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Les Fables de La Fontaine
Présentation et sommaire général
Si inconscient qu'on se le représente quelquefois, La Fontaine semble bien s'être rendu compte de la transformation profonde qu'il a fait subir au genre de la fable. Dans la préface de 1668, après avoir rappelé « l'élégance et l'extrême brièveté » de Phèdre et déclaré modestement que ces qualités étaient «-au-dessus de sa portée-», il ajoute qu'il a cru devoir « égayer » son sujet et le renouveler « par quelques traits qui en relevassent le goût ». Dans la préface de son second recueil (1678), il reconnaît avoir «-cherché d'autres enrichissements et étendu davantage les circonstances de ses récits »

En réalité, La Fontaine s'est installé comme chez lui dans la fable, sorte de terrain vague à la porte de la cité étroite et régulière gouvernée par Boileau. Il a fait vivre côte à côte, dans une promiscuité inattendue et charmante, presque tous les genres de poésie. Son « ample comédie aux cent actes divers » s'élève quelquefois à la hauteur de l'épopée ou du lyrisme, mais elle redescend vite avec un sourire; elle se rapproche ailleurs de l'élégie, mais le plus souvent elle côtoie la satire. On y trouve des discours éloquents et des développements philosophiques qui étonnent. Taine y a montré un vivant tableau de Louis XIV. Mais, ce qui nous y charme le plus, c'est, à côté de tant de fines et profondes observations sur l'humain de tous les temps, l'expression sobre, mais exquise, du sentiment de la nature, si étranger aux contemporains de notre auteur. 
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Grandville : illustration d'une fable de La Fontaine.
Illustration d'une fable de La Fontaine (La grenouille et le rat), par Grandville.

Le mélange, chez La Fontaine, des mètres de différents pieds n'est qu'une conséquence de la souplesse de son talent, qui sait se plier à tous les tons. On s'aperçoit vite que ce n'est pas le hasard qui abrège ou raccourcit les vers du fabuliste et qui fait succéder à un rythme grave un autre plus rapide. Là, comme partout, La Fontaine se révèle artiste délicat et incomparable, patient autant qu'inspiré. Sa langue, plus nourrie qu'aucune autre de la lecture des vieux auteurs, est pittoresque à souhait, sans que sa verdeur gauloise coûte rien à sa distinction, ni son ampleur à son naturel. Toutes ces qualités font de La Fontaine le fabuliste «-inimitable », un poète des plus originaux et des plus grands. (NLI).

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Livre I

La Cigale et la Fourmi
Le Corbeau et le Renard
La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Boeuf
Les Deux Mulets
Le Loup et le Chien
La Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion
La Besace
L’Hirondelle et les petits Oiseaux
Le Rat de ville et le Rat des champs
Le Loup et l’Agneau
L’Homme et son image
Le Dragon à plusieurs têtes et le Dragon à plusieurs queues
Les Voleurs et l’Âne
Simonide préservé par les dieux
La Mort et le Malheureux
La Mort et le Bûcheron
L’Homme entre deux âges et ses deux Maîtresses
Le Renard et la Cigogne
L’Enfant et le Maître d’école
Le Coq et la Perle
Les Frelons et les Mouches à miel
Le Chêne et le Roseau

À Monseigneur le Dauphin.


Livre II

Contre ceux qui ont le goût difficile
Conseil tenu par les Rats
Les Deux Taureaux et une Grenouille
Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe
La Chauve-souris et les deux Belettes
L’Oiseau blessé d’une flèche
La Lice et sa Compagne
L’Aigle et l’Escarbot
Le Lion et le Moucheron
L’Âne chargé d’éponges et l’Âne chargé de sel
Le Lion et le Rat
La Colombe et la Fourmi
L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits
Le Lièvre et les Grenouilles
Le Coq et le Renard
Le Corbeau voulant imiter l’Aigle
Le Paon se plaignant à Junon
La Chatte métamorphosée en Femme
Le Lion et l’Âne chassant
Testament expliqué par Esope


