| Agésilas est une tragédie de Corneille. Avec cette pièce commence pour Corneille la décadence irrémédiable. La faveur du public, en abandonnant le poète, l'avertit qu'il est temps de prendre la retraite. Un concurrent redoutable vient de se faire jour : Racine a déjà fait paraître son Alexandre. Les sympathies des spectateurs vont aller sans retour à un genre de tragédie encore inconnu, où l'amour domine toutes les autres passions. Agésilas fut représenté à l'hôtel de Bourgogne en février 1666. Il passa inaperçu et tomba obscurément, sans laisser d'autre trace de sa chute que l'épigramme de Boileau, qui l'a discrédité pour toujours : J'ai vu l'Agésilas Hélas ! Il est à remarquer qu'en vieillissant Corneille se passionne de plus en plus pour les situations compliquées, les intrigues touffues. Il s'agit ici de trois jeunes gens à qui l'on destine trois jeunes filles, mais en donnant à chacun celle qu'il n'aime pas et dont il n'est pas aimé on fait un échange sans les satisfaire tous; enfin on arrive a un accord et tout le monde est heureux. « La tragédie d'Agésilas, dit Voltaire, est un des plus faibles ouvrages de Corneille, [...] elle est très froide et aussi mal écrite que mal conduite. » Toutefois elle contient encore quelques parties remarquables. Elle est écrite en vers libres et croisés, comme devait l'être un an plus tard l'Amphitryon de Molière. On a prétendu qu'il y avait là une des causes de sa chute. Il est probable que cette nouveauté n'a été pour rien dans l'insuccès d'Agésilas. Citons le passage le plus connu. Lysander reproche à Agésilas son ingratitude : C'est à moi, dit-il, que vous devez tout ce que vous êtes. - J'en conviens, répond celui-ci, mais ... Tirant toute à vous la suprême puissance, Vous me laissez des titres vains. On s'empresse à vous voir, on s'efforce à vous plaire; On croit lire en vos yeux ce qu'il faut qu'on espère; On pense avoir tout fait quand on vous a parlé. Mon palais près du vôtre est un lieu désolé; Et le généralat, comme le diadème, M'érige sous votre ordre en fantôme éclatant, En colosse d'État qui de vous seul attend L'âme qu'il n'a pas de lui-même, Et que vous seul faites aller Où, pour vos intérêts, il le faut étaler. Général en idée, et monarque en peinture, De ces illustres noms pourrais-je faire cas S'il les fallait porter moins comme Agésilas Que comme votre créature, Et montrer avec pompe au reste des humains En ma propre grandeur l'ouvrage de vos mains Si vous m'avez fait roi, Lysander, je veux l'être. Soyez-moi bon sujet, je vous serai bon maître Mais ne prétendez plus partager avec moi Ni la puissance ni l'emploi. Si vous croyez qu'un sceptre accable qui le porte, A moins qu'il prenne une aide à soutenir son poids, Laissez discerner à mon choix Quelle main à n'aider pourrait être assez forte. Vous aurez bonne part à des emplois si doux, Quand vous pourrez m'en laisser faire; Mais soyez sûr aussi d'un succès tout contraire Tant que vous ne voudrez les tenir que de vous (III, I). | |