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Présentation et sommaire général |
Si inconscient qu'on se le représente quelquefois, La Fontaine semble bien s'être rendu compte de la transformation profonde qu'il a fait subir au genre de la fable. Dans la préface de 1668, après avoir rappelé « l'élégance et l'extrême brièveté » de Phèdre et déclaré modestement que ces qualités étaient «-au-dessus de sa portée-», il ajoute qu'il a cru devoir « égayer » son sujet et le renouveler « par quelques traits qui en relevassent le goût ». Dans la préface de son second recueil (1678), il reconnaît avoir «-cherché d'autres enrichissements et étendu davantage les circonstances de ses récits ». En réalité, La Fontaine s'est installé comme chez lui dans la fable, sorte de terrain vague à la porte de la cité étroite et régulière gouvernée par Boileau. Il a fait vivre côte à côte, dans une promiscuité inattendue et charmante, presque tous les genres de poésie. Son « ample comédie aux cent actes divers » s'élève quelquefois à la hauteur de l'épopée ou du lyrisme, mais elle redescend vite avec un sourire; elle se rapproche ailleurs de l'élégie, mais le plus souvent elle côtoie la satire. On y trouve des discours éloquents et des développements philosophiques qui étonnent. Taine y a montré un vivant tableau de Louis XIV. Mais, ce qui nous y charme le plus, c'est, à côté de tant de fines et profondes observations sur l'humain de tous les temps, l'expression sobre, mais exquise, du sentiment de la nature, si étranger aux contemporains de notre auteur. Illustration d'une fable de La Fontaine (La grenouille et le rat), par Grandville. Le mélange, chez La Fontaine, des mètres de différents pieds n'est qu'une conséquence de la souplesse de son talent, qui sait se plier à tous les tons. On s'aperçoit vite que ce n'est pas le hasard qui abrège ou raccourcit les vers du fabuliste et qui fait succéder à un rythme grave un autre plus rapide. Là, comme partout, La Fontaine se révèle artiste délicat et incomparable, patient autant qu'inspiré. Sa langue, plus nourrie qu'aucune autre de la lecture des vieux auteurs, est pittoresque à souhait, sans que sa verdeur gauloise coûte rien à sa distinction, ni son ampleur à son naturel. Toutes ces qualités font de La Fontaine le fabuliste «-inimitable », un poète des plus originaux et des plus grands. (NLI). |
La formation du « Fablier »Si l'on en croyait un mot de la duchesse de Bouillon, La Fontaine était « un fablier qui portail des fables, comme un pommier porte des pommes ». Au contraire, non seulement chaque fable lui coûtait un travail long et minutieux, mais son art s'est formé peu à peu dans les oeuvres diverses où l'ont jeté les circonstances ou sa fantaisie.Les oeuvres diverses. Le sentiment de la nature. Errer dans un jardin, s'égarer dans un bois.En voyage, il s'intéressait au pittoresque du Limousin : Ce sont morceaux de rochersL'art de conter. Il écoutait aussi volontiers les anecdotes et les rapportait avec cette finesse naïve qui est sa marque. Voici, par exemple, l'histoire d'un pendu par persuasion : Il fit le procès à un lieutenant de robe courte de ce lieu-là, pour avoir obligé un gueux à prendre la place d'un criminel condamné à être pendu, moyennant vingt pistoles données à ce gueux et quelque assurance de grâce dont on le leurra. Il se laissa conduire et guinder à la potence fort gaiement, comme un homme qui ne songeait qu'à ses vingt pistoles, le prévôt lui disant toujours qu'il ne se mît point en peine, et que la grâce allait arriver. A la fin, le pauvre diable s'aperçut de sa sottise; mais il ne s'en aperçut qu'en faisant le saut, temps mal propre à se repentir et à déclarer qui on est. (Lettre à sa femme, 19 septembre 1663).Cette allure preste et malicieuse du récit fit le succès des Contes. La bonhomie. Il fallut prendre patienceLes deux recueils de Fables. Tous ces éléments se fondent dans les