La Fontaine | Entre deux bourgeois d'une ville S'émut jadis un différend : L'un était pauvre, mais habile; L'autre riche, mais ignorant. Celui-ci sur son concurrent Voulait emporter l'avantage, Prétendait que tout homme sage Était tenu de l'honorer. C'était un homme sot; car pourquoi Des biens dépourvus de mérite? La raison m'en semble petite. " Mon ami, disait-il souvent Au savant, Vous vous croyez considérable; Mais, dites-moi, tenez-vous table? Que sert à vos pareils de lire incessamment? Ils sont toujours logés à la troisième chambre, Vêtus au mois de juin comme au mois de décembre, Ayant pour tout laquais leur ombre seulement. La république a bien affaire De gens qui ne dépensent rien! Je ne sais d'homme nécessaire Que celui dont le luxe épand beaucoup de bien. Nous en usons, Dieu sait! notre plaisir occupe L'artisan, le vendeur, celui qui fait la jupe, Et celle qui la porte, et vous, qui dédiez A Messieurs les gens de finance De méchants livres bien payés. " Ces mots remplis d'impertinence Eurent le sort qu'ils méritaient. L'homme lettré se tut, il avait trop à dire. La guerre le vengea bien mieux qu'une satire. Mars détruisit le lieu que nos gens habitaient : L'un et l'autre quitta sa ville. L'ignorant resta sans asile : Il reçut partout des mépris; L'autre reçut partout quelque faveur nouvelle : Cela décida leur querelle. Laissez dire les sots : le savoir a son prix. | |