Livre III

Le Meunier, son Fils et l’Âne
Les Membres et l’Estomac
Le Loup devenu Berger
Les Grenouilles qui demandent un Roi
Le Renard et le Bouc
L’Aigle, la Laie et la Chatte
L’Ivrogne et sa Femme
La Goutte et l’Araignée
Le Loup et la Cigogne
Le Lion abattu par l’Homme
Le Renard et les Raisins
Le Cygne et le Cuisinier
Les Loups et les Brebis
Le Lion devenu vieux
Philomèle et Progné
La Femme noyée
La Belette entrée dans un grenier
Le Chat et un vieux Rat


Livre IV

Le Lion amoureux
Le Berger et la Mer
La Mouche et la Fourmi
Le Jardinier et son Seigneur
L’Âne et le petit Chien
Le Combat des Rats et des Belettes
Le Singe et le Dauphin
L’Homme et l’idole de bois
Le Geai paré des plumes du paon
Le Chameau et les bâtons flottants
La Grenouille et le Rat
Tribut envoyé par les animaux à Alexandre
Le Cheval s’étant voulu venger du Cerf
Le Renard et le Buste
Le Loup, la Chèvre et le Chevreau
Le Loup, la Mère et l’Enfant
Parole de Socrate
Le Vieillard et ses Enfants
L’Oracle et l’Impie
L’Avare qui a perdu son trésor
L’Oeil du maître
L’Alouette et ses petits avec le Maître d’un champ

Livre V
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Le Bûcheron et Mercure
Le Pot de terre et le Pot de fer
Le Petit Poisson et le Pêcheur
Les Oreilles du Lièvre
Le Renard ayant la queue coupée
La Vieille et les deux Servantes
Le Satyre et le Passant
Le Cheval et le Loup
Le Laboureur et ses Enfants
La Montagne qui accouche
La Fortune et le jeune Enfant
Les Médecins
La Poule aux oeufs d'or
L’Âne portant des reliques
Le Cerf et la Vigne
Le Serpent et la Lime
Le Lièvre et la Perdrix
L’Aigle et le Hibou
Le Lion s’en allant en guerre
L’Ours et les deux Compagnons
L’Âne vêtu de la peau du lion

Livre VI

Le Pâtre et le Lion
Le Lion et le Chasseur
Phébus et Borée
Jupiter et le métayer
Le Cochet, le Chat et le Souriceau
Le Renard, le Singe et les Animaux
Le Mulet se vantant de sa généalogie
Le Vieillard et l’Âne
Le Cerf se voyant dans l’eau
Le Lièvre et la Tortue
L’Âne et ses maîtres
Le Soleil et les Grenouilles
Le Villageois et le Serpent
Le Lion malade et le Renard
L’Oiseleur, l’Autour et l’Alouette
Le Cheval et l’Âne
Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre
Le Chartier embourbé
Le Charlatan
La Discorde
La Jeune Veuve
Épilogue


Livre VII

À Madame de Montespan

Les Animaux malades de la Peste
Le Mal Marié
Le Rat qui s’est retiré du monde
Le Héron
La Fille
Les Souhaits
La Cour du lion
Les Vautours et les Pigeons
Le Coche et la Mouche
La Laitière et le pot au lait
Le Curé et le mort
L’Homme qui court après la fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit
Les Deux Coqs
L’Ingratitude et l’Injustice des hommes envers la fortune
Les Devineresses
Le Chat, la Belette et le petit Lapin
La Tête et la Queue du serpent
Un Animal dans la Lune.


Livre VIII

La Mort et le Mourant
Le Savetier et le Financier
Le Lion, le Loup et le Renard
Le Pouvoir des Fables
L’Homme et la Puce
Les Femmes et le Secret
Le Chien qui porte à son cou le dîné de son maître
Le Rieur et les Poissons
Le Rat et l’Huître
L’Ours et l’Amateur des jardins
Les Deux Amis
Le Cochon, la Chèvre et le Mouton
Tircis et Amarante
Les Obsèques de la lionne
Le Rat et l’Éléphant
L’Horoscope
L’Âne et le Chien
Le Bassa et le Marchand
L’Avantage de la science
Jupiter et les Tonnerres
Le Faucon et le Chapon
Le Chat et le Rat
Le Torrent et la Rivière
L’Éducation
Les Deux Chiens et l’Âne mort
Démocrite et les Abdéritains
Le Loup et le Chasseur