fables grâce à la souplesse d'un genre que La Fontaine fit à sa mesure. Il a noté lui-même que les fables du second recueil avaient en général plus d'ampleur : J'ai cherché d'autres enrichissements et étendu davantage les circonstances deElles étaient en effet dédiées cette fois à Mme de Montespan et non plus au Dauphin. Ce recueil contient-: Les Animaux malades de la peste; les Deux Pigeons; l'Homme et la Couleuvre; les Deux Rats, le Renard et l'Oeuf; le Paysan du Danube, etc. Dans les six premiers livres : la Cigale et la Fourmi, le Rat de ville et le Rat des champs, le Loup et la Cigogne, etc., ont moins de développement. Pourtant on y trouve aussi des fables qui comptent parmi les meilleures : La Mort et le Bûcheron; le Meunier, son Fils et l'Âne; l'Alouette et ses petits, etc. En réalité, La Fontaine a élargi ses sujets plutôt que transformé sa manière. Toujours, partant d'une donnée ancienne, il imagine un récit vivant, sorte de comédie d'où se dégagera une morale. L'imitation dans les FablesLa Fontaine doit donc beaucoup aux écrivains qui l'ont précédé.Les sujets. Les idées. C'est-à-dire environ le tempsAilleurs il célèbre la solitude comme Virgile (Géorgiques, II, V. 138), etc. Lieux que j aimaii toujours, ne pourrai-je jamais La comédie dans les FablesL'originalité de La Fontaine est ailleurs, dans l'art qui fait de la fable une pièce de théâtre en miniature.Le décor. Là croissaient à plaisir l'oseilleet la laitue. Là, une forte côte sous le soleil :On entrevoit des coins de nature, un étang (Le Chêne et le Roseau), une rivière (Le Héron), une chaumière dans une forêt (Le Bûcheron et la Mort), etc. Parfois l'éclairage même est indiqué : A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumièreLes personnages. Puis sur la scène s'avancent des personnages. Les animaux. Non point une raison selon notre manièreIl les croit capables de « sentir, juger, rien davantage » (Ibid.). Il note leur forme, leur pelage, leurs attitudes, comme un peintre. (Voir par ex. : Le Singe et le Léopard; le Cochet, le Chat et le Souriceau.) Il leur conserve suffisamment leur caractère : au renard la ruse, au chat la traîtrise, au lièvre la peur, etc. Et pourtant d'un mot il nous avertit souvent que ces animaux représentent des hommes : c'est capitaine renard, la dame au nez pointu (la belette), un saint homme de chat, etc. Les hommes. Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,L'action. Tout ce monde va, vient, parle et agit comme dans la vie. Les sujets. Le développement du drame. Le Savetier et le Financier, par exemple, est une comédie en quatre actes. Les deux personnages sont présentés en 13 vers; leur entrevue en occupe 23; les soucis du savetier 10; le dénouement 4. Le Lion, le Loup et le Renard est une tragédie en cinq actes : I. Exposition : la maladie du roi (3 vers); Il. Consultations diverses (1 vers); III. Attaques du loup contre le renard, colère du roi (5 vers); IV. Défense du renard (17 vers); V. Mort du loup (4 vers). On voit que l'acte important est le quatrième qui renferme la péripétie. Il occupe à lui seul la moitié de la fable. La morale des FablesEn général La Fontaine indique en quelques mots la conclusion que nous devons tirer du récit. Mais il lui arrive de s'en dispenser, persuadé que nous dégagerons nous-mêmes la leçon après le spectacle.Les critiques. « Suivez les enfants apprenant leurs fables et vous verrez que, quand ils sont en état d'en faire l'application, ils en font presque toujours une contraire à l'intention de l'auteur, et qu'au lieu de s'observer surlec défaut dont on veut les guérir ou les préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts d'autrui. » (Emile, livre II).Ainsi la Cigale et la Fourmi, selon lui, enseignera la dureté de coeur; le Corbeau et le Renard, l'hypocrisie; le Loup et l'Agneau, la cruauté. Lamartine aussi s'est indigné à la pensée qu'on mettait un pareil livre entre les mains