La Fontaine | Une chèvre, un mouton, avec un cochon gras, Montés sur même char, s'en allaient à la foire. Leur divertissement ne les y portait pas; On s'en allait les vendre, à ce que dit l'histoire. Le charton n'avait pas dessein De les mener voir Tabarin. Dom Pourceau criait en chemin Comme s'il avait eu cent bouchers à ses trousses : C'était une clameur à rendre les gens sourds. Les autres animaux, créatures plus douces, Bonnes gens, s'étonnaient qu'il criât au secours : Ils ne voyaient nul mal à craindre. Le charton dit au porc : " Qu'as-tu tant à te plaindre? Tu nous étourdis tous : que ne te tiens-tu coi? Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi, Devraient t'apprendre à vivre, ou du moins à te taire : Regarde ce mouton! a-t-il dit un seul mot? Il est sage. - Il est un sot, Repartit le cochon : s'il savait son affaire, Il crierait comme moi, du haut de son gosier; Et cette autre personne honnête Crierait tout du haut de sa tête. Ils pensent qu'on les veut seulement décharger, La chèvre de son lait, le mouton de sa laine : Je ne sais pas s'ils ont raison; Mais quant à moi, qui ne suis bon Qu'à manger, ma mort est certaine. Adieu mon toit et ma maison. " Dom Pourceau raisonnait en subtil personnage : Mais que lui servait-il! Quand le mal est certain, La plainte ni la peur ne changent le destin; Et le moins prévoyant est toujours le plus sage. | |