Livre IX

Le Dépositaire infidèle
Les Deux Pigeons
Le Singe et le Léopard
Le Gland et la Citrouille
L’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin
Le Statuaire et la statue de Jupiter
La Souris métamorphosée en fille
Le Fou qui vend la sagesse
L’Huître et les Plaideurs
Le Loup et le Chien maigre
Rien de trop
Le Cierge
Jupiter et le Passager
Le Chat et le Renard
Le Mari, la Femme et le Voleur
Le Trésor et les deux Hommes
Le Singe et le Chat
Le Milan et le Rossignol
Le Berger et son troupeau


Livre X

Les Deux Rats, le Renard et l’Oeuf
L’Homme et la Couleuvre
La Tortue et les deux Canards
Les Poissons et le Cormoran
L’Enfouisseur et son Compère
Le Loup et les Bergers
L’Araignée et l’Hirondelle
La Perdrix et les Coqs
Le Chien à qui on a coupé les oreilles
Le Berger et le Roi
Les Poissons et le Berger qui joue de la flûte
Les Deux Perroquets, le Roi et son fils
La Lionne et l’Ourse
Les Deux Aventuriers et le Talisman
Les Lapins
Le Marchand, le Gentilhomme, le Pâtre et le Fils du roi


Livre XI

Le Lion
Les Dieux voulant instruire un fils de Jupiter
Le Fermier, le Chien et le Renard
Le Songe d’un habitant du Mogol
Le Lion, le Singe et les deux Ânes
Le Loup et le Renard
Le Paysan du Danube
Le Vieillard et les trois jeunes Hommes
Les Souris et le Chat-huant
Épilogue


Livre XII

Dédicace à Monseigneur le Duc de Bourgogne

Les Compagnons d’Ulysse
Le Chat et les deux Moineaux
Le Thésauriseur et le Singe
Les Deux Chèvres
Le Chat et la Souris
Le Vieux Chat et la jeune Souris
Le Cerf malade
La Chauve-souris, le Buisson et le Canard
La Querelle des chiens et des chats et celle des chats et des souris
Le Loup et le Renard
L’Écrevisse et sa fille
L’Aigle et la Pie
Le Milan, le Roi et le Chasseur
Le Renard, les Mouches et le Hérisson
L’Amour et la Folie
Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat
La Forêt et le Bûcheron
Le Renard, le Loup et le Cheval
Le Renard et les poulets d’Inde
Le Singe
Le Philosophe scythe
L’Éléphant et le Singe de Jupiter
Un Fou et un Sage
Le Renard anglais
Daphnis et Alcimadure
Philémon et Baucis
La Matrone d’Ephèse
Belphégor
Les Filles de Minée
Le Juge arbitre, l’Hospitalier et le Solitaire

Autres fables

Le Soleil et les Grenouilles
La ligue des Rats
Le Renard et l'Ecureuil
La Poule et le Renard
L'Âne Juge
 

La formation du « Fablier »

Si l'on en croyait un mot de la duchesse de Bouillon, La Fontaine était « un fablier qui portail des fables, comme un pommier  porte des pommes ». Au contraire, non seulement chaque fable lui coûtait un travail long et minutieux, mais son art s'est formé peu à peu dans les oeuvres diverses où l'ont jeté les circonstances ou sa fantaisie.

Les oeuvres diverses. 
On y trouve, dispersées au milieu de beaucoup de faiblesses, quelques-unes de ses qualités dominantes.

Le sentiment de la nature. 
La Fontaine a toujours été sensible aux charmes de la nature. Il y songeait même au milieu des constructions magnifiques de Vaux, aimant :

Errer dans un jardin, s'égarer dans un bois.
Se coucher sur des fleurs, respirer leur haleine, 
Ecouter en rêvant le bruit d'une fontaine 
Ou celui d'un ruisseau roulant sur des cailloux.

          (Le Songe de Vaux, La Muse de l'architecture).

En voyage, il s'intéressait au pittoresque du Limousin :
Ce sont morceaux de rochers
Entés les uns sur les autres. 

   (Lettre à sa femme, 19 septembre 1663).