des enfants : « Les fables de la Fontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et égoïste d'un vieillard que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d'un enfant. C'est du fiel... » (Préface des Méditations).Les leçons de dévouement. Il est pourtant possible de trouver dans La Fontaine des conseils qui sont tout le contraire de la dureté et de l'égoïsme. Les fables des Deux Amis et du Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat montrent la beauté du dévouement entre amis : A qui donner le prix? Au coeur si l'on m'en croit.Voici le désintéressement : Mes arrière-neveux me devront cet ombrage.Voici même la loi de solidarité révélée : Il faut autant qu'on peut obliger tout le monde. (Le Lion et le Rat).Les leçons de prudence. Mais en général La Fontaine ne cherche pas à moraliser. Il est moraliste, ce qui est très différent. Il peint la société telle qu'elle est. Il y a des avares (la Cigale et la Fourmi), des flatteurs (le Corbeau et le Renard), des ingrats (l'Homme et la Couleuvre), des hypocrites (le Chat, la Belette et le petit Lapin); les puissants ont toujours gain de cause (le Loup et l'Agneau), et sont sûrs de l'impunité (les Animaux malades de la peste), etc. La conséquence, c'est qu'il faut nous tenir sur nos gardes avant tout : Apprenez que tout flatteurPuis, si nous voulons être sages, nous éviterons de nous créer des affaires. Point d'indignations tapageuses : ... Mais que faudrait-il faire?Nous resterons le plus possible cachés pour être heureux : Ami, lui dit son camarade,C'est donc une morale moyenne, telle que peut la former la vie, où il entre plus de sagesse pratique que d'idéal généreux. La personnalité de La Fontaine dans les FablesCette morale ressemble à celle de Molière. Et il est vrai que rien ne se rapprocherait plus des comédies de Molière que les fables de La Fontaine, si la personnalité du poète n'y intervenait pas si souvent.L'émotion personnelle. La Mort avait raison. Je voudrais qu'à cet âgeIl arrive même que le récit s'achève en confidence Ai-je passé le temps d'aimer? (Les Deux pigeons).Parfois c'est une rêverie où se révèle toute la délicatesse de son coeur : Qu'un ami véritable est une douce chose!Cette émotion lyrique, si rare au XVIIe siècle, est un des charmes des Fables de La Fontaine. La malice. O dieux hospitaliers! Que vois-je ici paraître?Là, au contraste entre la gaieté du rythme et la tristesse du fond : Un mort s'en allait tristement La formeCe qui fait la richesse incomparable des Fables, c'est que La Fontaine y mêle librement tous les genres. La forme n'est pas moins libre, ou moins variée.Le style. La versification. Celui de qui la tête au ciel était voisine
Des lapins, qui sur la bruyèreL'opposition d'un vers plus court à un vers plus long marque la déception : C'est promettre beaucoup; mais qu'en sort-il souvent?Elle sert aussi à dissimuler le mot et l'idée : Même il m'est arrivé quelquefois de mangerLa strophe soutient naturellement la période oratoire : Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jourBref, grâce encore aux ressources de détail, rejets, coupes, le vers arrive à se mouler exactement sur l'idée, et achève de donner au style son caractère de simplicité et de naturel. ConclusionDes lettres de Bussy-Rabutin (à Furetière, 4 mai 1686) et de Mme de Sévigné (à Bussy, 20 juillet 1679, 14 mai 1686) montrent assez en quelle estime fut tenu La Fontaine par ses contemporains. Si l'on en croit Louis Racine (Mémoires, 2e partie), Molière aurait même dit :« Ne nous moquons pas du Bonhomme, il vivra peut-être plus que nous tous ».Il est à coup sûr le plus populaire des classiques. Les enfants peuvent trouver plaisir et profit à le lire. Et pour les plus grands les Fables sont, avant Honoré de Balzac, avec moins de prétention et plus de finesse, comme un abrégé de la Comédie humaine. (E. Abry). |
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