La Fontaine | Un pincemaille avait tant amassé Qu'il ne savait où loger sa finance. L'avarice, compagne et soeur de l'ignorance, Le rendait fort embarrassé Dans le choix d'un dépositaire; Car il en voulait un, et voici sa raison : " L'objet tente! il faudra que ce monceau s'altère Si je le laisse à la maison : Moi-même de mon bien je serai le larron. - Le larron? Quoi! jouir, c'est se voler soi-même? Mon ami, j'ai pitié de ton erreur extrême. Apprends de moi cette leçon : Le bien n'est bien qu'en tant que l'on s'en peut défaire; Sans cela, c'est un mal. Veux-tu le réserver Pour un âge et des temps qui n'en ont plus que faire? La peine d'acquérir, le soin de conserver, Ôtent le prix à l'or, qu'on croit ni nécessaire. " Pour se décharger d'un tel soin, Notre homme eût pu trouver des gens sûrs au besoin. Il aima mieux la terre; et, prenant son compère, Celui-ci l'aide. Ils vont enfouir le trésor. Au bout de quelque temps, l'homme va voir son or; Il ne retrouva que le gîte. Soupçonnant, à bon droit, le compère, il va vite Lui dire : " Apprêtez-vous! car il me reste encor Quelques deniers : je veux les joindre à l'autre masse. " Le compère aussitôt va remettre en sa place L'argent volé, prétendant bien Tout reprendre à la fois, sans qu'il y manquât rien. Mais, pour ce coup, l'autre fut sage : Il retint tout chez lui, résolu de jouir, Plus n'entasser, plus n'enfouir; Et le pauvre voleur, ne trouvant plus son gage, Pensa tomber de sa hauteur. Il n'est pas malaisé de tromper un trompeur. | |