L'art de conter.
Il écoutait aussi volontiers les anecdotes et les rapportait avec cette finesse naïve qui est sa marque. Voici, par exemple, l'histoire d'un pendu par persuasion :
Il fit le procès à un lieutenant de robe courte de ce lieu-là, pour avoir obligé un gueux à prendre la place d'un criminel condamné à être pendu, moyennant vingt pistoles données à ce gueux et quelque assurance de grâce dont on le leurra. Il se laissa conduire et guinder à la potence fort gaiement, comme un homme qui ne songeait qu'à ses vingt pistoles, le prévôt lui disant toujours qu'il ne se mît point en peine, et que la grâce allait arriver. A la fin, le pauvre diable s'aperçut de sa sottise; mais il ne s'en aperçut qu'en faisant le saut, temps mal propre à se repentir et à déclarer qui on est. (Lettre à sa femme, 19 septembre 1663).
Cette allure preste et malicieuse du récit fit le succès des Contes.

La bonhomie. 
Il semble qu'on aperçoit entre les lignes la physionomie maligne du Bonhomme, comme on appelait familièrement La Fontaine. Il a pour se mettre en scène une bonne grâce qui rappelle celle de Marot (Epître à Mme de la Sablière). Même avec les grands il n'est pas gêné et il écrit à Fouquet qui n'a pu le recevoir :

Il fallut prendre patience 
Attendre une heure et puis partir.
J'eus le coeur gros, sans vous mentir,
Un demi-jour, pas davantage.

        (Epître à Fouquet, 1659).

Les deux recueils de Fables.
Tous ces éléments se fondent dans les fables grâce à la souplesse d'un genre que La Fontaine fit à sa mesure. Il a noté lui-même que les fables du second recueil avaient en général plus d'ampleur :
J'ai cherché d'autres enrichissements et étendu davantage les circonstances de
ces récits, qui d'ailleurs me semblaient le demander de la sorte. (Avertissement du second recueil).
Elles étaient en effet dédiées cette fois à Mme de Montespan et non plus au Dauphin. Ce recueil contient-: Les Animaux malades de la peste; les Deux Pigeons; l'Homme et la Couleuvre; les Deux Rats, le Renard et l'Oeuf; le Paysan du Danube, etc. Dans les six premiers livres : la Cigale et la Fourmi, le Rat de ville et le Rat des champs, le Loup et la Cigogne, etc., ont moins de développement. Pourtant on y trouve aussi des fables qui comptent parmi les meilleures : La Mort et le Bûcheron; le Meunier, son Fils et l'Âne; l'Alouette et ses petits, etc. En réalité, La Fontaine a élargi ses sujets plutôt que transformé sa manière. Toujours, partant d'une donnée ancienne, il imagine un récit vivant, sorte de comédie d'où se dégagera une morale.

L'imitation dans les Fables

La Fontaine doit donc beaucoup aux écrivains qui l'ont précédé.

Les sujets. 
Il invente très rarement son sujet. Par hasard il le trouve dans un fait-divers d'actualité (Le Curé et le Mort) ou il se le laisse indiquer (Le Chat et la Souris, Les Lapins). Quelquefois le sujet lui est fourni par un auteur du XVIe siècle, Marot, Rabelais, Bonaventure Depériers, quelquefois par le poète latin Horace. Le plus souvent il l'emprunte aux fabulistes grecs, Esope et Babrius, au fabuliste latin Phèdre, ou au recueil de fables indiennes publiées sous le nom de Pilpaï, dont une traduction avait paru en 1644. II est douteux qu'il ait connu le Roman de Renart.

Les idées. 
Dans le détail les réminiscences abondent. Tantôt comme Horace (Odes, 1, 3) il maudit l'audace des navigateurs (L'homme qui court après la fortune). Tantôt il fait le tableau du printemps d'après Lucrèce de Natura rerum, l, début) :

C'est-à-dire environ le temps
Que tout aime et que tout pullule dans le monde...

      (L'Alouette et ses Petits).

Ailleurs il célèbre la solitude comme Virgile (Géorgiques, II, V. 138), etc.
Lieux que j aimaii toujours, ne pourrai-je jamais
Loin du monde et du bruit goûter l'ombre et le frais ?

