout d'abord l'indication des événements écoulés depuis le VIe siècle jusqu'au IIe, qui est la date réelle de composition du livre. Cette fiction, une fois reconnue, n'est pas d'ailleurs de nature à dérouter longtemps la critique, quand celle-ci veut fixer la composition d'un écrit de cette espèce. Par l'insistance avec laquelle l'écrivain met en lumière certains faits, on devine déjà sans peine sa préoccupation dominante et, par suite, son époque. Mais il est un critérium d'un emploi plus aisé encore : il consiste à observer de quelle manière sont présentés les événements historiques, selon qu'ils appartiennent, pour l'auteur réel, au passé, au présent ou à l'avenir. La description du passé, - lequel est déjà un futur pour l'auteur supposé, pour le grand personnage antique sous le patronage duquel se produit la révélation, - se conforme à ce que nous savons de l'histoire; celle du présent se distingue, en général, par ses détails et l'exactitude de ses renseignements; celle de l'avenir ne consiste qu'en vagues généralités. Il faut remarquer cependant que des particularités littéraires rendent parfois incertaine, au moins en quelque mesure, l'application d'une règle, dont le bien fondé se vérifia pour l'ensemble des cas. Si l'on tient compte de l'emploi parfois abusif de la typologie animale, d'une certaine obscurité par laquelle l'écrivain cherche à donner à sa parole je ne sais quelle solennité mystérieuse, du mauvais état où plusieurs textes nous sont parvenus, enfin de notre ignorance des circonstances historiques où tel écrit a dut voir le jour, on devra reconnaître que le genre littéraire "apocalyptique" ne mérite pas le mauvais renom que semble indiquer l'emploi ordinaire de ce terme, qui en fait le synonyme d'obscurité et d'enchevêtrement. Les caractères artificiels qui sont constitutifs des apocalypses sont peut-être plus marqués ici que dans d'autres genres; mais quand on voit qu'ils n'ont point fait obstacle à l'expression éloquente des plus hautes pensées comme des sentiments les plus ardents, on est amené à déclarer que toute forme où le génie a pu se déployer est une forme consacrée dans l'enceinte de la république des lettres, qu'elle a droit de cité dans cette dernière. On s'est exprimé très injustement et fort étroitement sur l'immoralité qu'il y a à affubler ses oeuvres du nom d'autrui; on oublie que l'auteur montrait par là qu'il renonçait à la satisfaction devoir son propre nom répété et que cet effacement est la preuve qu'il mettait le succès de ses idées au-dessus de celui de sa personne. Certes les écrivains juifs qui ont, tour à tour, emprunté le nom du prophète Daniel, du patriarche Hénoch, du législateur Moïse, du scribe et restaurateur du judaïsme Esdras, de la sibylle enfin, étaient convaincus de faire oeuvre honnête et bonne quand, sous la figure d'hommes vénérables du passé, ils enseignaient à leurs contemporains les vertus dont ces personnages passaient pour les modèles, la constance devant la persécution, l'héroïque attachement à la foi des pères, l'indestructible confiance dans l'avenir de gloire réservé par Dieu à ses fidèles serviteurs. Outre les pages consacrées au Livre de Daniel et à l'Apocalypse de Saint Jean, on trouvera dans ce site quelques indications sur les écrits suivants : 1° Livre d'Hénoch; 2° Apocalypse d'Esdras; 3° Apocalypse de Baruch; 4° Livre des Jubilés; 5° Assomption de Moïse; 6° Livres sibyllins. C'est dans les traductions en allemand de Dillmann que l'on consultera le plus aisément le texte d'Hénoch et des Jubilés. Quant à Esdras, Baruch et Assomption de Moïse, on les trouvera en édition latine dans Fritzsche, Libri veteris testamenti pseudepigraphi selecti. Il est à propos de rendre hommage aux travaux considérables que l'érudition allemande a consacrés à ces oeuvres d'un abord et d'une interprétation difficiles et de rappeler au souvenir reconnaissant de ceux qui peuvent aujourd'hui en entreprendre l'étude dans des conditions relativement aisées, les noms de Lücke, de Hilgenfeld, de Volkmar, de Rönsch, etc. En français, voir le Dictionnaire des apocryphes de Migne et Vernes, Histoire des idées messianiques. Il résulte des indications données ci-dessus sur un certain nombre d'Apocalypses juives que ces oeuvres sont dignes d'arrêter l'attention de l'historien de la philosophie et de la religions comme du littérateur. Il y a là une forme originale mise au service d'une pensée élevée, soit que les auteurs qui abritent la révélation de l'avenir sous le nom de quelque grand personnage du passé ne songent qu'à ranimer l'espérance de leurs coreligionnaires en temps d'épreuve ou de persécution, soit qu'ils fassent sous le masque de figures empruntées au paganisme une tentative de prosélytisme religieux. (Maurice Vernes). | |