           (Le Songe d'un habitant du Mogol).

La comédie dans les Fables

L'originalité  de La Fontaine est ailleurs, dans l'art qui fait de la fable une pièce de théâtre en miniature. 

Le décor.
Plus d'une fois le décor est esquissé. Ici un jardin :

Là croissaient à plaisir l'oseilleet la laitue.
Du quoi faire à Margot pour sa file un bouquet.

    (Le Jardinier et son Seigneur).

Là, une forte côte sous le soleil :
Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé
Et de tous les côtés au soleil exposé...

    (Le Coche et la Mouche).

On entrevoit des coins de nature, un étang (Le Chêne et le Roseau), une rivière (Le Héron), une chaumière dans une forêt (Le Bûcheron et la Mort), etc. Parfois l'éclairage même est indiqué :
A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour, 
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que, n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour.

      (Les Lapins).

Les personnages.
Puis sur la scène s'avancent des personnages.

Les animaux.
Ce sont le plus souvent selon la tradition, des animaux. La Fontaine les aime et se refuse à voir en eux d'après la théorie de Descartes de simples machines. Il leur attribue

Non point une raison selon notre manière
Mais beaucoup plus aussi qu'un aveugle ressort.

       (Les Deux Rats, le Renard et l'Oeuf).

Il les croit capables de « sentir, juger, rien davantage » (Ibid.). Il note leur forme, leur pelage, leurs attitudes, comme un peintre. (Voir par ex. : Le Singe et le Léopard; le Cochet, le Chat et le Souriceau.) Il leur conserve suffisamment leur caractère : au renard la ruse, au chat la traîtrise, au lièvre la peur, etc. Et pourtant d'un mot il nous avertit souvent que ces animaux représentent des hommes : c'est capitaine renard, la dame au nez pointu (la belette), un saint homme de chat, etc.

Les hommes. 
Mais les hommes aussi jouent leur rôle, directement. La Fontaine nous présente avec leur costume, leur langage, leurs moeurs, l'Enfant et le Maître d'école, le Jardinier et son Seigneur, la Fille qui désire un mari, la Jeune Veuve, la Vieille et les deux Servantes, le Vieillard et les trois jeunes hommes, le Savetier et le Financier, le Bûcheron et la Mort, la Laitière et le Pot air lait, etc., si bien que, sous une forme ou sous une autre, toute l'humanité est là, en raccourci, l'humanité avec ses défauts éternels, flatterie, ruse, violence, hypocrisie. Il y a aussi, parce que La Fontaine ne sépare pas plus que Molière la peinture du caractère de celle des moeurs, toute la société du XVIIe siècle : le roi (le lion), les puissances (le tigre et l'ours), les courtisans (le renard), le clergé (le Curé et le Mort), les gens de justice (l'Huître et les Plaideurs, le chat Grippeminaud), la haute finance (le Savetier et le Financier), les bourgeois gentilshommes (La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf), le menu peuple (l'âne) et, chose plus rare au XVIIe siècle, les paysans : fermiers aisés (L'Oeil du maître, le Laboureur et ses enfants, etc.), ou manants infortunés pour qui l'on sent percer la pitié du poète :

Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.

     (La Mort et le Bûcheron).

L'action. 
Tout ce monde va, vient, parle et agit comme dans la vie.

Les sujets. 
La variété des situations est infinie. Telle fable est une idylle (Tircis et Amarante, Les Deux Pigeons), telle autre un fragment lyrique (Le Songe d'un Habitant du Mogol) ou un poème philosophique (les deux Rats, le Renard et l'Oeuf). Beaucoup sont de prestes comédies (la Laitière et le pot au lait, la Fille, la Jeune Veuve, le Savetier et le Financier). Un grand nombre sont des tragédies (le Loup et l'Agneau; le Lion, le Loup et le Renard; Les Animaux malades de la peste; l'Homme et la Couleuvre).

Le développement du drame.
Toutes ces actions ont leur exposition, leur noeud, et leur dénouement, mais sans que La Fontaine s'attache à la régularité du développement. Il fait porter tout son effort sur la ou les scènes principales.

Le Savetier et le Financier, par exemple, est une comédie en quatre actes. Les deux personnages sont présentés en 13 vers; leur entrevue en occupe 23; les soucis du savetier 10; le dénouement 4. 

Le Lion, le Loup et le Renard est une tragédie en cinq actes : I. Exposition : la maladie du roi (3 vers); Il. Consultations diverses (1 vers); III. Attaques du loup contre le renard, colère du roi (5 vers); IV. Défense du renard (17 vers); V. Mort du loup (4 vers). On voit que l'acte important est le quatrième qui renferme la péripétie. Il occupe à lui seul la moitié de la fable.

La morale des Fables

En général La Fontaine indique en quelques mots la conclusion que nous devons tirer du récit. Mais il lui arrive de s'en dispenser, persuadé que nous dégagerons nous-mêmes la leçon après le spectacle.

Les critiques.
J.-J. Rousseau a reproché aux Fables de La Fontaine d'être immorales :

« Suivez les enfants apprenant leurs fables et vous verrez que, quand ils sont en état d'en faire l'application, ils en font presque toujours une contraire à l'intention de l'auteur, et qu'au lieu de s'observer surlec défaut dont on veut les guérir ou les préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts d'autrui. » (Emile, livre II).
Ainsi la Cigale et la Fourmi, selon lui, enseignera la dureté de coeur; le Corbeau et le Renard, l'hypocrisie; le Loup et l'Agneau, la cruauté. Lamartine aussi s'est indigné à la pensée qu'on mettait un pareil livre entre les mains des enfants :
« Les fables de la Fontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et égoïste d'un vieillard que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d'un enfant. C'est du fiel... » (Préface des Méditations).
Les leçons de dévouement. 
Il est pourtant possible de trouver dans La Fontaine des conseils qui sont tout le contraire de la dureté et de l'égoïsme. Les fables des Deux Amis et du Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat montrent la beauté du dévouement entre amis :
A qui donner le prix? Au coeur si l'on m'en croit.

       (Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue et le Rat).

Voici le désintéressement :
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage. 
Eh bien! défendez-vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d'autrui.

        (Le Vieillard et les trois jeunes Hommes).

Voici même la loi de solidarité révélée :
Il faut autant qu'on peut obliger tout le monde. (Le Lion et le Rat).

Il se faut entraider, c'est la loi de nature. (L'Âne et le Chien).

Les leçons de prudence.
Mais en général La Fontaine ne cherche pas à moraliser. Il est moraliste, ce qui est très différent. Il peint la société telle qu'elle est. Il y a des avares (la Cigale et la Fourmi), des flatteurs (le Corbeau et le Renard), des ingrats (l'Homme et la Couleuvre), des hypocrites (le Chat, la Belette et le petit Lapin); les puissants ont toujours gain de cause (le Loup et l'Agneau), et sont sûrs de l'impunité (les Animaux malades de la peste), etc. La conséquence, c'est qu'il faut nous tenir sur nos gardes avant tout :
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l'écoute.

           (Le Corbeau et le Renard).

 Puis, si nous voulons être sages, nous éviterons de nous créer des affaires. Point d'indignations tapageuses :
... Mais que faudrait-il faire?
Parler de loin ou bien se taire.

         (L'Homme et la Couleuvre).

Nous resterons le plus possible cachés pour être heureux :
                    Ami, lui dit son camarade,
Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi. 
Si tu n'avais servi qu'un meunier, comme moi,
Tu ne serais pas si malade.

      (Les Deux Mulets).

C'est donc une morale moyenne, telle que peut la former la vie, où il entre plus de sagesse pratique que d'idéal généreux.

La personnalité de La Fontaine dans les Fables

Cette morale ressemble à celle de Molière. Et il est vrai que rien ne se rapprocherait plus des comédies de Molière que les fables de La Fontaine, si la personnalité du poète n'y intervenait pas si souvent.

L'émotion personnelle.
Il interrompt la fable ou la continue par une méditation :

La Mort avait raison. Je voudrais qu'à cet âge 
On sortît de la vie ainsi que d'un banquet.

          (La Mort et le Mourant).

Il arrive même que le récit s'achève en confidence
Ai-je passé le temps d'aimer? (Les Deux pigeons).
Parfois c'est une rêverie où se révèle toute la délicatesse de son coeur :
Qu'un ami véritable est une douce chose!
Il cherche vos besoins au fond de votre coeur;
Il vous épargne la pudeur
De les lui découvrir vous-même...
 
          (Les Deux Amis).
Cette émotion lyrique, si rare au XVIIe siècle, est un des charmes des Fables de La Fontaine.

La malice.
L'autre est le clin d'oeil malicieux qui semble si souvent accompagner la narration. On le reconnaît ici à l'emphase amusante du ton :

O dieux hospitaliers! Que vois-je ici paraître? 
Dit l'animal chassé du paternel logis.

         (Le Chat, la Belette et le petit Lapin).

Là, au contraste entre la gaieté du rythme et la tristesse du fond :
Un mort s'en allait tristement
S'emparer de son dernier gîte : 
Un curé s'en allait gaiement
Enterrer ce mort au plus vite. 

           (Le Curé et le Mort).

Ailleurs c'est une réflexion narquoise :
Je ne suis pas de ceux qui disent : « Ce n'est rien,
C'est une femme qui se noie. »

            (La Femme noyée).

A ces mots l'animal pervers
(C'est le serpent que je veux dire,
Et non l'homme; ou pourrait aisément s'y tromper).

             (L'Homme et la Couleuvre).

La forme

Ce qui fait la richesse incomparable des Fables, c'est que La Fontaine y mêle librement tous les genres. La forme n'est pas moins libre, ou moins  variée.

Le style.
Car on ne peut pas dire de La Fontaine plus que de Molière qu'il ait un style. Chaque personnage a le sien selon son caractère, sa condition, ses sentiments. Mais pour atteindre à cette vérité il faut un vocabulaire très riche. La langue de La Fontaine n'est pas seulement celle des « honnêtes gens» du temps. Elle comprend des termes techniques de procédure (la cour, dépens, sergents, défaut, etc.), de fauconnerie (leurre, poing), d'agriculture (pâtis, plan vif, planches, carreaux, etc.), des mots populaires (marmot, goulée, hère, drille, liesse), des vieux mots (ost pour armée, gripper pour prendre, cuider pour croire, dam pour dommage), des épithètes composées à la manière de La Pléiade (le chat grippe-souris; ronge-maille le rat; la gent trotte-menu, etc.).

La versification. 
L'emploi extrêmement souple et juste du vers libre achève de donner aux mots toute leur valeur. L'alexandrin exprime les grandes idées ou les grandes images :

Celui de qui la tête au ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

     (Le Chêne et le Roseau).


Les vers plus courts correspondent à un mouvement rapide, à la gaieté :

Des lapins, qui sur la bruyère
L'oeil éveillé, l'oreille au guet....

     (Les Lapins).

L'opposition d'un vers plus court à un vers plus long marque la déception : 
C'est promettre beaucoup; mais qu'en sort-il souvent? 
Du vent. 

       (Le Trésor et les deux hommes).

Elle sert aussi à dissimuler le mot et l'idée :
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger. 

     (Les Animaux malades de la peste).

La strophe soutient naturellement la période oratoire :
Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour 
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère;
Et mettant en nos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,
Il ne vous fasse, en sa colère,
Nos esclaves à votre tour.

      (Le Paysan du Danube).

Bref, grâce encore aux ressources de détail, rejets, coupes, le vers arrive à se mouler exactement sur l'idée, et achève de donner au style son caractère de simplicité et de naturel.

Conclusion

Des lettres de Bussy-Rabutin (à Furetière, 4 mai 1686) et de Mme de Sévigné (à Bussy, 20 juillet 1679, 14 mai 1686) montrent assez en quelle estime fut tenu La Fontaine par ses contemporains. Si l'on en croit Louis Racine (Mémoires, 2e partie), Molière aurait même dit : 
« Ne nous moquons pas du Bonhomme, il vivra peut-être plus que nous tous ». 
Il est à coup sûr le plus populaire des classiques. Les enfants peuvent trouver plaisir et profit à le lire. Et pour les plus grands les Fables sont, avant Honoré de Balzac, avec moins de prétention et plus de finesse, comme un abrégé de la Comédie humaine. (E. Abry).
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